Un mot d’éloge pour l’activité des «Anarchistes contre le mur» – Michel Warschawski

L’une des seules satisfactions, ces dernières années, dans ce qu’on appelle le camp de la gauche israélienne contre l’occupation est l’apparition des « Anarchistes contre le mur ». A part la Coalition des Femmes qui déploie de grands efforts pour garder la tête hors de l’eau, tous les autres mouvements ont pratiquement cessé d’exister (comme Gush Shalom et Ta’ayush) ou, dans le meilleur des cas, ont perdu au moins la force dynamique qui les caractérisait il y a quatre ans. Je parle naturellement des mouvements et non pas des partis politiques ou des ONG pour lesquels il faudrait une discussion séparée.

Les « Anarchistes contre le mur » sont un mouvement jeune -premier avantage- et un mouvement actif -second avantage- qui réussit à entraîner, par ses initiatives et ses actions hebdomadaires contre le mur de ségrégation, le reste des autres groupes et leurs « réfugiés ». Qu’ont donc ces « Anarchistes contre le mur » qui les transforme en cet acteur combatif et énergique que nous connaissons ?

Premièrement, une perception très saine de ce qui est bien et de ce qui est mal ; un sens qui leur a permis, bien avant les autres, d’identifier le mur comme un symbole du mal de l’occupation, et en général, du mal de cette période mondiale qui se construit sur des murs et l’apartheid. Deuxièmement, une volonté de sacrifice et la capacité de surmonter leurs craintes (y compris la peur de nos calomniateurs et détracteurs), ce qui nous paralyse par moment. Troisièmement, un contact franc avec les jeunes Palestiniens de leur âge qui permet une coopération beaucoup plus « cool » que celle que nous avons connue à la génération précédente, quand la coopération palestino-israélienne nécessitait de longues journées de discussion et des accords politiques.

On prétend parmi les militants de la vieille gauche qu’ « ils n’ont pas d’idéologie » et en plus qu’ « ils ne savent même pas ce qu’est l’anarchisme ! ». C’est bien possible. Cependant, au lieu d’adopter cette attitude condescendante, ces mêmes militants devraient plutôt s’interroger eux-mêmes (en réalité : nous-mêmes – car j’appartiens certainement à cette catégorie politico-générationnelle) : pourquoi la vieille gauche n’a-t-elle pas eu la capacité d’apporter une réponse et un cadre idéologique à la génération qui suivait ? Pourquoi la génération des « Anarchistes contre le mur » ne se voit-elle pas elle-même – pour la plupart d’entre eux – comme le prolongement de ce qui existait avant ?

Cet espace entre les générations n’est pas spécifique à Israël, et on peut trouver dans tous les coins du monde ce qui caractérise la nouvelle génération de militants politiques israéliens. Pourtant, il y a une différence importante : dans les autres parties du monde, ou au moins dans la plupart, la génération des vétérans a su donner une place centrale à la nouvelle génération de jeunes filles et de jeunes hommes militants.

Ce n’est pas le cas avec nous. A la suite de la manifestation centrale contre la guerre au Liban, l’été dernier, il y a un an exactement, je faisais observer à la coordination des organisations contre la guerre et dans des articles publics ce fait ridicule et triste : à la tribune, se tenaient des vétérans et ils faisaient des discours sur la première guerre du Liban, et non des représentants des militants d’aujourd’hui, au premier rang des luttes actuelles contre la guerre et l’occupation. A la place des « refuzniks » de la seconde guerre du Liban, par exemple, on voyait l’un des dirigeants de Yesh Gvul de 1982 sur la scène ! Ces gens refusent de quitter le devant de la scène – j’écris le devant de la scène et non pas toute la scène, car ils ont/nous avons encore beaucoup à faire pour participer, comme simples soldats ou, quelquefois, comme ayant une riche et même une magnifique expérience.

Des facteurs creusent le fossé avec cette jeune génération que « les Anarchistes contre le mur » symbolisent si bien : contrairement à leurs prédécesseurs, ils ne prennent pas ombrage et n’essaient pas de se battre pour prendre leur place légitime à ces mêmes tribunes ou dans les réunions interminables de la coordination, ils préfèrent prendre leur distance d’eux-mêmes, en tant que mouvement, à l’égard de « la politique des vieux » et mener leurs campagnes eux-mêmes, sans lien organique ou idéologique avec l’ensemble du mouvement.

Une honte, une véritable honte, mais nous ne pouvons pas nous en prendre à eux, simplement à nous-mêmes. Il y a deux choses que nous devrions essayer d’apprendre : d’abord, ce qu’est la nouvelle politique de la génération Seattle et Bil’in. Elle n’est pas la même que notre politique, ni dans sa forme, ni dans ses motivations : la leur ne repose pas sur la tradition et ils accumulent une expérience verticale mais sur une expérience internationale horizontale ; elle ne provient pas d’un codex constitué sur plus de 150 ans, définissant les frontières entre le bien et le mal, le juste et l’injuste dans les luttes de la Révolution française, de la Commune de Paris, des révolutions du 20è siècle et dans le combat contre le
fascisme, elle découle de sentiments personnels profonds qui généralement ne manquent pas leur cible. Ils manifestent parce que leur conscience exige de manifester et cette boussole de leur conscience est presque la seule qui les dirige dans l’action.

Elle ne prend pas non plus en considération les avis d’une « opinion publique flottante ». Non seulement la politique de nos anarchistes n’a aucun tabou dans les choix de ses mots d’ordre (avec quelle aisance ils clament « Nous ne tuerons pas et nous ne mourrons pas sur l’autel du sionisme ! »), mais ils ne prennent pas davantage en considération les tabous de leurs partenaires dans la lutte, lesquels, contrairement à eux, ont peur de ce qui va être écrit dans la presse (qui dans tous les cas en écrit de moins en moins) ou de ce que les députés de la Knesset du Meretz ou les réfugiés de la Paix maintenant vont penser… lesquels, de toute façon, se voient contraints de défiler avec ces mêmes anarchistes.

Je ne sais pas si toutes ces particularités de la politique de la nouvelle génération sont bonnes pour notre combat, et si cette expérience historique à laquelle ils ne prêtent aucune attention peut servir à améliorer notre combat. D’un autre côté, je sais parfaitement qu’elle ne les intéresse pas et qu’ils mènent leurs combats sans en tenir compte.

De cela, il y a une seconde leçon que nous devrions tirer : plus de modestie et moins d’attitude condescendante nous aideraient à comprendre non seulement pourquoi nous ne réussissons pas à « passer le flambeau » à la génération qui vient après nous – et qui est obligée de rallumer la flamme elle-même – mais aussi ce qu’est un militant dans ce monde du 21è siècle, et auparavant, quels défis sont posés au mouvement social que tous, nous voulons renforcer et voir réussir.

N’était-ce pas l’objectif des différents forums sociaux – du Forum social mondial aux forums à thèmes, forums régionaux et locaux – qui sont parvenus à monter des plateformes pour des débats horizontaux et des stratégies, des plateformes multidisciplinaires, mais aussi pluri-générationnelles ? La réussite des forums sociaux a été rendue possible seulement grâce à une révolution culturelle d’une sorte la plus profonde, d’une génération plus ancienne, et à cette volonté des génération d’apprendre une nouvelle praxis de démocratie, à la fois d’actions et de débats. Sans cette révolution, il est plus que certain que la jeunesse de Seattle et Gênes ne serait pas parvenue à la création, par nous tous, d’un anti-Davos et un anti-Porto Allegre.

Ici, en Israël, la révolution culturelle est toujours devant nous. Et jusqu’à ce qu’elle soit là, nous devons apprendre la modestie et la capacité à écouter, aller manifester à Bil’in et à Kfar Shalem, au check-point d’A-Ram et à Abu Dis, derrière les Anarchistes qui s’écrient « Derrière nous » et qui ouvrent la voie à un nouveau combat contre l’occupation et à une véritable coopération entre les peuples de la terre.

5 septembre 2007 – Alternative Information Center – traduction : JPP

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