UNE AGRESSION PREMEDITEE Gilbert Achcar

[Editorial paru dans le quotidien italien Il Manifesto du 28 décembre.]

L’assaut meurtrier qu’Israël a perpétré contre Gaza était tellement prémédité qu’il était annoncé à l’avance hier (samedi) matin dans plusieurs uotidiens arabes.

L’information la plus précise a été donnée par le journal nationaliste palestinien et arabe al-Quds al-Arabi (Jérusalem arabe) publié à Londres. Écrivant à partir de Ramallah, en Cisjordanie, Walid Awad, le correspondant du quotidien, rapportait avoir appris « de source diplomatique arabe digne de confiance que le général Omar Suleiman, chef des renseignements égyptiens, a informé certaines capitales arabes qu’Israël allait lancer une offensive limitée contre la bande de Gaza pour exercer une pression sur le mouvement Hamas afin de l’obliger à accepter une trêve sans conditions préalables. Ces sources ont ajouté que le général Suleiman a insisté auprès de la ministre israélienne des affaires étrangères, Tzipi Livni, sur la nécessité d’éviter de faire des victimes parmi les civils durant l’opération militaire afin que des photos d’innocents ne soient pas utilisées pour exciter la rue arabe. »
C’est ce scénario convenu à l’avance qui a été exécuté le jour même de la parution de l’article : saisissant un prétexte ordinaire – les tirs de roquettes à partir de Gaza, qui sont eux-mêmes des tirs de représailles, et ainsi de suite – l’aviation israélienne a cruellement attaqué Gaza, concentrant son feu sur les forces de sécurité intérieures dirigées par le gouvernement du Hamas, conformément à la demande du patron des services égyptiens plus soucieux d’atténuer la réaction de l’opinion publique dans son pays que de sauver des vies humaines palestiniennes.
La collusion avec Israël des « Arabes de l’Amérique », comme les appelle « la rue arabe », c’est-à-dire les monarchies pétrolières du Golfe, la monarchie jordanienne et l’Égypte, est ainsi exposée au grand jour. Le général égyptien met au point avec Tzipi Livni le scénario du carnage offert par Israël aux Palestiniens en cette période de fêtes et de cadeaux, tandis qu’à Washington, on fait le bilan des présents offerts par les monarques arabes à son homologue américaine, Condoleeza Rice : des bijoux pour plusieurs centaines de millions de dollars, dont un collier d’un coût estimé à 170 000 dollars ainsi qu’une parure en rubis et diamants de 165 000 dollars de la part du roi saoudien Abdallah, et une parure en émeraudes et diamants d’un coût estimé à 147 000 dollars de la part du roi jordanien Abdallah II (Associated Press, 22 décembre). Des cadeaux d’autant plus extravagants – et scandaleux pour les populations des pays concernés – que ces souverains savaient pertinemment que Condoleeza Rice ne pourrait les étrenner que durant son mandat de secrétaire d’État et que, conformément à la loi américaine, ils sont propriété publique et seront déposés dans un entrepôt gouvernemental à la fin du mandat de l’administration sortante.
Si les « Arabes de l’Amérique » se comportent de façon si peu restreinte dans leurs épanchements serviles envers Washington alors que l’administration Bush est la plus haïe de l’histoire par la « rue arabe » – des populations arabes qui ne rêvent d’offrir qu’un seul type de cadeaux à George Bush et aux membres de son équipe abhorrée : des chaussures dans la figure, à l’instar de l’acte du journaliste irakien Muntazar al-Zeidi devenu héros national de l’ensemble des populations arabes – on peut imaginer la façon dont ils se comporteront après l’investiture de Barack Hussein Obama : sans retenue aucune, fort probablement.
Le changement d’administration à Washington, s’il ne laisse pas augurer d’un changement substantiel de la politique états-unienne au Moyen-Orient à en juger par la composition de la nouvelle équipe, entraînera pour sûr un ravalement de façade : un passage de l’impérialisme à visage hideux et islamophobe à l’impérialisme à visage humain, noir et islamophile. C’est le sens du grand discours qu’Obama a prévu de prononcer, en direction du monde musulman après sa prise de fonctions. L’Amérique, dont la maladresse de l’administration Bush a placé les intérêts au Moyen-Orient en péril, a besoin de redorer son blason auprès des musulmans, afin de renforcer sa domination militaire par une hégémonie politique. C’est une des raisons majeures pour lesquelles le grand capital américain a soutenu Obama – tandis que les électeurs et électrices se mobilisaient pour lui pour de tout autres raisons.
Le timing de l’opération israélienne a été choisi en tenant compte de ces considérations : il fallait frapper ce grand coup contre Gaza avant l’investiture d’Obama, afin de ne pas compromettre d’entrée de jeu son opération de relations publiques. Le succès de celle-ci devrait rendre plus aisées à l’avenir pareilles agressions brutales contre un ennemi qui sera d’autant plus facile à diaboliser que le président américain sera angélisé.