Un débat sur l’école à l’Escale, Villiers-sur-Marne

Riche débat à Villiers-sur-Marne autour de la projection de clips tournés en 2015 au Collège La Vallée d’Epinay-sous-Sénart, avec des élèves de 3ème : les Zégaux qui ont réalisé ces clips, vivent un projet associatif qui a pour objectif de susciter et de donner les moyens d’un engagement pérenne contre toutes les discriminations.

La soirée est initiée par Mamadou (Sleio Mam’s), membre de l’association locale « Fifty-Fifty » et de « Ferguson in Paris ». Interviennent initialement Goundo Diawara, Sayed Diakité, Youcef Brakni, Dominique Natanson pour l’UJFP ainsi que Many Chroniques, afro-féministe.

Profs de lycée, de collège, des Ecoles, CPE, mères d’élèves, une assemblée de racisés, venus de toute la banlieue. Ils sont passés par l’école et « ont réussi » comme on dit, mais ils gardent en eux les traces de la stigmatisation dont ils ont été l’objet, comme noirs, arabes ou musulmans.

Présence dans la salle du sociologue Marwan Mohammed auteur de Islamophobie, Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman » (La Découverte).

Les clips des Zégaux sensibilisent, créent de l’émotion, mais présentent, aux yeux de certains intervenants, des biais et des limites : on n’y aborde pas par exemple la question de la loi sur le foulard dont la critique n’aurait pas été admise par l’institution.
Cependant, l’attitude raciste de certains profs est évoquée, ce qui est assez rare dans le discours bien-pensant se l’antiracisme éducatif.

Les clips des Zégaux à voir !

Débat riche sur les processus de dévalorisation des élèves racisés, sur les « marges de manœuvre » dans l’Éducation nationale, sur l’islamophobie qui est présente y compris dans des mouvements pédagogiques comme le mouvement Freinet, sur la critique des manuels scolaires.

Le terme de « décrochage scolaire » est interrogé : c’est le manque d’accrochage qui marginalise ! Beau-coup ont le sentiment que les profs, dans les quartiers populaires, arrivent avec une mission de « missionnaires coloniaux » qui doivent civiliser les sauvageons.

Peu de propositions concrètes si ce n’est de former des groupes d’enseignants racisés qui répondraient aux appels au secours des Rectorats pour former des équipes pédagogiques qui partiraient des problèmes du quartier et de l’histoire post-coloniale.


Voici l’intervention initiale de Dominique Natanson, coprésident de l’UJFP

• J’interviens ici au nom de l’UJFP dont je suis l’un des deux présidents.

• L’UJFP est une organisation juive laïque et progressiste qui se bat pour une paix juste au Proche Orient, ce qui implique l’égalité des droits et donc le respect des droits du peuple palestinien. Nous prenons ainsi parti contre la politique de l’État d’Israël, contre le sionisme et contre la manière dont le CRIF prétend assujettir tous les Juifs en France à la politique criminelle de l’État d’Israël.

• Le fait d’être juifs ne nous donne pas un droit particulier de faire la leçon sur la lutte antiraciste. Certes, nous avons une histoire familiale particulière, mais – même s’il y a toujours parfois des victimes de l’antisémitisme (Toulouse, hypercacher) – le racisme contre les Juifs n’est plus le racisme majeur de notre société.

• Nous avons ainsi publié « Une parole juive contre le racisme » qui montre le caractère unique du racisme : nous refusons la formulation « contre le racisme et l’antisémitisme » qui établit une sorte de hiérarchie dans les différentes formes du racisme, en mettant au premier plan l’antisémitisme comme racisme majeur, tandis que les autres formes du racisme, non nommées, seraient en quelque sorte secondaires.
Lors de la parution de cet ouvrage, nous avons réuni à une même tribune l’UJFP, le CCIF, la Brigade antinégrophobie et La Voix des Rroms.

• Je suis aussi un pédagogue, auteur d’ouvrages pédagogiques, dans le courant de la Pédagogie institutionnelle, professeur retraité, et je ne pourrai m’empêcher de donner quelques éclairages sur ce qui se passe à l’école, de ce point de vue.

Les qualités de ces clips des Zégaux

• D’abord dire le plaisir d’avoir vu ces clips. Certaines figures adolescentes qui s’expriment avec tant de sincérité, m’ont marqué et resteront dans ma mémoire. J’invite tous ceux qui ne les ont pas vus à le faire.

• La réalisation de ces clips est simple et très efficace. Les clips sont un outil de sensibilisation formidable et je crois qu’il faut vraiment populariser ce travail, passer de la prise de conscience individuelle de ces élèves à la prise de conscience collective des classes où cet outil sera utilisé.

• Pour ce qui est de l’analyse de ce qui est dit par ces jeunes, je crois qu’il faut insister sur le fait qu’on n’aborde là qu’une première étape dans leur vie : celle de la découverte et de l’intériorisation de la racialisation de la société. Ils découvrent qu’aux yeux des autres, ils sont, non pas des enfants, mais des Noirs ou des Arabes. Ils découvrent l’assignation sociale et doivent ingurgiter une cascade de préjugés et de stéréotypes associés, avec son lot d’humiliations et de discriminations.
Que manque-t-il à ces jeunes dans leur façon de poser la question raciale ?

• Mais la question qui se pose, c’est comment dépasser l’émotion générée par ces clips. Car que manque-t-il à ces jeunes ? Deux choses :
-* La conscience de ce qui les unit aux autres racisés.
Sans doute le tournage des clips et leur diffusion est-elle une première possibilité de prise de conscience, mais on part évidemment d’une prise de conscience individuelle.
-* La conscience politique de l’existence d’un racisme institutionnel, d’un racisme d’État
L’idée que « la race » est une construction politique et sociale : « Humainement, personnellement, la couleur n’existe pas. Politiquement, elle existe. » disait James Baldwin, dans La prochaine fois, le feu.
Peut-être aujourd’hui, autour de l’Affaire Théo, cette politisation de leur prise de conscience sociale pourrait se faire. Elle semble indispensable pour que l’intériorisation de leur racialisation puisse déboucher sur une compréhension sociale du monde.

Quel rôle pour l’école ?

• On sait que l’école a toujours un double rôle : elle est le lieu d’un combat entre son rôle de reproduction sociale et un rôle émancipateur.

• La ségrégation géographique est évidemment du côté de la reproduction.

• Les quelques structures et moyens des REP ne compensent pas vraiment les inégalités territoriales, mais offrent parfois des libertés pour agir avec le réseau d’un quartier populaire.

• Les clips montrent ainsi que des profs reprennent des comportements racistes – on sait que l’influence du FN, autrefois absent des salles des profs, grandit parmi les enseignants – et montre aussi des profs perçus comme prenant en compte tous les enfants, dans l’égalité.

• Au-delà, il y a une question pédagogique : le prof qui met « au fond de la classe » un des nos élèves de Troisième dans le clip, pratique une pédagogie frontale, tandis que le prof respectueux des identités adopte le travail de groupe. Il est des pédagogies qui permettent d’échanger entre pairs pour comprendre le monde.

• Le travail des compétences peut être parfois une manière de préparer une main d’œuvre docile, « employable » comme on dit à présent, c’est-à-dire soumise. Mais prendre au mot certaines des compétences d’expression orales et écrites, d’esprit critique, d’organisation, est sans doute une piste pour préparer des citoyens critiques et autonomes. L’enseignement moral et civique peut être une mise au pas des enfants, mais peut aussi préparer des citoyens à prendre la parole, défendre un point de vue, monter des projets… Les enseignants progressistes doivent se saisir des failles d’un système qui émet des directives mais laisse aussi des marges de liberté pédagogique.

Et dans les quartiers populaires ?

• Hors de l’école, la question est celle de l’unité des racisés et de la construction d’un nouvel antiracisme, politique et décolonial.

• Nous considérons – et nous ne sommes pas les seuls – que le vieil antiracisme subventionné à la SOS-Racisme, pourvoyeur d’emplois fictifs pour le PS, est mort.

• Dans ce mouvement en construction, l’UJFP n’a pas de leçon à donner, ni de leadership à exercer. Nous serons en soutien à toutes les initiatives qui vont dans ce sens.

• C’est pourquoi nous sommes impliqués aussi bien dans le mouvement de soutien au peuple palestinien et dans la campagne BDS, que dans le soutien aux Rroms, aux sans papiers, aux victimes de l’islamophobie et de la négrophobie.

Nous venons de faire paraître un « Manifeste des enfants cachés » qui tente de passer le relais des Juifs sauvés par la solidarité durant la Seconde guerre mondiale – comme l’a été mon père – aux nouveaux « délinquants solidaires » qui aident les migrants en dépit de lois xénophobes.

Nous participerons à la semaine anticoloniale et antiraciste qui commence le 4 mars, à la Marche pour la Justice et la Dignité et contre les violences policières le 19 mars, à Paris…

• Autour des crimes commis – Adama Traoré et Théo – un tel antiracisme natif des quartiers est en train de voir le jour. C’est lui qui donnera des pistes aux enfants filmés par les Zégaux, pour comprendre les discriminations, la racialisation de la société et les moyens de lutter contre elle.

Pour contacter :

– Dominique Natanson : dominique.natanson@wanadoo.fr
– l’UJFP : contact@ujfp.org

À votre disposition :

• « Une parole juive contre le racisme »,
• Un dépliant proposant des interventions pédagogiques de l’UJFP contre le racisme,
Un 4 pages présentant l’UJFP.