[i]Le CRIF représentatif des Juifs de France ? L’UJFP l’a déjà contesté. Aujourd’hui, quand Esther Benbassa montre sa dérive, le CRIF est obligé de donner la parole à Théo Klein, depuis longtemps marginalisé, mais qui défend encore l’institution et « son » diner dont il a été le créateur. Notre amie Esther elle aussi pense à un CRIF idéal, tout en faisant référence à la scission du « lobby juif » des Etats-Unis avec la création du lobby sioniste de gauche J-Street.
Si à l’UJFP nous ne pensons pas qu’il puisse y avoir « un sionisme à visage humain », nous sommes attentifs à ce débat, qui montre que l’extrémisme ravageur d’un Goldnadel ne passe pas comme une lettre à la poste. Sarkozy, Fillon et Alliot-Marie devraient se méfier : en soutenant Goldnadel suppot de Lieberman, et en suivant ses prescriptions pour la pénalisation de la critique d’Israêl, ils n’ont peut-être pas choisi le bon cheval.[/i]
[b] La lettre de Théo Klein (19 février), telle que publiée sur le site du CRIF[/b]
Chère Esther Benbassa,
J’ai pris connaissance avec étonnement et regret des termes sulfureux de votre article sur le CRIF publié dans Libération, plus exactement sur son dîner annuel, dont d’ailleurs j’ai été l’initiateur en 1985.
Le déferlement de qualificatifs dérisoires et méprisants dont vous
souhaitez balayer le dîner, l’institution et ses dirigeants n’apporte
cependant – en dehors de la manifestation de votre colère et de votre mépris – aucune contribution, pas la moindre suggestion : votre balayage, vous le souhaitez total et définitif.
Vous parlez de communautarisme à ce groupe humain auquel vous avez longtemps appartenu et appartenez peut-être encore, dans la méconnaissance de l’esprit de la kehilah qui marque ce groupe sans doute depuis la Babylonie et certainement depuis la fin du deuxième Temple et de toute autorité juive sur
la terre ancestrale.
Il y a bien longtemps que je déplore certains propos dans des discours de présidents du CRIF et que, d’ailleurs, je leur fais part de mes critiques.
Je n’assiste que rarement au dîner lui-même en manifestant cependant par ma présence au moment des discours de la permanence au sein de l’institution de femmes et d’hommes ouverts à d’autres idées que celles qui sont exprimées publiquement.
Nos juifs sont tels qu’ils sont et le problème est de savoir si nous restons avec eux pour les aider à sortir du ghetto dans lequel ils
s’enferment au moindre vent mauvais ou si nous les abandonnons mais alors pour aller où ?
J’ai été inquiet et triste en vous lisant, car dans la voie où vous vous
êtes lancée avec votre ardeur habituelle, vous risquez de vous retrouver bien seule et de ne plus être celle que vous étiez.
Bien cordialement vôtre.
Théo Klein
[b]Réponse d’Ester Benbassa à Théo Klein (21 février)[/b]
Cher Théo Klein,
Dès réception de votre lettre, le 19 février, je vous ai appelé au
téléphone pour, au nom de l’amitié et de l’estime que je vous porte, débattre directement avec vous. Ce que nous avons fait en toute cordialité. Vous m’avez annoncé que votre lettre serait publiée sur le site du CRIF.Maintenant qu’elle l’est, je me permets à mon tour de vous répondre publiquement.
Il me semble que vous avez focalisé votre attention sur le dîner dont vous avez été l’initiateur. Dois-je pourtant vous rappeler que lorsque vous étiez vous-même président du CRIF, ce dîner, porte ouverte aux échanges, avait une autre tonalité ?
De fait, le CRIF d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec le CRIF
d’alors.
C’est un CRIF de repli, un CRIF dont les actes et les discours portent
préjudice aux Juifs plutôt qu’ils ne les protègent, en entretenant le mythe d’une puissance juive omniprésente.
La droitisation de cet organisme est un fait patent. L’entrée de M.
Gilles-William Goldnadel au sein de son comité directeur n’est pas due
hasard. Je vous renvoie aux déclarations faites à ce sujet à la presse par M.Henri Hajdenberg, lui aussi ancien président du CRIF.
Dans ma tribune, c’est tout cela que je déplorais. Et si je l’ai écrit,
c’est parce que je constate chaque jour un peu plus l’hostilité antijuive – certes blâmable – que le CRIF contribue à sa façon à nourrir, et ce plus encore depuis l’offensive israélienne contre Gaza et les déclarations faites alors par M. Richard Prasquier.
Dans votre missive, vous m’écrivez qu’il faut vivre avec les Juifs tels
qu’ils sont. Je vous rappelle que, depuis 1790-1791, les Juifs français sont émancipés légalement et que rester membre de la « communauté » est désormais affaire de choix individuel. J’assume pour ma part pleinement ma judéité.
C’est précisément pour cette raison que je critique le CRIF tel qu’il est.
Je m’octroie en outre le luxe de décider de vivre avec des Juifs qui sont
pour l’existence d’Israël, mais sont aussi capables de le critiquer quand il le faut et ne rechignent pas à défendre la cause des Palestiniens. Bref, avec des Juifs dignes de l’humanisme et de l’universalisme auxquels, autrefois, on les identifiait. Le nombre ne fait pas la qualité, et si « isolée » je devais être, je préfère l’être avec ceux que j’ai choisis.
Je crois aux vertus du débat public, y compris s’agissant des questions «communautaires ». C’est précisément là ce que le CRIF rejette, ainsi qu’il l’a encore démontré en refusant à France Info, le 17 février, d’envoyer un de ses membres dialoguer publiquement avec moi sur les ondes, et en optant pour ce que j’appellerai la « guerre entre Juifs
Vous me demandez quelle suggestion je puis faire.
Profitons de l’exemple nord-américain et de la naissance du mouvement [i]J-Street[/i] qui, se distinguant des institutions juives existantes, cherche à promouvoir, concernant Israël, un autre discours juif, aussi bien auprès du Congrès que dans le pays.
Exigeons du CRIF qu’il devienne effectivement représentatif des Juifs de France, dans toute leur diversité, qu’il donne droit de cité en son sein à toutes les nuances de l’opinion juive (telles Une autre voix juive, l’Union juive française pour la paix, etc.), qu’il cesse de frapper d’illégitimité de principe telle ou telle d’entre elles, et de taxer de haine de soi ou de trahison les Juifs critiques de la politique israélienne.
C’est en rompant avec sa politique endogamique actuelle que le CRIF aura quelque chance de faire entendre une voix juive équilibrée et donc crédible.
Avec toute mon amitié.
Esther Benbassa