Pierre Haski, Daniel Schneidermann et Denis Sieffert adressent une lettre à la présidente du Fipa pour protester contre la présentation d’un film au Fipa sur le hacker Ulcan, dont les auteurs ont été les victimes.
Madame la Présidente,
« Un nouveau type de justicier. Ulcan, un hacker sioniste militant, livre une guerre sans merci aux leaders du mouvement antisémite. »
À Biarritz, le Fipa (23-28 janvier), partagé entre séries, fictions, et documentaires consacre cette année un focus sur la production israélienne. Quelle a été notre surprise en lisant la présentation d’un documentaire de Daniel Sivan, The Patriot : « Un nouveau type de justicier. Ulcan, un hacker sioniste militant livre une guerre virtuelle et sans merci aux leaders du mouvement antisémite français. » Rappelons qu’Ulcan, Grégory Chelli de son vrai nom, est ce délinquant qui profère des menaces de mort, usurpe des identités, fait intervenir la police chez ses victimes. Ses cibles sont nombreuses : Martine Aubry, maire de Lille, Stéphane Richard, PDG d’Orange, érigés donc au rang de « leaders du mouvement antisémite », comme d’autres cibles du hacker, tels Daniel Schneidermann (Arrêt sur images), Pierre Haski (aujourd’hui président de Reporters sans frontières), Denis Sieffert (directeur de Politis), Pierre Stambul (UJFP), et Jean-Claude Lefort, ou encore le père d’un journaliste de Rue 89, Bruno Le Corre, mort de crise cardiaque à la suite d’un appel d’Ulcan lui annonçant la mort de son fils. Condamné à maintes reprises, ayant plusieurs plaintes contre lui pour hacking, Ulcan est sous le coup d’un mandat d’arrêt pour « action criminelle ayant entraîné une mort ».
Comment les responsables de la sélection du Fipa ont-ils pu passer à côté de tels faits et commettre une telle bévue ? Pierre Haski, Daniel Schneidermann et Denis Sieffert rendent publique ce mardi une lettre ouverte au Fipa pour protester contre une présentation scandaleuse d’un film qui fait l’éloge d’un personnage aussi peu recommandable.
En lisant le résumé du film The Patriot en sélection officielle du Fipa, sur le programme du festival, nous avons frémi. En tant que victimes d’Ulcan, nous voilà donc érigés au rang de « leaders du mouvement antisémite » – au même titre que Stéphane Richard, Pdg d’Orange, de Martine Aubry, maire de Lille, de Pierre Stambul, co-président de l’Union Juive Française pour la Paix, de Jean-Claude Lefort, Président d’honneur de France-Palestine Solidarité, de France inter, Libération, et de très nombreuses autres cibles de ce « justicier » des temps modernes si l’on en croit ce texte.
La surprise est d’autant plus grande de voir ainsi encensé, dans ces quelques lignes anodines de présentation, un personnage qui, s’il rentrait en France demain, serait immédiatement arrêté et envoyé devant une cour d’Assises pour meurtre. Oui, meurtre, car depuis septembre 2016 il est visé par un mandat d’arrêt pour « action criminelle ayant entraîné une mort ». Le mort en question est le père d’un journaliste de Rue89, Benoit Le Corre, décédé d’une attaque cardiaque à la suite d’une vengeance de ce « patriote » après un article qui lui a déplu, cela aurait peut-être mérité d’être rappelé.
La légèreté avec laquelle, sous le titre flatteur de « patriote », vous présentez un personnage contre lequel ont été déposés des dizaines de plaintes en France, dont les nôtres, et pour lequel nous avons été reçus tous les trois par la Garde des Sceaux et le Ministre de l’intérieur de l’époque, Christiane Taubira et Bernard Cazeneuve, suite à des opérations d’Ulcan contre nos domiciles, est consternante de la part d’un festival international. Une simple recherche Google aurait permis d’éviter de présenter de manière aussi anodine un personnage au dossier aussi lourd.
Ces quelques lignes contiennent une diffamation infamante contre toutes les victimes d’Ulcan présentées comme « antisémites ». C’est inadmissible, et serait aisément tranché devant un tribunal.
Ce n’est pas le sens de notre démarche. Mais vous pourrez comprendre que nous ne pouvons pas laisser passer sans réagir une présentation aussi injurieuse, et un film pour le moins ambigu.
Nous ne sommes pas dans une logique de censure. À chacun de se faire son opinion, à condition que tous les éléments soient sur la table de manière claire. Ils ne le sont pas, c’est le moins qu’on puisse dire, dans la présentation qui est faite sur votre programme : nous demandons que cette présentation soit changée au plus vite ainsi que dans le dossier de presse.
Mais il nous semble nécessaire que le public français soit clairement informé du contexte de cette affaire, et pas seulement par un documentaire fait en Israël et qui, s’il donne aussi la parole à certaines victimes, fait la part belle à ce « justicier » qui n’a pas le courage de se présenter devant la justice française et s’abrite derrière l’absence de traité d’extradition entre la France et Israël.
Nous demandons l’organisation un débat avant ou après la diffusion du documentaire, avec le public du film, afin qu’il soit totalement informé de cette affaire qui attend toujours son dénouement judiciaire. C’est le minimum pour que la présentation infamante du programme ne trompe pas le public français.
Nous sommes à votre disposition pour en parler au plus vite, avant le début de la manifestation évidemment. Nous rendrons publique cette lettre puisque votre programme est déjà public.
Bien à vous.
Pierre Haski, cofondateur de Rue89, aujourd’hui Président de Reporters sans frontières (RSF)
Daniel Schneidermann, fondateur d’Arrêt sur images
Denis Sieffert, Directeur de la publication, Politis