Kathleen Christison
24 janvier 2008 – Counterpunch
www.info-palestine.net
Dans toute la panoplie de raisons qu’on oppose aux partisans d’une solution pour un Etat unique pour la Palestine/Israël, peut-être que la plus mal fondée – et reprise par des commentateurs bien intentionnés croyant défendre au mieux les intérêts palestiniens – est cette affirmation catégorique : les Palestiniens, en appuyant une telle position, irritent la communauté internationale du fait qu’un prétendu consensus international soutient et se fonde sur une solution à deux Etats. A un moment où le « consensus international » ne peut être moins motivé pour faire respecter les droits des Palestiniens – surtout pour obliger Israël à se retirer d’assez de territoires pour permettre une vraie patrie palestinienne et sa totale libération de sa domination -, cet appel à se conformer aux désirs d’une communauté internationale indifférente est, au mieux, un argument creux, et au pire, une façon bien hypocrite de s’esquiver, qui affaiblissent le droit des Palestiniens de se battre pour l’égalité et l’autodétermination. Arguer que les Palestiniens ne peuvent se prononcer pour un seul Etat car cela déclanche l’hostilité d’un certain consensus mythique dans le monde, vise simplement à leur ôter le droit de réfléchir à toute solution alternative.
La solution pour un seul Etat s’envisage dans le cadre d’un accord qui conduirait Palestiniens et Juifs à vivre ensemble, en tant citoyens d’un seul Etat véritablement démocratique, garantissant le droit à l’égalité comme l’égalité d’accès aux instruments de gouvernance. Une telle issue signifierait la fin du sionisme tel qu’il est conçu actuellement et la fin d’Israël en tant qu’Etat exclusivement juif, mais elle garantirait l’égalité des droits civiques et politiques pour les Juifs israéliens et encouragerait la poursuite de l’immigration juive, tout comme elle garantirait – pour la première fois – l’égalité des droits civiques et politiques pour les Palestiniens et le droit des réfugiés palestiniens exilés au cours de ces 60 dernières années à revenir dans leur patrie.
Le concept de créer un seul Etat pour les Palestiniens et pour les Juifs – bien qu’historiquement ce ne soit pas une idée nouvelle – a regagné une crédibilité ces dernières années. Et ce alors qu’il devient de plus en plus évident qu’Israël s’accapare toujours plus de terres palestiniennes dans les territoires occupés : des terres volées aux Palestiniens pour étendre toujours plus de colonies, pour un vaste réseau de routes à usage exclusif pour les Israéliens, pour un mur de séparation monstrueusement destructeur, pour des bases militaires israéliennes et des zones fermées pour sécurité. Cela fait de la vision de « deux Etats vivant en paix côte à côte » une cruelle plaisanterie.
L’instauration d’un Etat unique est énergiquement défendue par un petit nombre, mais grandissant, d’analystes et de militants. Virginia Tilley a soulevé l’idée dans son livre « La Solution à un Etat » (2005). Ali Abunimah, l’année suivante, a poursuivi la réflexion avec « Un Pays » et Joel Kovel y a contribué avec « Vaincre le Sionisme » en 2007. Au cours de ces dernières années, de nombreux articles, conférences internationales et débats entre partisans et opposants à un Etat en ont abordé, surtout en Europe et en Israël, les potentialités. Un mouvement populaire émergeant en Palestine mobilise son énergie pour promouvoir un Etat, en collaboration avec des universitaires et des militants du mouvement de solidarité à travers le monde.
Mais beaucoup considèrent l’idée avec dédain, de façon désinvolte, la rejetant au prétexte qu’elle serait « naïvement visionnaire », une « illusion », ou simplement « vouée à l’échec ». D’autres opposants réfléchissent à la question et avancent des objections argumentées, et souvent assez bien motivées. Le présent article portera sur une seule de ces objections, parmi les plus répandues : un Etat unique irait à l’encontre d’un « consensus international » qui, lui, soutient la solution à deux Etats.
Cet argument découle de ce que des organismes internationaux – tels que les Nations unies et ses organismes, des organisations pour les droits de l’homme et les directions de la plupart des nations dans le monde, dont, et pas des moindres, l’OLP et l’Autorité palestinienne elles-mêmes – veulent la fin de l’occupation et qu’Israël continue d’exister à l’intérieur des frontières de 1967, avec l’établissement d’un Etat palestinien sur le quart de la Palestine qui resterait de fait pour les Palestiniens. On considère automatiquement que le consensus international est sacro-saint, cela uniquement parce qu’il est international (et sans doute aussi parce qu’il n’expose pas l’existence d’Israël en tant qu’Etat juif).
La meilleure objection à cet honorariat du consensus international, c’est qu’en fait la communauté internationale ne s’intéresse aucunement à ce que deviendraient les Palestiniens (pas plus qu’aujourd’hui ou dans le passé), et qu’elle n’est pas prête à examiner une solution particulière. Bien qu’effectif, le « consensus international » ne s’est jamais intéressé à des solutions spécifiques. Il cherche essentiellement à s’accommoder des Etats-Unis et de leur politique – c’est-à-dire préserver l’existence d’Israël avant tout, soutenir une solution à deux Etats (position à laquelle les USA et Israël sont prêts) -, mais ne se soucie en quoi que ce soit des droits palestiniens. La communauté internationale n’initie aucune politique ; elle se contente simplement de répéter comme un perroquet et d’approuver les positions avancées dans les centres de pouvoir internationaux, en l’occurrence les USA et Israël.
La résolution 242, base des initiatives de paix
En réalité, il n’y a aucun consensus international pour deux Etats pour la Palestine et Israël. Ceux qui invoquent la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies comme base pour les deux Etats ne veulent pas voir qu’en réalité la résolution n’a jamais imaginé deux Etats. A son adoption à la suite de la guerre de 1967, où Israël s’est emparé de territoires jordanien, égyptien et syrien, elle demandait le retrait d’Israël « des territoires occupés » lors de la guerre et affirmait le droit de tous les Etats de la région « à vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ». (Une formulation qui fut par la suite transformée en une exigence à l’égard des Palestiniens et des autres Arabes pour qu’ils reconnaissent le « droit d’exister » d’Israël). Alors qu’elle est devenue la base des initiatives de paix ultérieures, la résolution 242 ne fait même pas références aux Palestiniens, sauf en évoquant le « problème des réfugiés », et elle n’avance aucune proposition pour deux Etats en Palestine/Israël. Le consensus international, à cet endroit, s’est comporté comme s’il n’avait jamais entendu parler des Palestiniens. A l’époque, quand on prenait en compte le sort de la Cisjordanie et Gaza occupées, c’était seulement pour mettre fin à leur contrôle par Israël et que celui-ci restitue ces territoires respectivement à la Jordanie et à l’Egypte, leurs occupants initiaux.
S’il y eut un jour consensus international pour deux Etats en Palestine, ce fut en 1947, ou dans la période où fut votée la résolution des Nations unies pour le plan de partage qui a divisé la Palestine en un Etat juif et en un Etat arabe. Cette période de soutien à deux Etats va du milieu de 1947, quand une commission des Nations unies a recommandé la partition, jusqu’au début de 1948, date à laquelle Israël et Jordanie commencèrent à voler le territoire destiné à être l’Etat arabe palestinien, chacun se saisissant d’environ la moitié (sauf pour Gaza contrôlée par l’Egypte, mais non annexée, jusqu’à ce qu’Israël ne s’empare de cette minuscule bande de terre en 1967). La communauté internationale n’a jamais exprimé la moindre inquiétude à propos du démantèlement de ce second Etat qui devait s’établir en Palestine, ni de la purification ethnique par Israël contre la population palestinienne, ni du sort des 750 000 Palestiniens contraints de s’exiler et expédiés dans des camps de réfugiés dans les pays arabes voisins, et pas davantage du contrôle continu d’Israël et de la Jordanie sur les territoires qu’ils avaient volés aux Palestiniens. Tel est le consensus international.
Aujourd’hui, même si un consensus international existe en faveur de deux Etats, il est motivé non par l’intérêt national à voir un Etat palestinien formé à côté de celui d’Israël mais par la décision solennelle des Palestiniens eux-mêmes, de novembre 1988, d’accepter la formule à deux Etats. Décision qui tombait en pleine Première Intifada. Aussitôt, la Jordanie a renoncé à toute prétention sur la Cisjordanie. Même alors, les USA, Israël et la communauté internationale n’ont accepté l’idée d’autoriser les Palestiniens à avoir un Etat que plusieurs années plus tard, quand la notion de deux Etats, progressivement, à été acceptée implicitement comme résultat logique des négociations de paix qui se sont déroulées au cours des années 1990. Tout au long du processus de paix d’Oslo, l’Etat palestinien a rarement, voire jamais, été explicitement évoqué comme un issue probable.
Il a fallu attendre les derniers jours du mandat du président Clinton, en janvier 2001 – plus de 30 ans après le début de l’occupation, 50 après le démantèlement de la Palestine – pour qu’un président américain recommande, publiquement et explicitement, un Etat palestinien. (George Bush prétend être le premier à appeler à un Etat palestinien mais Clinton l’a devancé de plus d’un an. Clinton ne s’en vante pas, probablement parce qu’aux Etats-Unis, nul n’y gagne sur le plan politique à préconiser le moindre avantage pour les Palestiniens ou à demander la moindre concession à Israël. Clinton et Bush ont, tous les deux et explicitement, exclu la possibilité que l’Etat palestinien couvre l’ensemble des territoires palestiniens pris en 1967, les deux affirmant qu’Israël devait garder le contrôle sur les principaux blocs de colonies, à l’est de Jérusalem et en Cisjordanie.)
Un consensus international bien silencieux sur l’expropriation des Palestiens et la colonisation
Le « consensus international » a eu peu à dire, toutes ces dizaines d’années, sur le sort des Palestiniens pris entre l’acceptation de l’OLP pour deux Etats, en 1988, et l’anéantissement, en 2000, du seul processus de paix sérieux qui aurait pu conduire à un véritable Etat palestinien. La communauté internationale ne fait rien pour un Etat palestinien : elle n’a fait aucune objection sur le fait qu’Israël exproprie toujours les Palestiniens du territoire sur lequel leur Etat était prévu ; elle n’a fait aucune objection en voyant le nombre de colons israéliens sur ce territoire doubler au cours des années d’un processus de paix qui devait solutionner les problèmes de terres et de colonies.
Le soi-disant consensus international ne peut guère prétendre avoir défendu un Etat palestinien de façon significative. Il est engagé aujourd’hui, en réalité, dans un travail visant à saper toute perspective d’une véritable patrie palestinienne. En continuant de soutenir Israël quand celui-ci rend impossible toute solution à deux Etats, en refusant de voir qu’Israël perpétue ce qu’en tout autre contexte on considérerait comme des crimes de guerre contre une population civile impuissante, le consensus international tant vanté contribue en réalité à perpétuer son soutien à l’anéantissement de tout un peuple et de ses aspirations nationales. La catastrophe humanitaire de Gaza découle entièrement du veule refus de la communauté internationale de s’opposer à Israël, et de son soutien actif à l’embargo sur Gaza qui emprisonne et affame un million cinq cent mille habitants et anéantit l’économie gazaouie.
Lors d’une interview, au début de l’année, le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, s’est vanté de tout ce soutien international dont profite Israël dans son programme d’oppression. La constellation internationale des dirigeants du monde qui appuie Israël, dit-il, est quasiment ce qu’on appelle une intervention divine. « C’est un concours de circonstances qui relève presque de « la main de Dieu » : Bush est président des Etats-Unis, Nicolas Sarkozy président de la France, Angela Merkel chancelière de l’Allemagne, Gordon Brown Premier ministre d’Angleterre et l’envoyé spécial pour le Moyen-Orient est Tony Blair. « Israël peut-il espérer mieux, se demande Olmert, que cette « confortable » association ? Le fait que le président palestinien, Mahmoud Abbas, et l’appareil de l’Autorité palestinienne à Ramallah soutiennent et rassurent cette sphère d’un réconfort agréable dans laquelle Israël se repaît et œuvre à la catastrophe humanitaire imposée à leurs compatriotes de Gaza ne diminue en rien la responsabilité du « consensus international » pour sa contribution à toutes ces horreurs.
Ceux qui présentent le consensus international comme un élément devant être pris en compte mettent en avant que les sondages d’opinion en Israël, aux Etats-Unis et en Europe montrent un fort soutien populaire à la fin de l’occupation israélienne et approuvent systématiquement, et à une large majorité, la formule à deux Etats. C’est exact, mais ces sondages sont, pour l’essentiel, dépourvus de signification. Sur les questions palestino-israéliennes – comme lorsque à l’époque où on se dirigeait vers la guerre en Iraq -, l’opinion publique internationale n’a pratiquement aucun impact sur les politiques suivies par les gouvernements et, de toute façon, l’opinion publique sur cette question est purement réactive.
Dans la plupart des esprits, dans les sociétés libérales occidentales, la patrie palestinienne est une belle idée un peu floue, rares sont ceux qui comprennent ce qui se passe sur le terrain en Palestine et plus rares encore ceux qui sont prêts à descendre dans la rue pour confirmer leur « oui » occasionnel aux organismes de sondages, et à protester contre l’occupation. De plus, les soutiens à un Etat régressent dès qu’on indique clairement la nature précise des concessions que cela requiert d’Israël. Il convient également de noter, pour mesurer l’importance de ces sondages, qu’en Israël ils donnent une même majorité importante en faveur de la purification ethnique qui jette les Palestiniens hors d’Israël et de Cisjordanie qu’en faveur de leur Etat.
Invoquer le consensus international pour inciter les Palestiniens à cesser de proposer une égalité véritable dans un Etat unique sur toute la Palestine relève d’une sorte de déni, du refus de reconnaître que le consensus international est tellement inconscient de l’injustice commise à l’égard des Palestiniens qu’il n’a même pas remarqué, et ne s’en est pas soucié, que la possibilité d’instaurer deux Etats était complètement morte depuis plusieurs années. Une véritable solution à deux Etats – avec un Etat palestinien sur toute la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, doté d’une totale souveraineté et indépendance sur un territoire contigu, non fragmenté et non encerclé par Israël – est devenue un rêve insensé dont le consensus international doit encore se sortir.
Kathleen Christison a été analyste politique à la CIA, elle a travaillé sur les questions du Moyen-Orient pendant 30 ans. Elle est l’auteur de Perceptions of Palestine et The Wound of Dispossession. On peut la contacter à l’adresse : kathy.bill.christison@comcast.net.
Du même auteur, avec Bill Christison :
– « Fiction contre réalité en Palestine/Israël » – 28 novembre 2007 – Counterpunch.
– « Israël/Palestine : rencontrer l’autre ? » – 12 novembre 2007 – Counterpunch.
Traduction : JPP