Une « association antisioniste pour lutter contre l’antisémitisme » ? Exactement !

Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, a voulu réunir des acteurs associatifs en vue de réfléchir collectivement au développement d’un « plan contre le racisme et l’antisémitisme ». L’invitation adressée à l’UJFP Aquitaine a suscité une salve d’attaques à notre endroit de la part de la LICRA, qui cherche à imposer sa ligne réactionnaire en matière d’antiracisme, et du CRIF, mais aussi de l’hebdomadaire d’extrême-droite Valeurs actuelles, de députés de La République en marche et de membres du Printemps républicain.

Notre antisionisme assumé, qui se manifeste par un engagement sans faille dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, est agité comme un chiffon rouge censé disqualifier notre approche de la lutte contre l’antisémitisme.  Nous tenions à répondre à ces pompiers pyromanes qui, en assimilant la critique du régime israélien à la haine des juifs, nourrissent le mal qu’ils prétendent vouloir éradiquer.

Mettons-nous un instant à leur place. Nous pouvons aisément imaginer leur colère lorsqu’ils ont pris connaissance de cette invitation à participer à une réflexion officielle autour de la lutte contre toutes les formes de racisme, eux qui aiment nous imaginer confinés dans les marges d’une extrême gauche et d’un mouvement décolonial qu’ils méprisent. Pas question de nous laisser présenter nos analyses dans des assemblées plus conventionnelles ! De plus, en guise de préliminaire, le représentant de l’UJFP a osé proposer de ne pas dissocier l’antisémitisme des autres formes de racisme. Sacrilège ! Renoncer à l’exception accordée à la haine des juifs par les pouvoirs publics et les franges les plus conservatrices de la société civile reviendrait, selon l’heureuse formule du Président du CRIF local, à traiter l’antisémitisme comme un « racisme lambda ». Les (autres) racisés apprécieront…

En filigrane, c’est notre identité même d’association juive antisioniste et antiraciste que nos adversaires attaquent. La mémoire de ce courant pluriel, qui puise aussi bien ses racines dans la tradition judéo-socialiste du Bund que dans l’héritage judéo-maghrébin des luttes anticolonialistes, est pour eux à annihiler une fois pour toutes, et avec elle nos efforts pour faire comprendre au monde que, non, Juif et Israélien, ce n’est pas la même chose. Le fond de l’enjeu politique est là :  pour l’axe des forces sionistes qui s’étend du centre macronien aux droites les plus extrêmes et qui prétend protéger les juifs – nous tremblons à l’idée de cette protection et de ses conséquences –, il s’agit d’empêcher à tout prix cette dissociation au profit d’une logique qui promeut exactement le contraire, cherchant à intégrer organiquement le sionisme au judaïsme. Ce qui revient à dire pour ceux qui nous attaquent, si l’on poursuit leur raisonnement jusqu’au bout, que les juifs où qu’ils vivent et dans leur intégralité sont tenus pour responsables de toutes les actions de l’État d’Israël. Comment ne pas voir que c’est précisément cette équation soutenue de l’extrême droite jusqu’à Macron et Valls avant lui qui alimente une forme contemporaine de judéophobie ?

Non, l’antisionisme ne dissimule pas la haine des juifs, même si quelques cerveaux malades, comme Soral, ont pu tenter de se l’approprier pour véhiculer leur antisémitisme atavique. Il s’agit au contraire d’une opinion politique qui se fonde sur la justice et l’égalité de tous en Israël-Palestine, et donc d’une opinion fondamentalement antiraciste. Il n’y a qu’à voir, aux États-Unis mais aussi ailleurs, où flottent les drapeaux palestiniens et par qui sont brandis les drapeaux israéliens. La Palestine a accompagné de longue date les mouvements pour la justice raciale, alors que des militants suprématistes, tels ceux qui ont récemment violé le Capitole, se sont régulièrement réclamés d’Israël.

L’utilisation des juifs dans un projet politique et idéologique qui s’apparente de plus en plus à celui de l’extrême droite ne peut que présager de l’augmentation de l’antisémitisme en raison de la confusion instaurée par ces pompiers pyromanes entre ce qui relève de la judéité et ce qui relève du politique : la lutte légitime contre le colonialisme et l’apartheid de l’État d’Israël. Lutter pour un monde meilleur, contre le colonialisme, la discrimination érigée en principe et l’éthno-nationalisme où qu’ils se produisent – et donc en Israël aussi – ne favorise pas l’antisémitisme, mais la convergence des opprimés.  Cela dégage les Français juifs d’un amalgame qui ne peut que leur nuire en les désignant comme complices ou coupables des crimes d’Israël.

L’UJFP tient donc à rappeler qu’elle continuera à lutter conjointement contre toutes les formes de racisme et pour la justice en Palestine, et que, contrairement à ce que suggère le titre de l’article de Valeurs actuelles, c’est précisément parce que nous sommes aussi une association antisioniste juive que nous participons à la lutte contre l’antisémitisme.  Ce stigmate dont ils ont voulu nous affubler, nous sommes fiers de le retourner et de le faire nôtre.

La Coordination nationale de l’UJFP, le 12 janvier 2021