Un Grand Rabbin de France antisioniste

Article publié dans le n° 101 de la revue Tsedek de janvier 1970 (page 1 à 3)

Extrait de L’Univers Israélite du 23 Août 1907.

LE SIONISME ET L’HISTOIRE JUIVE

par le Grand Rabbin Maurice Liber1

Deux Congrès se tiennent à la Haye : celui de la Paix et celui du Sionisme. Les sionistes se sont mis sous le patronage des diplomates et des politiciens. C’est avec intention qu’ils ont choisi cette année La Haye pour y tenir leurs assises; ils espèrent tirer de ce voisinage un peu de prestige et de publicité

Mais en même temps qu’une manifestation, c’est de leur part une revendication. En face des représentants des nations constituées se posent les délégués de ceux qui veulent constituer une nation. « Vous formez bien des peuples: pourquoi pas nous? »

Là est tout le programme du sionisme, qui est avant tout un parti national. Ce mouvement est-il légitime ? C’est à l’histoire de répondre. Elle seule peut nous dire si le sionisme est conforme à l’esprit et à la tradition du judaïsme, s’il a vraiment ses racines dans le passé de celui-ci et s’il est l’aboutissement logique de l’évolution des siècles. Jetons donc un coup d’œil sur notre histoire pour voir si elle justifie le sionisme .

Nous pouvons glisser sur les origines, qui sont insuffisamment connues. L’ancien Israël formait-il un Etat au sens où nous entendons ce mot ? Ce qui est sûr, c’est que sa vie nationale fut exempte de tranquillité autant que de splendeur et que l’élite du peuple nourrit de bonne heure des espérances qui dépassaient l’étroit horizon politique. Les prophètes étaient en avance sur leur temps et peut-être sur le nôtre, car de nos jours, Isaïe serait traité d’internationaliste et Jérémie de traître à la patrie

Il est probable que sans eux, le judaïsme aurait péri avec le royaume de Juda, et les Hébreux ne compteraient plus que parmi les peuples vaincus par Babylone. Ce fut le contraire qui arriva. Les Judéens supportèrent l’épreuve de l’exil et loin de se dissoudre et de s’assimiler au milieu des vainqueurs, ils prirent conscience de leur rôle et mirent en application les réformes morales prêchées par les prophètes.

Quand Cyrus mit fin à leur exil, ce ne fut pas une nation, mais une communauté religieuse qui se reconstitua en Palestine et le restaurateur du judaïsme fut un « scribe », ou plutôt un docteur, Ezra. Ezra et Néhémie unirent leurs efforts pour établir, non un Etat politique, mais « l’assemblée d’Israël », régie par la Tora et soustraite à l’influence du paganisme. L’Eglise juive s’est élevée sur les ruines de l’Etat ; la politique a fait place à la religion et à la morale.

Sous la direction des prêtres et des rabbins, le judaïsme vécut ainsi paisiblement jusqu’au temps où les conquêtes de l’hellénisme menacèrent l’édifice de plusieurs siècles. Quand la persécution violente a été déchainée par les rois syriens, une partie du peuple résista, conduite par les « pieux », les Hassidim. Ce fut un prêtre, Matatias, qui donna le signal de la révolte armée, et son fils Juda, enflammé par l’enthousiasme religieux, parvint à repousser l’ennemi et à rétablir le culte du Temple. Ces brillants exploits sont comme un point lumineux dans le ciel de l’histoire juive et Juda Macchabée est devenu pour beaucoup un héros national. Or la tradition juive a oublié Juda, et, si le christianisme n’avait conservé les Apocryphes dans sa Bible, nous ne connaitrions même pas son nom. Qu’est-ce que les sionistes ont à répondre à cela ?

D’où vient, cependant, cet oubli, on dirait presque cette ingratitude ? C’est que les juifs d’alors, pour sauvegarder leur foi menacée, avaient jugé nécessaire de se constituer, comme leurs voisins, en Etat indépendant avec ses rouages politiques, un roi, une armée. C’était un retour de nationalisme ; ce fut la chute à l’abîme. Après Juda Macchabée, Jean Hyrcan ; après Jean Hyrcan, Hérode; après Hérode, la catastrophe finale où devait sombrer le peuple juif. Cette gloire était éclaboussée de sang. La destinée et l’avenir du judaïsme étaient ailleurs. –

Cette fois encore, ce fut un rabbin, Yohanan ben ZaccaT, qui le sauva. Grâce à l’activité de ses docteurs, le judaïsme se survécut en quelque sorte à lui-même et put se maintenir dans des conditions auxquelles aucun peuple n’aurait résisté longtemps, en remplaçant les cadres politiques par les liens spirituels, en se réfugiant et en se concentrant dans le domaine intellectuel et religieux. Pendant cinq siècles les juifs avaient fait toutes les expériences politiques. L’hégémonie perse, la domination grecque, l’indépendance nationale, la tyrannie d’Hérode, l’oppression des procurateurs, ils n’avaient pu s’accommoder d’aucun régime et les exaltés s’étaient jetés dans des aventures où s’engouffrèrent leurs espérances et leur idéal. L’esprit du judaïsme n’était pas là; il était dans ces paisibles écoles de Jérusalem, où l’on se préparait, par la piété et l’étude de la Loi, « à l’avènement du royaume de Dieu »; il était dans les cercles lettrés d’Alexandrie, d’où partit le puissant mouvement d’évangélisation qui devait gagner le monde païen aux idées bibliques. C’est ainsi que le judaïsme a pris sa revanche et que le vaincu a conquis ses vainqueurs.

En effet, pendant que les Asmonéens constituaient un Etat autonome, les juifs essaimaient de plus en plus au dehors et la Diaspora devenait comme le contre-poids du nationalisme palestinien. L’indépendance politique dans un pays distinct était si peu nécessaire à ce peuple que c’est à l’étranger, en Egypte surtout, que la floraison littéraire et philosophique fut la plus brillante.

Après la destruction de Jérusalem, la Palestine cessa bientôt d’être le centre de gravité. du judaïsme, et celui-ci put dire un adieu définitif aux espérances nationales; l’insurrection de Bar-Cokhba ne fut que la dernière convulsion du patriotisme expirant.

Les juifs se répandirent partout. Ils devinrent citoyens de l’empire romain, et contribuèrent à sa prospérité par leur activité industrielle, commerciale, agricole. Mais tandis qu’en Babylonie, sous le gouvernement des Perses, puis des Arabes, se poursuivait la littérature talmudique et rabbinique, en Europe le christianisme, auquel les Juifs avaient frayé la voie, asseyait sa domination et se mettait à les persécuter. L’Espagne lui échappait d’abord; dans ce pays, les juifs eurent les mêmes droits que leurs concitoyens. Même en France et en Allemagne, ils furent longtemps mêlés à la société et contribuèrent à la prospérité du pays. Ce ne fut qu’à partir des Croisades que l’Eglise s’empara des esprits et assura sa victoire en refoulant les juifs.

Au moment où l’aurore des temps modernes commençait à luire sur la chrétienté, le Moyen-âge s’ouvrait pour les juifs, parqués dans les ghettos, voués au mépris, traités comme des parias. Eux qui avaient précédé les Francs et les Germains, on les considéra comme formant un état ou plutôt une colonie dans l’état. On en fit une nation étrangère, pour mieux pouvoir s’acharner sur eux. Ils furent mis hors du droit commun, au ban de la chrétienté, c’est à dire de la société.

Les juifs avaient été les victimes de l’absolutisme clérical. Il était juste qu’ils fussent les bénéficiaires de la Révolution libératrice. Ce sont les philosophes du XVIIIe s. qui ont préparé la Révolution; les Voltaire et les Diderot ont beau nourrir les préjugés héréditaires contre un peuple qu’ils ne connaissent pas: leur philosophie triomphera de leurs préjugés. Le philosophe Mendelssohn se met à la tête de ce mouvement d’affranchissement, d’autant plus fécond que le signal est donné par un juif .

Si l’émancipation intérieure partit d’Allemagne, c’est en France que fut proclamée l’émancipation politique. Mirabeau et l’abbé Grégoire poursuivent l’œuvre de Mendelssohn, et après deux ans d’efforts les juifs conquirent les droits de citoyens. En les acceptant, en les sollicitant, ils retrouvèrent une patrie, ils devinrent les fils de la France nouvelle, et ils renoncèrent à des espérances qui, à l’époque de la servitude, avaient été pour eux une consolation et comme un mirage. Les historiens se demandent parfois à quel moment s’arrête la Révolution. La Révolution? mais elle n’est pas encore terminée aujourd’hui, à l’étranger surtout. Beaucoup de pays sont restés en route; la Russie vient seulement d’entrer dans le mouvement. Mais partout la victoire des idées libérales a eu pour effet l’affranchissement des juifs, et chaque fois qu’une réaction s’est produite, on a mis en question leurs droits de citoyens. Les conquêtes de la liberté et de l’égalité sont lentes, mais elle sont d’autant plus sûres. Le judaïsme a contribué pour sa part à jeter ces idées dans le monde; là où il a semé dans les larmes, il doit récolter dans la joie .

L’histoire du judaïsme est l’histoire d’une dénationalisation progressive, s’il on peut s’exprimer d’une façon aussi barbare. Les juifs ont commencé par perdre leur patrie; longtemps ils n’en ont pas eue; aujourd’hui ils la retrouvent partout où ils peuvent. Ils ont franchi de bonne heure l’étape nationale, ils ont répudié, pour leur compte, les ambitions et les avantages politiques. Là où ils sont, là est leur patrie. Créer une Roumanie, ou une Serbie juive ? Merci. Nous avons mieux à faire qu’à entretenir un Parlement et à créer une armée. Soyons juifs avant tout, et fidèles à l’esprit du judaïsme. Or, l’esprit du judaïsme, tel qu’il est reflété par son histoire, est la condamnation du sionisme.

BEN AMMI


Note-s
  1. Note d’Emmanuel Lévyne :  rappelons que le Grand Rabbin Liber, qui signait cet article sous le pseudonyme de Ben Ammi, a été Directeur de l’Ecole Rabbinique de Paris et directeur d’ Etudes à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il était considéré comme le rabbin français le plus érudit du siècle. A partir de la Libération, par suite de la mainmise des agents sionistes et américains sur le judaïsme français, on s’efforça de l’éliminer et il fut en butte à de sourdes persécutions qui altérèrent sa santé et furent cause de sa mort prématurée . Nombre de rabbins qui ont été formés par lui partagent ses convictions antisionistes, mais par suite de la terreur que les sionistes tout puissants font régner dans la Communauté Juive, ils se taisent. D’autres, afin de gagner les faveurs des maitres étrangers du judaïsme français renient publiquement les idées traditionnelles que le grand rabbin Liber leur avait inculquées et se proclament ouvertement sionistes et partisans de l’Etat juif. Comme nous l’avons mentionné dans notre dernier numéro, c’est le cas en particulier des « grands rabbins » Kaplan et Jais, dont nous exigeons avec de plus en plus de force la démission et le départ. Si la France n’est plus leur seule et unique Patrie, ils n’ont plus le droit de parler au nom des Juifs français et de les représenter auprès des hautes autorités. Ils ne font qu’exprimer les opinions des Israéliens et soutiennent les intérêts de puissances étrangères. Ils suscitent et provoquent ainsi de l’antisémitisme comme le désirent les sionistes. L’affaire des vedettes de Cherbourg est la dernière provocation des sionistes pour rendre la vie impossible aux Juifs français et les contraindre à émigrer en « Israël ». Il y en aura d’autres. 500 000 Juifs en France, c’est trop aux yeux des sionistes. Ils seraient plus utiles en « Israël » pour faire la guerre aux nations arabes et occuper leurs territoires.[]