Une démocratie boiteuse

haaretz

Shulamit Aloni
Ha’Aretz, 16 novembre 2007

A quelques jours de la rencontre d’Annapolis pour la paix au Moyen-Orient, Ehoud Olmert demande aux Palestiniens la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat du peuple juif. Cette nouvelle condition préalable n’est pas digne d’une démocratie, dénonce Ha’Aretz.

Le gouvernement israélien, avec tout le respect qui lui est dû, ne représente pas le peuple juif, mais les citoyens de l’Etat d’Israël qui l’ont élu. Israël est un Etat souverain qui reste considéré comme une démocratie.

Autrement dit, c’est l’Etat de l’ensemble de ses citoyens. Il ne doit donc pas exiger des Palestiniens qu’ils le reconnaissent en tant qu’Etat juif, car ce serait, pour Israël, déclarer que tout citoyen dont la mère n’est pas juive ou qui ne s’est pas converti avec l’un de nos rabbins orthodoxes n’est qu’un citoyen de seconde zone et que ses droits en tant qu’être humain et en tant que citoyen ne sont pas garantis.

Les Juifs sont un peuple, mais pas une nation, ils sont un groupe ethnique et religieux, voire une tribu, aussi respectée qu’elle puisse l’être. Les citoyens juifs de Grande-Bretagne, y compris les juifs orthodoxes, sont britanniques, et apparaissent comme tels sur leur passeport et à l’état civil britannique. Idem en France : les juifs sont français. Au Canada, ils sont canadiens, et aux Pays-Bas néerlandais. Ils perpétuent leur vie religieuse juive dans leur communauté, car dans les nations démocratiques la liberté de religion existe. Si ces pays classaient ces citoyens sous l’étiquette « juifs » dans la catégorie nationalité, nous les taxerions d’antisémitisme.

L’attachement d’un citoyen à un Etat repose sur sa citoyenneté, non sur sa religion : il ne dépend pas de sa tribu ou du patrimoine génétique de sa mère. Si certains, au gouvernement, se considèrent plus juifs qu’Israéliens, c’est leur droit, et ils peuvent respecter tous les préceptes religieux et faire toutes les prières. Mais ces considérations sont déplacées dès lors qu’il s’agit des liens entre l’Etat d’Israël et ses voisins. Il est curieux qu’on se soit mis à exiger des Palestiniens comme condition à la fin de l’occupation qu’ils reconnaissent un Etat dont quelque 20 % des citoyens ont un statut inférieur à celui des autres.

L’Etat d’Israël a été créé en tant qu’Etat civil, Etat de droit, et non comme un Etat régi par la halaka (la loi religieuse juive). Il a été créé par les « représentants du Yichouv juif [résidents et nouveaux immigrants juifs de la Palestine avant la création de l’Etat d’Israël] et le mouvement sioniste ». Et non par les ultraorthodoxes auxquels s’enchaînent nos ministres, les libérant massivement des obligations militaires, du travail, du paiement des droits de scolarité, et leur versant même un salaire mensuel.

Laissons les ministres du gouvernement israélien se sentir aussi juifs qu’ils le veulent, laissons leurs voix s’élever en prières, laissons-les porter leurs tefillin [ou phylactères, petites boîtes carrées renfermant des bandes de parchemin sur lesquelles sont inscrits des versets de la Bible, que les juifs orthodoxes portent au bras gauche et sur la tête pendant la prière du matin]. Mais ils doivent garder à l’esprit qu’ils sont au service du gouvernement d’Israël, d’un Etat qui continue de se dire démocratique. En d’autres termes, ils sont les représentants de l’ensemble des citoyens et en sont responsables.

Il serait donc plus intelligent d’exiger des Palestiniens qu’ils reconnaissent Israël comme un Etat souverain, et de ne pas exercer sur eux la même contrainte que celle que certains citoyens israéliens exercent sur nous : celle de la religion et des rabbins. Si être juif a plus d’importance qu’être israélien, pourquoi demandons-nous aux juifs du monde entier de venir en Israël alors que tout se passe très bien pour eux dans les pays démocratiques où ils vivent en tant que juifs ?

Shulamit Aloni
publié en français par Courrier international.
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