Un ou deux Etats pour Israël et la Palestine ?

Un débat entre Uri Avnery, ancien député à la Knesset, et le docteur Illan Pappe

Modérateur: Le Pr Zalman Amit

Traduit par Jacques Jedwab, UJFP-PACA, le 13 août 2007, en collaboration avec Claude Raymond et Jérôme Maucourant.

Origine : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=27926

Zalman Amit : Bienvenue à vous tous et merci d’être avec nous ce soir.
J’aimerais d’abord remercier Teddy Katz, qui a eu l’idée de cette rencontre et qui a fait beaucoup pour qu’elle ait lieu.
Je n’exagère pas si je dis que nous allons discuter aujourd’hui de la question la plus importante et la plus difficile pour les gens de gauche, et pour ceux qu’on peut appeler en gros les gens du mouvement de la paix. Je pense aussi que nous avons la chance d’avoir ce soir deux orateurs qui, l’un et l’autre, sont sans doute ceux qui expriment le plus clairement les deux approches et les deux visions du monde auxquelles le débat de ce soir est consacré.
À ma droite, il y a le Dr Illan Pappe, historien à l’université d’Exeter, qui était auparavant à l’université d’Haïfa [correction d’Illan Pappe : pas encore, auparavant].
À ma gauche, Uri Avnery, ancien député à la Knesset, ancien directeur du Haolam Hazeh Weekly, et présentement militant du Gush Shalom.
Comme convenu, le débat se déroulera ainsi : d’abord Illan Pappe parlera vingt minutes, et Uri Avnery également. Ensuite, tous deux parlerons encore dix minutes chacun. Puis on aura un temps pour les questions et les réponses, je promets comme modérateur de n’exercer aucune censure. Enfin, Illan et Uri auront cinq minutes chacun pour conclure.
Je demande donc à Illan d’engager le premier round.

Illan Pappe : Je voudrais remercier Gush Shalom pour cette rencontre, pour en avoir pris l’initiative et pour la volonté de mettre en discussion un sujet aussi important devant un large public. J’espère que ce sera l’amorce d’une large discussion, pas simplement l’affaire d’une soirée, parce que nous abordons ce soir des sujets vitaux pour nous, et il est clair qu’une seule rencontre ne suffira pas pour aller au fond des choses, prendre des décisions individuelles et collectives et établir notre stratégie en tant que camp de la paix. Quelles que soient nos différences, nous appartenons tous au camp de la paix, le camp qui croit en la réconciliation entre le peuple palestinien et Israël, et nous voulons travailler ensemble à cette cause.
Le sionisme est né de pulsions. Des pulsions nettes, des pulsions naturelles, des pulsions que l’on peut comprendre dans le climat de la période où ce mouvement est né et la réalité de l’Europe centrale et orientale de la fin du XIXe siècle.
La première pulsion était le désir d’affronter les vagues de persécutions et de harcèlement antisémites et sans doute aussi le pressentiment du pire à venir. De là, la recherche d’un havre de paix où les juifs européens pourraient vivre sans peur pour leur vie, leurs biens et leur dignité.
La seconde pulsion fut provoquée par Le Printemps des Peuples du milieu du XIXe siècle. Les leaders du mouvement sioniste ont pensé qu’il était possible de redéfinir le judaïsme comme une nationalité plutôt qu’une simple religion. Cela, aussi, était une idée qui circulait largement à l’époque, et plus d’un groupe ethnique et religieux s’est redéfini comme une nation.
Quand on a pris la décision – pour des raisons dans lesquelles nous n’avons pas le temps d’entrer – de satisfaire ces pulsions sur le sol de la Palestine, où il y avait déjà près d’un million d’habitants, cet assouvissement des pulsions est devenu un projet colonial.
À partir du moment où l’on a décidé que le seul territoire où les juifs pouvaient être assurés d’un havre de paix, le seul territoire où un État national juif pouvait voir le jour était la Palestine, ce mouvement national et humaniste s’est transformé en projet colonial. Ce caractère colonial a été de plus en plus prononcé après la conquête britannique du pays après la Première Guerre mondiale.
Comme projet colonial, le sionisme n’est pas un formidable succès. À la fin du mandat Britannique, pas plus de 6 % de la Palestine est aux mains des juifs. Les sionistes n’étaient arrivés à faire venir qu’un nombre relativement faible d’immigrants juifs. En 1948, les juifs ne dépassaient pas le tiers de la population de la Palestine. Ainsi, comme projet colonial, comme projet de créer des colonies et de déloger les autres occupants, ce n’était pas un formidable succès. Mais le problème – et l’origine de la tragédie palestinienne – fut que les leaders du sionisme ne voulaient pas seulement d’un projet colonial, ils voulaient aussi un État démocratique. Et pourquoi cela a été une tragédie pour les Palestiniens que le sionisme, dès ses premiers instants, veuille être démocratique ? Parce qu’il veut toujours être démocratique. Parce que si vous additionnez le colonialisme sioniste, le nationalisme sioniste et la volonté de démocratie vous arrivez à une nécessité qui, jusqu’à ce jour, détermine encore les positions politiques en Israël – du Meretz à la gauche sioniste, au Parti de l’Union nationale à l’extrême droite. C’est la nécessité de lier la majorité démocratique à la majorité juive. Tous les moyens sont bons pour s’assurer qu’il y ait une majorité juive, parce que sans majorité juive nous ne serons pas une démocratie. Il est même permis d’expulser les Arabes pour que nous soyons une démocratie. Parce que ce qui importe plus que tout est qu’il y ait une majorité de juifs. Parce que sans cela le projet ne sera pas un projet démocratique.
On ne sera pas surpris de savoir qu’en 1948 – à deux pas d’ici, à Tel-Aviv, sur le bord de mer, à la Maison Rouge – onze des leaders sionistes se sont réunis et ont décidé que si l’on voulait réaliser le projet sioniste et créer un État démocratique, c’est-à-dire s’emparer du plus grand morceau possible de la Palestine, alors qu’on n’y était pas majoritaire, tout au plus un tiers de la population, on n’avait pas d’autre choix qu’une épuration ethnique, que de chasser la population arabe du territoire où on voulait bâtir un État juif.
En mars 1948, sous la direction de Ben Gourion, la direction sioniste a décidé qu’il était nécessaire d’expulser un million de Palestiniens pour bâtir ici un État juif démocratique. Dès que cette décision fut prise, ils se sont lancés dans l’expulsion systématique des Palestiniens. Ils ont procédé cruellement, passant de maison en maison, de village en village, de quartier en quartier.
Quand ce fut fait, neuf mois plus tard, ils laissaient derrière eux 530 villages déserts et onze villes détruites. La moitié de la population de la Palestine a perdu sa maison, ses champs et ses moyens de vivre – plus de 80 % de la population des territoires qu’ils ont conquis. La moitié des villes et des villages de Palestine a été détruite, sur leurs ruines on a planté des forêts ou installé des colonies juives.
C’était la seule façon de créer un État juif démocratique – le type d’État qui est au cœur du consensus sioniste, depuis lors jusqu’à aujourd’hui. Le mouvement sioniste agirait-il ainsi de nos jours, il n’y aurait pas une institution internationale qui hésiterait à porter le jugement de « crime contre l’humanité ». Les onze leaders sionistes qui prirent cette décision étaient, de fait, des criminels, suivant les critères de la législation internationale. Il est difficile de les poursuivre soixante ans après, pour la bonne raison qu’aucun d’eux n’est encore parmi nous.
La résolution de partition de novembre 1947 et les tentatives de division du pays après la guerre de 1948 n’étaient pas fondées sur des idéaux de justice – c’est-à-dire justice et droit pour le peuple indigène, dont la plus grande partie a été expulsée, et justice pour les nouveaux colons. Non. Ce qui fut à la base du désir d’instaurer la solution de deux États alors, désir qui est encore en jeu aujourd’hui, était l’idée que le Minotaure sioniste pourrait se contenter d’un État juif qui ne contrôlerait qu’une partie de la Palestine – et non la totalité.
L’ONU a proposé de donner 50 % de la Palestine. Ce n’était pas assez pour les sionistes et ils en ont pris 80 %, et on a cru que cela leur suffirait.
Mais nous savons que leur boulimie territoriale n’a pas été rassasiée en 1948. Quand l’opportunité historique s’est présentée, 100 % de la Palestine est passé sous la férule de l’État juif.
Et voilà que la grande tragédie palestinienne recommence. Même après que 100 % de la Palestine soit devenu l’État juif, il reste encore un vrai désir d’établir et de préserver un État démocratique. Voilà les fondements de la création d’un type spécial de processus de paix, un processus de paix fondé sur l’hypothèse que la boulimie territoriale et les souhaits démocratiques sionistes pourront être calmés en laissant un morceau de la Palestine – la Cisjordanie et Gaza – hors du contrôle israélien.
Il y a là un double intérêt : d’une part, l’équilibre démographique entre juifs et Arabes penche toujours du même côté et, d’autre part, on met les Palestiniens dans une prison d’où ils ne pourront plus menacer le projet sioniste.
Seulement, comme vous le savez, la situation sur le terrain s’est quelque peu compliquée. Peut-être est-ce le moment de citer Meron Benvenisti, l’un des premiers à avoir pointé pour nous les réalités qui sur le terrain faisaient de tout ça une nouvelle chimère.
Dès les années 1980, déjà, le credo d’un État palestinien à côté de l’État d’Israël – comme un bonne solution au conflit ou comme moyen de calmer la boulimie territoriale du mouvement sioniste et de préserver Israël comme État juif – rencontrait des difficultés croissantes.
Un des facteurs était que les « réalités du terrain » réduisaient avec constance le territoire palestinien, par la création et l’extension des colonies. Et, par ailleurs, il y avait le souhait naturel des mouvements politiques qu’il y ait le plus de gens possible en faveur de la solution de deux États. Petit à petit, ils trouvèrent de nouveaux partenaires, et ces nouveaux partenaires donnèrent un sens nouveau à ce qu’il fallait entendre par « État palestinien ». En fait, le lien entre l’idée de deux États et l’idée de résoudre le conflit disparut petit à petit. Et soudain la solution de deux États devint un moyen d’arranger une sorte de séparation entre occupants et occupés plutôt qu’une solution permanente qui aurait pu compenser le crime commis par Israël en 1948, avec les problèmes des 20 % de Palestiniens en Israël et avec une population réfugiée qui avait constamment augmenté depuis 1948.
Dans les années 1990 et depuis le début du siècle, la solution de deux États est devenue la devise officielle. La liste respectable de ses partisans a fini par inclure, entre autres, Ariel Sharon, Benjamin Netanyahou et George W. Bush.
Quand votre idée gagne de tels supporters, c’est loin d’être le pire moment historique pour repenser l’idée de fond en comble. Quand l’idée de deux États est devenue la base du processus de paix, elle a justifié l’occupation israélienne et lui a permis de continuer son travail sans crainte. Parce qu’officiellement, quel que soit son Premier ministre, Israël était censé être engagé dans un processus de paix – et qu’on ne pouvait faire la moindre critique à un pays engagé dans un processus de paix.
Sous le couvert du processus de paix, on peut dire sous le couvert du slogan « deux États pour deux peuples », on a développé les colonies, et le harcèlement et l’oppression des Palestiniens ont empiré. Jusqu’à ce que « les réalités du terrain » aient réduit à rien l’espace attribué aux Palestiniens. La boulimie raciste et ethnique du sionisme a trouvé légitime de s’étendre sur presque la moitié de la Cisjordanie.
Il était impossible de ne pas être impressionné par l’impressionnante présence du camp de la paix lors de la manifestation de soutien à Ariel Sharon lors du retrait de Gaza.
Le lien entre la formule « deux États pour deux peuples » et le processus de paix amènera en toute logique les militants de la paix qui croyaient à deux États à crier sur la place centrale – elle s’appelle comment cette place ? La place Rabin ? – à ce qu’ils se rassemblent sur la place Rabin et crient : « Vive Sharon, vive le retrait », ce qu’il fallait traduire par « vive l’emprisonnement à Gaza, le plus grand camp de concentration du XXIe siècle ! ». C’est ça qu’ils auraient dû crier, c’est ça le but des supporters de Sharon dans le camp de la paix.
D’un côté, cette formule rend possible de continuer l’occupation par d’autres moyens, afin de réduire au silence les critiques venues de l’étranger contre les actes d’occupation. De l’autre, elle permet à l’État d’Israël la politique du fait accompli sur le terrain.
Dans tous les cas, en 2007, tu dois l’admettre : en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, rien, pas une pierre visible, pour la construction d’un État palestinien.
Quel regard portes-tu sur ça ?
Si ceux qui sont en faveur de la partition du pays se fondent sur le principe de justice, il n’y a pas de formule plus cynique que celle de la solution de deux États, telle qu’elle est présentée aujourd’hui par le camp de la paix. 80 % du pays à l’occupant, et 20 % à l’occupé. Et encore dans le cas le plus utopique et le meilleur. On ne devrait pas être à plus de 10 %, dispersés et enclavés, pour l’occupé.
De plus, dans cette solution, où trouvez-vous une solution au problème des réfugiés, où vont revenir ceux qui ont été victimes du nettoyage ethnique de 1948 ?
Où la deuxième et la troisième génération vont-elles revenir si, réellement, la justice est le principe directeur ?
D’autre part, si le pragmatisme et le réalisme politique sont nos boussoles, et que tout ce que nous désirons est de réfréner la boulimie territoriale de l’État sioniste avec une efficacité démographique, pourquoi n’offrir que 80 % ? S’il n’y a que la force brutale pour trouver la solution, Dieu tout puissant, quel besoin d’offrir aujourd’hui ne serait-ce que 0,5 % aux Palestiniens. On n’a qu’à transporter Wadi Ara [une région d’Israël habitée par les Arabes] en Cisjordanie, on peut annexer la moitié de la Cisjordanie à Ma’aleh Adoumin et donner en échange quelques arpents de sable d’Halutza, on peut faire plus, encore plus. Si nous pensons que le rapport de force international et régional est le facteur décisif, on devrait donner aux Palestiniens juste une bande de terre, hermétiquement fermée par des barrières et des murs. Puisque on n’est pas guidé par des principes moraux et qu’on est des gens pragmatiques.
C’est vrai, il y a des Palestiniens à Ramallah qui sont prêts à s’en contenter. Nous savons qu’il y en a et qu’ils ont le droit de se faire entendre ; mais il est absolument inacceptable de réduire au silence les voix de la majorité palestinienne des camps de réfugiés, de la diaspora, des territoires occupés et de ceux qui sont des réfugiés à l’intérieur d’Israël, qui veulent leur part d’un État – pas d’un État bâti sur 20 % du pays, mais d’un État futur qui pourra s’étendre sur la totalité de la terre qui fut jadis la Palestine. Il n’y aura pas de réconciliation ni de justice ou de solution permanente, si nous ne laissons pas ces Palestiniens prendre part à la résolution des questions que pose la réconciliation et à la définition de la souveraineté, de l’identité et de l’avenir de cette terre.
À rebours de la plupart des groupes du monde occidental, et sans doute contre la logique de l’histoire de gens qui ont été les victimes de cent ans de mépris sioniste, ces Palestiniens nous surprennent en voulant inclure dans la définition du futur État une reconnaissance du droit des juifs à y vivre et à prendre part à son avenir. Même les Juifs qui viennent de débarquer de Saint-Pétersbourg et qui vont à l’église du Saint-Sépulcre, même leur présence, à ces juifs-là, est acceptable pour les Palestiniens. Et nous ne voulons pas qu’ils puissent revenir ? Eux qui sont prêts à ce que Lieberman reste ?
Qu’ils participent. Qu’on respecte leurs aspirations. Ne disons pas : « C’est nous qui décidons, nous à Tel-Aviv et à Ramallah. » Non, qu’ils décident, eux aussi.
Qu’au moins on voie ce que donne cette idée. Au moins essayons les deux idées et donnons-leur une chance, aux deux : l’idée de deux États à côté de l’idée d’un seul État.
Qu’on accorde quelque attention à cette idée nouvelle. La vieille idée, l’idée du partage, nous l’avons essayée pendant soixante ans. Le résultat fut l’exil, l’occupation, l’oppression, la discrimination. Mais pas la paix.
Que l’on donne sa chance à quelque chose d’autre.
N’ébauchons pas une constitution démocratique qui ne s’appliquerait qu’à Bak’ah-Ouest [une ville arabe d’Israël] en disant que nous n’avons rien à faire de l’avenir de Bak’ah-Est [ce fut à l’origine la même ville, qui est partagée par la ligne d’armistice en Cisjordanie]. Si ça nous concerne, Bak’ah-Est ne doit pas être enfermée dans une enclave ni être soumise à une dictature. Nous voulons que Bak’ah-Ouest fasse partie de l’État de tous les citoyens que nous voulons qu’Israël devienne, mais nous allons laisser Bak’ah-Est de l’autre côté du Mur, peut-être sous une occupation sans fin ? Comment pouvons-nous ?
Nous sommes liés par le sang, nous sommes liés par le sang et par une commune tragédie qu’on ne peut diviser. Nous sommes tous dans un seul et même imbroglio politique.
Celui qui a chassé, et ses fils et ses petits-fils, et celui qui a été chassé avec ses fils, ses petits-fils et ses petites-filles doivent prendre place tous ensemble à la table de négociation pour l’avenir de cette terre toute entière.
Au mieux nos élites politiques sont incompétentes, corrompues au pire, pour tout ce qui a à voir avec la solution du conflit. Les élites qui nous accompagnent dans le monde occidental et dans le monde arabe ne valent pas mieux. Quand elles jouent à être la société civile, simplement parce que certains politiciens ne sont pas au pouvoir, alors la bulle de Genève se met à flotter et la situation empire et la paix s’éloigne encore, si c’est possible.
Nous allons trouver un modèle alternatif. Nous tous, y compris les colons, les anciens et les nouveaux – même ceux qui sont là depuis hier -, avec les expulsés et tous leurs descendants et ceux qui sont restés après l’expulsion. Nous allons leur demander quelle structure politique leur conviendrait à tous, et elle inclurait les principes de justice, de réconciliation et de coexistence.
Offrons-leur un autre modèle, à côté de celui qui a échoué. À Bil’in, nous combattons épaule contre épaule contre l’occupation – ne pouvons-nous pas vivre ensemble, avec Bil’in dans le même État ? Quel voisin préférons-nous avoir : Bil’in ou Matityahou Mizrah ? [La colonie qui grandit au détriment des terres de Bil’in].
Pour conclure : pour que le dialogue puisse commencer et se développer, il y a encore quelque chose à accepter. Il faut que nous acceptions que l’occupation qu’ils renforcent de jour en jour, nous ne pouvons pas l’arrêter d’ici – quelle que soit l’importance de nos efforts. L’occupation est un pan du système idéologique à partir duquel on a pu mener l’épuration ethnique de 1948, suivant lequel on a massacré les Arabes de Kufr Qassem [en 1956], suivant lequel on a confisqué des terres en Galilée et en Cisjordanie, suivant lequel on arrête et on tue sans procès. La manifestation la plus meurtrière de cette idéologie se déroule dans le Grand-Jérusalem et en Cisjordanie. Pour mettre fin à ces crimes de guerre, à cette conduite criminelle, acceptons que nous avons besoin d’une pression extérieure sur l’État d’Israël. Remercions les associations de journalistes, de médecins et d’universitaires qui appellent à boycotter Israël aussi longtemps qu’il continuera sa politique criminelle. Utilisons l’aide de la société civile pour faire d’Israël un État paria aussi longtemps qu’il continuera à agir de la sorte. Ainsi, nous ici, quiconque est et veut être de cette terre, pourrons-nous mener un dialogue constructif et fructueux.
Le but pourrait être de créer une structure politique, qui nous absoudrait une fois pour toutes de la nécessité de vivre en guerre et permettrait de construire un avenir meilleur.
Merci à vous.

Zalman Amit : Je donne la parole à Uri Avnery.

Uri Avnery : C’est un grand honneur de parler devant un tel public, qui compte tant de vétérans du combat pour la paix.
Nous ne sommes pas à Rome dans une arène, et ce n’est pas un duel à mort entre deux gladiateurs. Illan Pappe et moi sommes des alliés dans le combat contre l’occupation. Nous combattons côte à côte mais nous avons un confrontation sur comment gagner. Sur quoi porte cette confrontation ?
Pas sur le passé. Je veux souscrire de tout mon cœur à tout ce qu’Illan vient de dire. Il ne peut pas y avoir de discussion sur le sionisme, qui a réalisé un projet historique et qui a aussi causé une injustice historique au peuple palestinien. Il n’y a pas de discussion sur le nettoyage ethnique de 1948 – mais je me permettrais de faire remarquer, entre parenthèses, qu’il y a eu un nettoyage ethnique des deux côtés, et que pas un juif n’est resté dans les territoires que la partie arabe a conquis.
L’occupation est une horreur qui doit finir. Il n’y a pas de discussion là-dessus, non. Il ne faut pas que nous discutions de l’avenir lointain, ou de ce que nous aimerions voir arriver dans cent ans. On pourra peut-être en parler plus tard ce soir.
Il faut que nous discutions de l’avenir proche. De la solution à ce conflit sanglant, dans un délai de vingt, de trente, voire de cinquante ans. Ce n’est pas une discussion théorique. On ne peut pas se contenter de dire : « Qui vivra verra, que chacun croit ce qu’il veut et que le mouvement de la paix aille en paix. » Il ne peut pas y avoir de compromis entre ces alternatives, parce que chacune engage une stratégie et des tactiques particulières. Pas après-demain, pas demain, mais ici et maintenant.
La différence est importante. Elle est cruciale. Par exemple : doit-on consacrer nos efforts à nous battre pour conquérir l’opinion publique israélienne, ou devons-nous abandonner la bataille intérieure et, au contraire, nous battre à l’extérieur ?
Je suis un Israélien. Je suis campé sur le sol de la réalité israélienne. Je veux changer cette réalité du tout au tout, mais je veux que cet État existe.
Ceux qui dénient l’existence de l’État d’Israël, en tant qu’entité qui exprime notre identité israélienne, se dénient la possibilité d’agir ici. Toute leur action est vouée à l’échec.
Une personne peut désespérer et dire qu’elle ne peut rien faire, que tout est perdu, que nous avons dépassé le point de non-retour. C’est ce qu’a dit Meron Benvenisti il y a plusieurs années déjà, la situation est irréversible, nous ne pouvons plus rien faire dans cet État.
Tu désespères parfois. Nous avons tous des moments pareils. Le désespoir détruit toute chance d’agir. Le désespoir ne doit pas devenir une idéologie. Je dis : il n’y a pas de place pour le désespoir, rien n’est perdu. Rien n’est irréversible, sauf la vie elle-même. Le point de non-retour, ça n’existe pas.
J’ai 83 ans. Durant le cours de ma vie, j’ai vu la montée du nazisme et sa fin, l’apogée de l’Union soviétique et sa chute brutale. La veille où le Mur est tombé [erreur à laquelle je tiens, du précédent prestigieux qui l’inspire, J.J.], il n’y avait pas d’Allemand pour croire qu’il vivrait pour le voir. Aucun expert ne l’avait prédit, aucun. Parce que sous la surface jouent des courants souterrains, et personne ne voit quand ils émergent. Voilà pourquoi les analyses théoriques sont rarement vraies.
Rien n’est perdu tant que les combattants ne lèvent pas les mains pour se rendre. Lever les mains n’est pas une solution. Dans notre situation, celui qui désespère a trois solutions : 1) l’émigration ; 2) l’émigration intérieure, ce qui revient à rester à la maison et ne rien faire ; 3) fuir vers un monde idéal de solutions messianiques. Des trois, la dernière est la plus dangereuse, parce que la situation est critique – particulièrement pour les Palestiniens. On n’a pas le temps pour une solution qui marchera dans cent ans. On a besoin d’une solution urgente, une solution qui marchera en quelques années – même si elle n’est pas l’idéal.
J’entends dire : Avnery est vieux, il tient à ses vieilles idées et ne peut en admettre de nouvelles. Et je m’émerveille : une nouvelle idée ? L’idée d’un seul État commun aux juifs et aux Arabes était déjà vieille quand j’étais enfant. Elle dominait dans les années 1930. Elle était inscrite sur la bannière, entre autres, du mouvement dont le siège nous accueille aujourd’hui, le mouvement Hakibbutz Ha’artzi. Mais elle a fait faillite et c’est l’idée de deux États qui domine dans la réalité actuelle.
Si je peux faire une remarque personnelle : je ne suis pas historien, j’ai vu les choses de mes propres yeux, entendu de mes propres oreilles, je les ai ressenties quand elles se produisaient.
Comme soldat pendant la guerre de 1948, comme directeur de journal pendant quarante ans, comme député à la Knesset pendant dix ans, comme militant du Gush Shalom. Je suis au cœur des choses, je les vois de différents points de vue, de points de vue changeants. J’ai le doigt sur le pouls du public.
Il y a trois questions fondamentales sur l’idée d’un seul État :
Premièrement, est-ce que ça a une chance d’être possible ?
Deuxièmement, si c’est possible, est-ce que c’est une bonne idée ?
Troisièmement, est-ce que ça apportera une paix juste ?
À la première question, pour moi, la réponse est claire et sans équivoque : non, ce n’est pas possible.
Qui est plongé jusqu’à la racine dans l’opinion publique juive d’Israël sait que l’aspiration la plus profonde – et sur ce point on peut généraliser -, de très loin, l’aspiration la plus profonde est le maintien d’un État jouissant d’une majorité juive, d’un État où les juifs seront les maîtres de leur destin. Ceci l’emporte sur tout autre vœu ou tout autre aspiration, ça l’emporte même sur la volonté d’avoir un Grand Israël.
Vous pouvez parler d’un État unique allant de la Méditerranée au Jourdain, le définir comme un État binational ou supranational – appelez-le comme vous voulez, cela signifie en pratique le démantèlement de l’État d’Israël, la destruction de tout ce qui a été construit depuis cinq générations. Il faut le dire fort, sans faux-fuyant. C’est exactement ce que voit l’opinion juive, et sûrement aussi une large partie de l’opinion palestinienne. Cela signifie le démantèlement de l’État d’Israël, je suis troublé par le fait que ces mots n’aient pas été dits clairement.
Nous voulons changer énormément de choses dans ce pays. Nous voulons changer son récit historique, sa définition courante de « juif et démocratique ». Nous voulons l’arrêt de l’occupation extérieure et de la discrimination intérieure. Nous voulons poser un nouveau cadre de relations entre l’État et ses citoyens arabes palestiniens. Mais nous ne pouvons ignorer le sentiment fondamental d’une vaste majorité des citoyens d’Israël. 99,99 % de l’opinion juive ne veut pas du démantèlement de l’État.
C’est une illusion de croire qu’on pourrait y arriver par des pressions de l’étranger. Les pressions de l’étranger peuvent-elles forcer ce peuple à abandonner son État ? Je suggère ce test, très simple. Pensez un moment à vos voisins, à vos collègues de travail, aux autres étudiants. Est-ce qu’aucun d’entre eux abandonnerait l’État parce que quelqu’un à l’étranger le lui demande ?
Des pressions de l’Europe, des pressions de la Maison-Blanche même ? À moins d’une défaite sur le champ de bataille, rien n’amènera les Israéliens à abandonner leur État. Et si Israël est battu notre discussion ne rimera à rien de toute façon.
Le peuple palestinien aussi veut un État à lui. C’est nécessaire pour la satisfaction de ses aspirations les plus fondamentales, retrouver sa fierté nationale et guérir de ses traumatismes. Même les leaders du Hamas avec qui j’ai parlé le veulent. Ceux qui pensent autrement rêvent éveillés. Il y a des Palestiniens qui parlent d’un État unique, mais pour eux ça veut simplement dire « démanteler Israël » en langage codé. Et ils savent bien que c’est une utopie.
Il y a ceux qui se leurrent en croyant que s’ils parlent d’un État binational, cela pourrait effrayer les Israéliens au point qu’ils consentiront immédiatement à la création d’un État palestinien à côté d’Israël. Ils obtiendront l’inverse. C’est vrai, cela effraye les Israéliens et ça les pousse vers l’extrême droite. Cela sort le nettoyage ethnique de la niche où il est tapi. Je suis d’accord avec Illan, il est dans sa niche, mais il est toujours là.
Partout dans le monde, le mouvement est inverse : pas la création d’États multinationaux, mais au contraire la division des États suivant les nationalités. Cette semaine, les élections écossaises ont été remportées par un parti qui veut la séparation d’avec la Grande-Bretagne. La minorité francophone du Canada balance toujours vers la sécession. Le Kosovo va devenir indépendant de la Serbie. L’Union soviétique est en morceaux, et la Tchétchénie veut se séparer de la Russie. La Yougoslavie est divisée. Chypre est divisée. Les Basques veulent leur indépendance. Le Sri Lanka est ravagé par la guerre civile, le Soudan aussi. En Indonésie, cela craque dans une douzaine d’endroits.
Il n’y a pas d’exemple au monde où deux peuples différents se sont réunis volontairement pour vivre en un seul État. Il n’y a pas d’exemple, mis à part la Suisse, d’un État binational ou d’un État multinational qui marche vraiment. Et l’exemple de la Suisse, où il a fallu des centaines d’années de persévérance, est l’exception qui confirme la règle.
Passer de l’état de guerre totale à l’état de paix totale dans un État unique, en renonçant totalement à l’indépendance nationale, après cent vingt ans de conflit, après que, dans les deux camps, une cinquième génération soit née dans le conflit ? C’est une illusion complète.
En pratique, comment est-on supposé y arriver ? Illan n’a pas dit un mot là-dessus. Ça me travaille. Je suppose que ça devrait être un peu comme ça : les Palestiniens vont renoncer à leur combat pour l’indépendance et leur désir d’un État national à eux. Ils vont annoncer qu’ils veulent vivre dans un État unique pour les deux peuples. Quand l’État existera, ils devront se battre dans son cadre pour leurs droits civils. Dans le monde, beaucoup de gens soutiendront généreusement leur lutte, comme ils l’ont fait dans le cas de l’Afrique du Sud. Israël sera boycotté, Israël sera isolé. Des millions de réfugiés reviendront dans le pays, jusqu’à ce que la roue tourne et que les Palestiniens assument le pouvoir.
Si c’était possible, en fin de compte, combien de temps cela prendrait ? Deux générations ? Trois générations ? Quatre générations ? Peut-on imaginer comment un tel État pourrait marcher en pratique ? Un habitant de Bi’ilin payant les mêmes impôts que celui de Kfar Sava ? Les habitants de Jénine et ceux de Netanya faisant ensemble la Constitution ? Les habitants de Hébron et les colons de Hébron servant côte à côte dans la même armée, dans la même police, obéissant aux mêmes lois ? Est-ce réaliste ? Ce n’est pas réaliste aujourd’hui, cela ne le sera pas demain.
Il y en a qui disent : ça existe déjà. Israël gouverne déjà un État qui va de la mer au fleuve, il suffit de changer le régime. Bon, d’abord, il n’y a rien de tout cela. Il y a un État occupant et un territoire occupé. Il est bien plus facile de démanteler une colonie, de démanteler des colonies, de démanteler toutes les colonies – bien plus facile que de forcer six millions de juifs israéliens à démanteler leur État.
Non, un État unique ne verra pas le jour. Mais demandons-nous : si cela arrivait, serait-ce une bonne chose ? Ma réponse est : certainement pas.
Imaginons cet État – pas une création imaginaire idéale, mais tel qu’il pourrait bien être en réalité. Dans cet État, les Israéliens domineraient. Ils dominent dans presque tous les domaines : niveau de vie, puissance militaire, capacité technologique. Le revenu par tête israélien est 25 fois – 25 fois ! – celui des Palestiniens, 20 000 dollars par an contre 800 dollars par an. Dans un tel État, les Palestiniens seront « coupeurs de bois et porteurs d’eau » pendant longtemps, très longtemps.
Ce sera l’occupation poursuivie par d’autres moyens, une occupation déguisée. Cela ne mettra pas un terme historique au conflit, cela le déplacera. Cette solution pourrait-elle apporter une paix juste ? De mon point de vue, exactement le contraire. Cet État sera un champ de bataille. Chaque côté voudra s’emparer d’un maximum de terre. Faire venir un maximum de gens. Les juifs feront tout pour empêcher les Palestiniens de gagner la majorité et prendre le pouvoir. En pratique, ce sera l’apartheid. Et si les Arabes arrivent à devenir la majorité et tentent de prendre démocratiquement le pouvoir, il y aura une lutte qui pourra aller jusqu’à la guerre civile. Un nouveau 1948.
Et puis les partisans de cette solution savent bien que la lutte pourra durer plusieurs générations, qu’il coulera beaucoup de sang et que nul ne sait ce qu’il en résultera. C’est une utopie. Pour y arriver, il faudrait renouveler le peuple – peut-être les deux peuples. Bâtir un autre type d’être humain. C’est ce que les communistes on voulu faire pendant les premières années de l’Union soviétique. Ce fut aussi le but des fondateurs du kibboutz. Malheureusement, vous pouvez changer bien des choses, mais pas la nature humaine.
Soyons précis : une belle utopie peut avoir des conséquences terribles. Soit la vision « du lion couché avec l’agneau » : il faudrait un nouvel agneau par jour. La solution de deux États est une solution pratique, la seule qui soit fondée sur la réalité. Il est ridicule de dire que cette idée a connu la défaite. Dans le domaine le plus important, le domaine des consciences, elle n’a cessé de se renforcer.
Après la guerre de 1948, nous étions une poignée, on pouvait nous compter sur les doigts d’une seule main, quand nous l’avons inscrite sur nos banderoles. Tout le monde déniait la moindre existence à un peuple palestinien. Je me rappelle de mes courses à travers Washington dans les années 1960, pour parler avec la Maison-Blanche et le Conseil national de Sécurité. On ne voulait pas en entendre parler. Aujourd’hui, le monde entier est d’accord pour reconnaître que c’est la seule solution. Les États-Unis, la Russie, l’Europe, l’opinion publique israélienne, l’opinion publique palestinienne, la Ligue arabe. Saisissez-vous ce que ça veut dire ? Le monde arabe dans sa totalité soutient cette solution maintenant. Ceci est d’une importance énorme pour l’avenir.
Ça s’est fait comment ? Pas par notre intelligence et notre talent à convaincre le monde entier. C’est la logique interne de cette solution qui a conquis le monde. D’accord, certains de ses partisans déclarés l’ont fait du bout des lèvres. Il est fort possible que ce soit pour eux un moyen de détourner l’attention de leurs intentions véritables. Ariel Sharon et Ehud Olmert prétendent soutenir cette idée, alors qu’en vérité, leur intention est d’empêcher la fin de l’occupation. Mais, justement, que de tels personnages aient besoin de se cacher derrière un tel paravent, qu’ils doivent paraître engagés à mener à bien cette solution prouve qu’ils savent que ce serait peine perdue de lutter contre elle. Quand les peuples, le monde entier, reconnaissent que c’est une solution faisable, il se pourrait qu’elle soit finalement adoptée.
Les paramètres en sont bien connus, et sur eux aussi il y a un accord dans le monde entier :
1) un État palestinien sera créé, côte à côte avec Israël ;
2) la frontière entre les deux États sera établie sur la Ligne verte [la frontière d’avant 1967], avec échanges possibles de territoires après accords ;
3) Jérusalem, capitale de chacun des deux États ;
4) il y aura un accord pour une solution au problème des réfugiés – ce qui voudra dire qu’un certain nombre reviendra en Israël et que les autres seront inclus dans l’État palestinien, ou là où ils résident actuellement, moyennant des compensations généreuses, sur le modèle par exemple de celles que nous avons eues des Allemands.
Je ne suis pas contre l’idée de demander aux réfugiés. Mettons sur la table la solution sur laquelle on se mettra d’accord – une solution détaillée, claire, telle que chacun des réfugiés puisse connaître les choix qui lui seront offerts – et demandons-leur. Ni Illan ni moi ne pouvons parler, de notre propre autorité, au nom des réfugiés. (J’ai, de fait, parlé avec des réfugiés quand j’étais au Liban, pendant la première aventure de Sharon). La grande majorité des réfugiés, d’après moi, si vous leur donnez les justes compensations qu’ils méritent préféreraient rester où ils sont. Parce qu’ils vivent là depuis soixante ans maintenant, et leurs fils et leurs filles se sont mariés là-bas, ils ont leurs commerces là-bas.
Le problème se posera pour quelques centaines de milliers pour qui il faudra trouver une solution, et je suis pour qu’ils soient partie prenante de la solution à trouver. Et même, je ne pense pas que ça soit si difficile. Si tout le reste est réglé et que le problème des réfugiés seul reste en plan, l’opinion publique acceptera un compromis. Je pense que c’est un pays qui compte derechef un million un quart de citoyens arabes palestiniens – et je pense que c’est une bonne chose comme ça -, et quelques-uns de plus ne feront pas une grosse différence.
5) Il y aura un partenariat économique entre les deux États, dans le cadre duquel le gouvernement palestinien sera à même de défendre les intérêts du peuple palestinien, à la différence de la situation actuelle. Le fait qu’il y aura deux États, par lui-même, contribuera jusqu’à un certain point à diminuer l’écart entre les deux parties. Cet écart existe. Nous pouvons le regretter, nous pouvons pleurer des larmes de sang, mais l’écart existe, et nous devons trouver une solution dans le monde tel qu’il est, réel, pas dans un monde imaginaire dont nous aurions aimé qu’il fut.
Nous devons trouver une solution dans le monde tel qu’il est.
6) À long terme, il devrait y avoir une Union du Moyen-Orient, sur le modèle de l’Union européenne, qui pourrait éventuellement inclure aussi la Turquie et l’Iran.
Il y a d’énormes obstacles. Ils sont bien réels. On ne peut les contourner. Ils ne sont rien – je veux mettre l’accent là-dessus – ils ne sont rien en comparaison avec les obstacles pour aller vers un État unique. Je voudrais dire que c’est de l’ordre de un pour mille. Choisir la solution d’un seul État, parce qu’il est difficile d’arriver à deux États, revient à être incapable de battre un poids léger et alors de choisir d’affronter un poids lourd ; ou d’échouer à courir un 800 mètres et de se lancer dans un marathon ou encore d’être incapable de gravir le mont Blanc et alors de partir plutôt à la conquête de l’Everest.
Sans doute, la solution de l’État unique donne à ses partisans une satisfaction morale. On m’a dit : OK, ce n’est peut-être pas réaliste, mais c’est moral. C’est ce que je veux pointer. Je respecte cette position, mais je dis : c’est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre. Quand on a affaire avec le destin de tant de gens, une position morale qui n’est pas réaliste est immorale. Il est important de le répéter : une posture morale qui n’est pas réaliste est immorale. Parce que le résultat final d’une telle posture est de perpétuer la situation en cours.
Illan Pappe : La solution d’un seul État n’est pas née du désespoir. C’est vrai qu’il y a du désespoir dans les élites politiques, oui – mais pas du désespoir en la nature humaine ou en la société civile. Le désespoir est le fait des politiciens qui vendent, commercialisent et revendent encore et encore la solution de deux États depuis maintenant soixante ans – et les résultats visibles sur le terrain sont : plus d’occupation, plus d’injustice, une violation plus grande et plus systématique, si faire se peut, des droits de l’homme et des droits civiques.
On peut espérer. Par exemple, vous voyez, en Galilée – où juifs et Arabes vivent dans une région qui échappe relativement au contrôle de l’État. Il est intéressant de noter que là où il y a une égalité démographique entre juifs et Arabes, il y a aussi des partenariats dans le commerce, des écoles communes, et soudain il se développe une vie ensemble entre les deux nationalités. Il en ressort que l’on peut combattre la ségrégation.
Pourquoi est-il possible de la combattre ? Vous savez pourquoi ? Parce que l’idée que le nationalisme doit l’emporter ici est le résultat de manipulations et de l’éducation – non de la nature humaine. Vous pouvez éduquer autrement.
Oui, il y a une différence énorme entre la solution de deux États et la solution d’un État. Pour deux États il faut des hommes politiques, pour un État il faut des éducateurs. D’éducateurs, on n’attend pas de résultat en un ou deux ans. Il arrive même que les éducateurs ne voient pas les résultats de leur travail de leur vivant. Ce que je peux me permettre, Yossi Bellin ne le peut pas : mourir sans savoir si les graines d’éducation à un État unique commun aux juifs et aux Arabes porteront leurs fruits. Un homme politique ne peut se permettre cela – pas parce qu’il veut que le conflit finisse, mais parce qu’il ne veut pas que sa carrière politique finisse.
Si l’irréaliste solution de deux États qui dit que les colonies devront être démantelées, était donc réalisable, qui ira démanteler Gilo ? Y a-t-il quelqu’un pour démanteler Gilo ? Mais de quoi parle-t-on ? Et qui va démanteler Ma’ale Adumim ? Mais de quoi parle-t-on ? Quelles colonies va-t-on démanteler ? Il n’y a pas de « colonies » dans la tête du public israélien dont nous parle Uri. Au fond, tout au fond de la conscience publique, Gilo est inséparable de l’État d’Israël – et si l’on ne démantèle pas Gilo, qu’on ne nous parle plus du tout de deux États.
Si quelqu’un pouvait me dire à quelles conditions Gilo pourrait être démantelé, je suis prêt à parler, à discuter de deux États. Sans ça, il n’y a rien à discuter. L’échange de territoires est une invention des diplomates israéliens. Pas un Palestinien sain d’esprit ne pourrait accepter, sur un si petit territoire.
La vraie formule de deux États – pas la formule utopique où Gilo fait partie de l’État palestinien, mais la vraie formule de deux États – est ce que nous voyons se mettre en place sous nos yeux. Ça veut dire 50 % de la Cisjordanie annexés par Israël et les 50 % restants être un bantoustan entouré de murs et de barrières, mais avec un drapeau palestinien. Ce sera ça l’État, plus, à ce qu’il semble, une espèce de tunnel qui le branchera avec cet autre camp de concentration qui s’appelle la bande de Gaza.
On signera sur le gazon de la Maison-Blanche, et le camp de la paix sioniste viendra dire : quoi qu’il en soit, c’est un peu mieux que ce qu’il y avait avant.
On a déjà vu où cette façon de penser nous amène.
Il nous faut des personnes qui se battent contre leur société. Des gens qui peuvent dire à leur société : désolé, mais le type d’idéologie collective que vous avez choisi est méprisable et on ne peut le conserver. Il ne répond pas aux critères moraux communs ni à ceux du judaïsme.
Cette idée que les juifs aient la préférence ethnique, la majorité ethnique, la supériorité ethnique – pour un État qui est supposé représenter les victimes de l’Holocauste. Dois-je supporter tout ça parce que c’est ce que la majorité pense ? Parce que c’est le résultat de l’éducation dispensée ? Même si je suis le seul Israélien à penser autrement, je continuerai à parler.
Qu’est-ce que tu essayes de dire ? Qu’au nom de la conscience collective, telle qu’elle était sous le régime de l’apartheid, il était interdit pour un Blanc de venir dire à haute voix ce qui ne sonnait sans doute pas comme réaliste dans les années 1960 et 1970, que l’apartheid était une idéologie méprisable.
Le sionisme n’est pas l’idéologie d’un mouvement national. C’est une idéologie ethnique qui prône la dépossession du peuple indigène et lui dénie la possibilité de continuer à vivre ici. Si ce n’est pas nous qui nous mettons à changer le discours, le grand public en tout cas ne le fera pas.
Il y a des points de non-retour dans l’Histoire ! Oui, il y a des points de non-retour dans l’Histoire. Je suis désolé de le dire, Uri, mais le génocide est un point de non-retour, un acte irréversible. Les exemples ne manquent pas.
Je te le dis, comme historien, il ne manque pas d’exemples historiques où le nettoyage ethnique a tourné au génocide. Tu devrais considérer les profondeurs de cette conscience nationale, cette conscience juive sur laquelle tu battis l’espoir de mener à bien la solution de deux États. Je n’aime pas aller y voir, le passage possible du nettoyage ethnique à l’extermination ethnique.
Dans la salle : Où est-ce que ça n’existe pas ? Où dans le monde n’est-ce pas comme ça ?
Illan Pappe : Je vais vous dire le pire. Si dans les vingt ans qui viennent nous n’en sommes pas venus à une solution alternative, et en vérité, le rapport des forces en faveur d’Israël va figer une situation où une moitié de la Cisjordanie sera annexée à Israël et où dans l’autre moitié les gens ne pourront subsister, il est fort possible que nous aurons effacé les Palestiniens de l’Histoire. Peut-être les aurons-nous effacés de toute conscience – mais alors le monde arabe et musulman nous effacera, même si cela doit prendre cent ou deux cents ans.
Nous devons penser une solution à long terme, pas seulement pour mettre fin à l’occupation, pas seulement pour trouver une solution pour les juifs et les Arabes dans ce pays, mais parce que tout l’avenir du peuple juif sera menacé si le projet sioniste réussit son achèvement. Le projet sioniste n’aura atteint son but que si la majorité dans ce pays est juive, et qu’il reste le moins de Palestiniens possible.
Quant à ce que les réfugiés veulent, il y a, en tout cas, un projet qui résume en quelque sorte leur désir politique. Ça s’appelle Civitas. Si tu regardes le résultat, Uri, tu verras des choses dérangeantes. La plupart des réfugiés veulent revenir. La plupart des réfugiés ne veulent pas d’argent.
Mais ce qu’il y a peut-être de plus important dans le procès de démocratisation dont on peut voir les prémices dans la communauté des réfugiés, c’est que la question la plus importante pour eux n’est ni le retour ni les compensations.
La question la plus importante qu’ils se posent est la suivante : pourquoi ne leur permet-on pas de participer à la définition de l’avenir de leur patrie ?
Que nous revenions, et même que nous ne revenions pas, laissez-nous prendre part aux décisions ! Il n’y a pas que les habitants de Jénine ou les habitants de Jaffa, laissez-nous participer à définir l’avenir du pays.
Dix minutes ont passé, je vais donc dire encore deux phrases.
Est-ce possible ? Ce n’est pas possible demain, ce n’est pas non plus possible après-demain. Je suis désolé de dire que ce sera d’autant moins possible que le projet sioniste réussira à créer ici un État sans Arabes. Ce qui est bien le plus possible ! C’est dans les plans, entre autres à cause de l’erreur du camp de la paix et du soutien à « deux États pour deux peuples ». Parce qu’en s’appuyant sur le slogan « deux États pour deux peuples », on peut parler de transfert de population, on peut parler de réduire le territoire palestinien, on peut nettoyer le territoire israélien de tout Palestinien. « Nous sommes ici et ils sont là », disait Ehoud Barak. Ils peuvent aussi nettoyer la minorité palestinienne d’Israël, au nom de l’idée sublime de deux États.
En tout cas, je ne pense pas que la pression de l’étranger sera ce qui, en fin de compte, permettra d’établir un seul État. Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que la pression de l’étranger peut amener la fin de la présence israélienne dans la vie des Palestiniens. Mais la fin de la présence militaire ne sera pas la fin du conflit.
Ce fut le rêve éveillé de Camp David en 2000, que la fin de l’occupation pourrait être la fin du conflit. Non. La fin de l’occupation pourrait simplement rendre possible une discussion réaliste, complète, juste sur la fin du conflit. La fin du conflit, dans un pays aussi petit, ne pourrait advenir que sur la base d’un seul État commun.
On peut citer des exemples historiques qui vont contre, mais on peut aussi citer des exemples historiques opposés. La même chose est vraie pour les exemples contemporains, on peut citer des cas d’un côté comme de l’autre. Le plus important, c’est les questions que nous nous posons – précisément nous, qui sommes nos partenaires pour un combat commun avec les Palestiniens. N’avons-nous pas de partenaires dans le camp palestinien pour construire ici un État commun ? N’y a-t-il pas de Palestiniens en Israël avec qui nous voulons construire un État commun ? N’y a-t-il pas de juifs en Israël avec qui nous ne voulons pas construire un État commun ? Donc séparons d’une part les juifs et les Arabes normaux et d’autre part les juifs et les Arabes qui sont des salauds. Arrêtons de traiter avec le discours nationaliste qui perpétue l’occupation, l’aliénation et l’oppression ! Merci.
Zalman Amit : Deuxième round, Uri Avnery a dix minutes pour réagir.
Uri Avnery : Je suis dans une situation quelque peu inconfortable – parce que, dans un débat entre l’émotion et la logique, les applaudissements vont toujours à l’émotion. Dans un débat entre une morale absolue et une morale relative, les applaudissements vont – et c’est juste – à la morale absolue.
J’ai écouté ce que tu as dit, Illan, avec attention, mais j’ai aussi écouté avec attention ce que tu n’as pas dit. Tu n’as pas dit comment tu feras pour démanteler l’État d’Israël. Tu n’as pas dit comment l’État unique verra le jour. Tu n’as pas décrit à quoi il ressemblera dans la réalité. Tu as décrit l’idéal. Excuse-moi pour la comparaison, mais ça me rappelle quelque peu l’utopie du livre du père fondateur du sionisme, Altneuland. Mais nous vivons dans la réalité, et nous savons comment les choses sont dans la réalité. Comment elles peuvent être dans la réalité et ce qu’on peut faire dans la réalité – et c’est ça qui compte.
Il y a beaucoup de gens bien en Israël. Beaucoup qui font de bonnes choses. Il y a cent organisations qui luttent pour la paix, chacune d’entres elles fait des choses importantes dans son domaine. Il y a des enseignants qui éduquent à la coexistence judéo-arabe, il y a des jardins d’enfants qui préparent à ça encore plus tôt dans la vie, tout cela est vrai. Mais tu as dit toi-même qu’ils ne verront pas de leur vivant la solution que tu proposes. Tu proposes de planter un amandier dont tes petits-enfants goûteront les fruits.
Mais, Dieu tout-puissant, tout cela me fait terriblement peur. Tu parles de nettoyage ethnique, du danger terrible de nettoyage ethnique, Tu parles des terribles dangers qui menacent le peuple palestinien dans la réalité présente, et je vois la situation sous des traits aussi sombres que toi. Je suis peut-être encore plus pessimiste que toi. Dans cette réalité, nous n’avons pas cinquante ans pour attendre une solution !
J’ai dit qu’il n’y a pas de compromis possible entre des positions antagoniques. Mais je t’offre néanmoins un compromis : travaille avec nous à la création de deux États. Quand les deux États seront là, après que ces dangers auront été écartés, combattons ensemble pour les réunir dans un seul État commun.
Je suis sérieux. Se battre pour que les deux États en deviennent qu’un seul, volontairement, je l’espère de tout mon cœur – et j’en ai parlé avec Arafat, et plus qu’une fois ou deux – qu’entre l’État israélien et l’État palestinien il faudra une sorte de fédération, un partenariat entre les deux États avec des frontières ouvertes et une économie intégrée – avec, bien sûr, des garanties pour l’économie palestinienne.
Lors de notre première rencontre avec Arafat, pendant le siège de Beyrouth, il m’a parlé d’une solution de type « Benelux » (les plus vieux se rappelleront le Benelux, l’accord d’unité entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg).
Arafat pensait à une alliance tripartite – Israël, Palestine et Jordanie – qui pourrait inclure le Liban aussi. La dernière fois que nous nous sommes vus, il en a encore parlé.
C’est une perspective importante et riche. Mais nous avons, pour le moment, un malade, là, devant nous, un malade qui souffre de blessures graves et qui saigne. L’urgence est de stopper l’hémorragie, de trouver une solution, non pas idéale, mais réelle et qu’on puisse réaliser.
Pour mettre un terme à cette partie du débat, je ne pense pas que le camp de la paix ait perdu ni qu’il ait failli. Ce qui se passe ici est beaucoup plus complexe. Il y a ce qui arrive sur le terrain et ce qui arrive dans les profondeurs.
C’est bien vrai. Sur le terrain, ce qu’on voit est une réalité terrible, pire de jour en jour – si faire se peut et nous savons que c’est toujours possible. Nous nous y affrontons tous les jours.
Mais, dans les profondeurs, c’est autre chose.
Il y a eu un moment où 99 % du public juif israélien niait purement et simplement l’existence du peuple palestinien – aujourd’hui, personne ne parlera plus comme ça. Il est arrivé que l’immense majorité était contre la création d’un État palestinien. Aujourd’hui, d’après les sondages, en Israël, la grande majorité l’accepte dans le cadre d’une solution.
Quand nous avons dit qu’Israël devait parler avec l’OLP, ils ont dit que nous étions des traîtres. Et puis le gouvernement a conclu un accord avec l’OLP. Aujourd’hui, nous disons qu’il faut parler avec le Hamas. Je suis sûr qu’Israël va parler avec le Hamas, et même qu’il ne faudra pas attendre trop longtemps.
Nous avons dit que Jérusalem devait être la capitale des deux États. C’était terrible, inacceptable. Jérusalem est la capitale éternelle et unifiée d’Israël, bla-bla-bla. Mais quand Ehoud Barak a proposé une façon de partager Jérusalem – qu’importe qu’il y ait cru ou pas ni même ce à quoi il pouvait bien croire -, quelle a été la réaction du public ? Le silence.
Quelque chose change dans ce pays. Les changements en profondeur de l’opinion publique sont vitaux pour une solution. Nous allons gagner, je le crois. Je pense que le mouvement de l’Histoire va dans notre direction.
Ce n’est pas facile, les obstacles sont énormes. Mais je ne suis pas un optimisme écervelé. Mon optimisme repose sur la réalité. Je pense que nous allons vers la création d’un État palestinien à côté d’Israël. Je pense que la Palestine sera un État national dont on sera fier.
Je sais que pour beaucoup de gens « national » et « nationalisme » sont des mots sales. On pourrait faire un autre grand débat là-dessus, qui nous prendrait toute une autre soirée, mais je ne dirai que ceci : qui ignore l’énorme pouvoir du sentiment national vit loin de la réalité. La réalité est nationaliste.
On ne peut extirper le sentiment national du cœur des peuples, il va trop profond. Ce n’est pas un mois qu’il faudrait ni une année ou deux, ce sont des siècles. Même en Europe, après soixante ans d’unification européenne, regardez ce qu’il se passe dans les stades. Regardez ce qu’il se passe quand on touche au sentiment national – même en Europe. Le nationalisme est un fait, il existe, nous devons le prendre en considération.
Il n’est pas rationnel d’ignorer l’élément irrationnel en politique. L’irrationalité existe. Il est rationnel de prendre en compte l’irrationnel. Nous devons penser comment, malgré l’irrationalité, nous pouvons arriver à une solution qui nous permette de vivre.
Zalman Amit : On en arrive au moment où je vais pouvoir justifier ma paie comme modérateur. Je vous préviens qu’on ne pourra présenter toutes les questions, ça prendrait bien plus que le quart d’heure prévu pour les questions et les réponses, mais je vais faire du mieux possible et je compte sur vous.
Première question, elle est pour Illan, posée par Moshe Bokai :
– La résolution 181 de l’ONU est le document sur la base duquel l’État d’Israël a été proclamé. La résolution a fixé aussi les frontières des deux pays. Quelqu’un d’autre que l’ONU peut-il abolir cette résolution ?
Illan Pappe : Quelqu’un d’autre que l’ONU peut-il abolir cette résolution ? Certainement. Les Israéliens et les Palestiniens peuvent abolir cette résolution par toute procédure historique commune, si seulement ils le veulent. Ce n’est pas un problème. Il n’y a rien de sacré dans cette résolution, rien – sauf à répéter l’erreur sur laquelle est fondée cette résolution. L’idée erronée que, bien que la population d’origine du pays, soit 66 % de la population totale, n’acceptait pas leur solution – la communauté internationale et les Nations unies pensaient justifié d’imposer à la population indigène cette solution qu’elle trouvait inacceptable. Donc, bien sûr, cette solution doit être abolie. Elle n’a pas un statut d’engagement légal, c’est un statut spécial. Ce qui fera la décision finale sera ce que décideront les gens qui étaient là et les gens qui y sont.
Zalman Amit : Une autre question pour vous :
– Vous parlez d’un colonialisme criminel perpétré par le peuple juif sous la forme du sionisme. Cela ne signifie-t-il pas que vous déniez les droits du peuple juif dans le passé et naturellement aussi aujourd’hui ? Cela ne signifie-t-il pas qu’il ne doit pas y avoir de discussion sur un État pour deux peuples, mais plutôt d’un État pour un seul peuple, le peuple palestinien ?
Illan Pappe : Je ne dénie pas le droit du peuple juif à avoir un État, pas plus que je ne dénie le droit du peuple palestinien à avoir un État. Ce que je dénie, c’est le droit du peuple juif à déposséder le peuple palestinien de sa patrie. Si la solution politique qui sera proposée avait pour conséquence de permettre au peuple juif de continuer de déposséder le peuple palestinien, cela serait non seulement moralement inacceptable – cela signifierait aussi que le conflit continuerait. De fait, ce que je recherche, c’est une solution qui aura pour conséquence de permettre à tout le monde de vivre où il ressent que ses droits historiques sont respectés, et que ses droits civils et humains sont, aussi, respectés. Si ça, c’est de la moralité absolue, je n’ai aucune envie de savoir ce qu’est la morale relative.
Zalman Amit : La question qui suit est pour Uri Avnery :
– Étant donné que les juifs ont été persécutés tout au long de leur histoire, est-ce que l’existence d’un État où la majorité est juive n’est pas une provocation à un nouvel Holocauste, à l’ombre de la menace iranienne ?
Uri Avnery : On n’a pas le temps, ce soir, pour une discussion détaillée sur ce qu’il s’est passé dans ce pays ces cent dernières années, et même ces vingt dernières années. C’est une longue histoire, une histoire compliquée, une histoire difficile, une histoire tragique – et encore, ce n’est pas une histoire, mais deux histoires, deux récits, l’un israélien, l’autre palestinien. En faire le tour demanderait une autre soirée, que dis-je une soirée, une semaine ou un mois.
Au Gush Shalom, nous avons fait l’effort d’écrire une tentative de récit commun israélo-palestinien sur comment le conflit est né, et comment il s’est développé jusqu’à aujourd’hui. Vous trouverez ça dans une brochure qui est sur une table, son titre est Vérité contre vérité. Si vous voulez, vous pouvez la lire.
La bombe iranienne : bon, quand il y a eu des juifs qui ont voulu être une nation et créer un État, ils ont pris un risque énorme. Les juifs avaient un mode de vie traditionnel, et c’était très simple – quand des juifs étaient en danger, ils faisaient leurs paquets et ils levaient le camp. Ils ont survécu très bien comme ça -, bon, pas si bien que ça, mais enfin, ils ont survécu comme ça, deux mille ans.
Quand nos ancêtres ont décidé de créer un État, ils ont pris un risque calculé. Ils ont fait retour dans l’arène de l’Histoire, et l’arène de l’Histoire est un endroit dangereux. Tout peuple affronte des dangers. Pendant la guerre froide, les États-Unis affrontaient à tout moment le danger d’une guerre atomique où deux cents millions d’Américains pouvaient périr en cinq minutes. Voilà le prix de vivre dans l’Histoire.
Je n’ai pas peur de la bombe iranienne. Pour l’essentiel, c’est une hystérie fabriquée, je pense, un fragment de la diabolisation du peuple iranien. Les Iraniens sont des gens normaux, comme tout le monde. Le peuple iranien n’est pas plus fou que le peuple israélien.
Illan Pappe : C’est le moins qu’on puisse dire.
Uri Avnery : Juste. Le régime iranien n’est pas fou, même si le président se conduit parfois d’une manière un peu étrange. S’ils ont la bombe nucléaire – ce n’est pas ce que je veux – s’ils ont la bombe nucléaire, ils ne l’utiliseront pas. Ils auront une bombe et nous aurons une bombe. Ils n’utiliseront pas la leur parce qu’ils connaissent le prix, et nous n’utiliserons pas la nôtre parce que nous connaissons le prix. Nous vivrons en danger comme beaucoup d’autres nations qui vivent en danger de multiples façons.
Le plus grand danger, c’est la manipulation de l’Holocauste. Il faut condamner qui cite l’Holocauste, dans quelque contexte politique que ce soit. Tiens, si vous voulez un témoignage de première main sur l’Iran, lisez ce qu’a écrit ce type qui a atterri par erreur à Téhéran, et qui a été traité comme un prince – alors que tout le monde savait qu’il était Israélien.
Zalman Amit : Ne partez pas, j’ai encore une question pour vous, de Rami Nashef, de Machsom News Website.
– Comment définiriez-vous le statut des citoyens arabes dans un État juif dans le cadre de la solution de deux États. Les membres arabes de la Knesset devraient-ils s’attendre à un avenir qui ressemblerait au présent d’Azmi Bishara ?
Uri Avnery : Je vis dans cet État depuis son premier jour, et depuis son premier jour, j’ai critiqué qu’il soit défini comme un « État juif ». Je ne sais pas ce que ça veut dire. Je ne sais pas ce qu’est un État juif. Personne ne m’a jamais expliqué ce qu’est un État juif. J’ai passé dix ans à la Knesset, je n’ai jamais participé à aucune discussion sérieuse sur la définition de ce qu’est un État juif.
C’est quoi ? Un État qui prône des valeurs juives ? Un État basé sur la religion juive ? Un État où il y a une majorité juive ? L’État de tous les juifs du monde, onze millions de gens – certains faisant partie de la nation américaine, d’autres de la nation française (et qui ont voté cette semaine pour Sarkozy) ? C’est quoi un État juif ?
Il y a bien des années, quand je parlais encore avec Ariel Sharon, nous avons eu un débat très serré sur ce point – est-ce un État juif ou un État israélien ? Je fais partie d’un groupe de citoyens qui ont formulé une requête auprès de la Cours suprême pour que l’on enlève la mention « nationalité : juif » sur nos cartes d’identité et qu’on la remplace par « nationalité : Israélien ». Donc, pour moi, cette question est tout à fait hors de propos.
Le projet arabe qui vient d’être édité à Nazareth me paraît acceptable pour l’essentiel. Je pense qu’il peut servir de base à une discussion sérieuse. [Je pense qu’il s’agit du préprojet de Constitution démocratique proposé par l’association de juristes palestiniens d’Israël Adalah en février 2007. Une traduction existe en français sur le site d’Adalah, note de J. J.]
J’ai dit plus tôt qu’on devrait établir un cadre nouveau pour les relations entre l’État et ses citoyens arabes. Je pense que ce document peut initier une discussion sur de nouvelles bases. Je ne peux qu’applaudir ses auteurs.
Zalman Amit : Deux nouvelles questions pour Illan. La première est en fait trois petites questions de Yehezkel Dolev.
– Quand donc la nostalgie pour Sion et le désir de recoloniser le pays ont-ils commencé ? Les Arabes d’Eretz Israël sont-ils les descendants des Philistins, qui furent exterminés il y a trois mille ans par le roi Saül et le roi David ? Et est-ce que le Coran contient une mention du droit du peuple juif sur la Terre sainte ?


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