Dans le numéro de Juin de PNM on trouve en page 2 la reproduction du communiqué de l’UJRE du 4 mai à propos du texte calamiteux paru sur le site de l’UJFP, et encore présent sur le site de l’UJFP la veille.
Qu’il ait ému l’UJRE me semble tout à fait légitime. Qu’elle en fasse un communiqué sans prise de contact avec l’UJFP montre que nous avons encore du chemin à faire pour que les associations qui n’acceptent pas le diktat du CRIF de solidarité inconditionnelle avec Israël aient des relations normales entre elles, qui n’excluent pas les divergences.
Mais dans le numéro de juin PNM publie son communiqué du 4 mai, et dans un « point de vue » le co-président Jacques Lewkowicz (JL dans la suite de cette note) non seulement attribue le retrait du texte aux « multiples ripostes tant individuelles que collectives », mais il se garde de citer les premiers mots de la mise au point de l’UJFP que nous rappelons :
Nous regrettons la publication de ce texte qui est passé par erreur au travers de notre procédure de relecture et de mise en ligne habituelle. Il a suscité beaucoup de réactions négatives, certaines auxquelles nous sommes sensibles et qui sont partagées par les militants de l’UJFP et nos amis. Nous nous en excusons auprès d’eux.
Surtout, tenant un raisonnement que nous connaissons bien quand il est tenu par la LICRA : il faut pour JL absolument contester tout amalgame entre l’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme. Pour JL, l’UJFP, dans le nouveau prêt-à-penser que serait « le post-colonialisme », ne voudrait voir l’antisémitisme qu’au prisme du colonialisme et du capitalisme.
C’est avoir d’étranges lunettes pour lire nos analyses que d’aboutir à cette réflexion.
Mais on est franchement déçu qu’en 2021 le co-président de l’UJRE garde de la proclamation d’Israël en 1948 l’analyse qu’en faisait le communisme stalinien.
« Contre toute évidence, écrit-il, l’UJFP ramène la création de l’État d’Israël à une entreprise coloniale : on cherche vainement la métropole qui serait à l’origine de cette colonie »
Contre toute évidence, JL décide donc d’ignorer les textes de Herzl et des premiers congrès sionistes : Herzl présente bien la création de l’État des Juifs comme une pointe avancée de la civilisation européenne. (« L’État juif formerait une portion d’un rempart de l’Europe contre l’Asie, un avant-poste de la civilisation opposée à la barbarie »). A l’époque, la colonisation n’était pas considérée comme un crime par les instances internationales, et c’est dans le cadre du partage du monde du congrès de Versailles et de ses suites que le mandat britannique sur la Palestine inclut la création d’un foyer national juif.
On ne peut considérer la proclamation d’Israël en 1948 comme sa naissance qu’à la condition de considérer que sa gestation a duré un demi-siècle. Au moment de la proclamation, les institutions créées par le sionisme (les trois piliers que sont l’Agence juive, la Haganah et la Histadrout) empêchent de penser que cet Etat est né ce jour-là à partir de rien.
Car il ne suffit pas de proclamer un État pour que celui-ci existe. Il n’est que de voir les proclamations de l’État de Palestine… ou plus récemment de celui de Catalogne !
Et JL poursuit : « Certes cet État a été une pièce utilisée par l’impérialisme dans son jeu géostratégique. Il n’en reste pas moins qu’il était une solution pour les Juifs qui ne pouvaient revenir sur les lieux où ils avaient été pourchassés et massacrés ».
Misère des raccourcis historiques. En effet, l’impérialisme a utilisé Israël dans son jeu stratégique. Mieux que l’URSS qui de façon inconséquente en espérait la même chose. Mais cet impérialisme qui a effectivement utilisé Israël avait commencé par interdire aux populations juives réprimées en Allemagne et chez ses voisins à l’Est de se réfugier dès les années 30. Et ce même impérialisme qui a « oublié » de bombarder la ligne de chemin de fer conduisant à Auschwitz a tout autant refusé à la plupart des Juifs rescapés de la Shoah qui le souhaitaient de venir s’installer aux États-Unis par exemple. Que JL fasse l’impasse sur la manière dont les dits rescapés ont été reçus par l’appareil sioniste serait un autre sujet. Mais surtout, en quoi les Palestiniens devaient payer pour un génocide dans lequel ils n’aient aucune responsabilité ? Comment séparer la création de cet État du nettoyage ethnique dont le commencement a précédé la proclamation de l’État ? Et comme j’ai entendu Shlomo Sand le dire un jour, s’il fallait un territoire pour les Juifs en 1945, pourquoi pas les Sudètes ?
JL continue « Affirmer ceci n’empêche pas d’exiger, comme l’UJRE le fait depuis longtemps, la reconnaissance de l’État de Palestine, condition primordiale d’une paix juste et durable. » Reconnaître au peuple palestinien le droit à un État, prendre en compte la décision de représentants du peuple palestinien de proclamer cet État, demander que sa reconnaissance soit assurée par tous les pays dont le nôtre et par les organisations internationales comme la CPI le fait, c’est juste. Mais faire croire que cela change ainsi la situation concrète, ce n’est pas faire une analyse concrète. Aujourd’hui, la totalité de la Palestine historique est sous le contrôle de l’État israélien. Oslo est mort pour autant qu’il n’était pas mort-né. Reconnaître l’État de Palestine ne dit rien des conditions de réalisation d’une paix juste.
« Ainsi, nous dit JL , pour l’UJFP tout est affaire de colonialisme ». Non, mais cela fait de la peine de voir que de vieux militants sont à ce point enfermés dans leurs schémas anciens qu’ils ne voient pas ce que les cartes successives illustrent et que tous les témoignages confirment. La loi sur Israël État nation du peuple juif ne fait que sanctionner la progression de la colonisation du territoire, de l’épuration ethnique, et des discriminations relevant de l’apartheid. Que le colonialisme sioniste ait ceci de particulier qu’il n’a pas une métropole unique est une chose, que le sionisme se soit développé dès le départ avec la volonté de débarrasser le terrain de sa population indigène est attesté.
Il ne faut pas voir dans cette discussion un débat purement théorique. Nous assistons en direct dans ce microcosme qu’est le territoire de la Palestine historique à « la conquête de l’Est », et au moment où nous sommes les Palestiniens ne sont toujours pas décidés à accepter le sort des « Indiens ». Or nous voyons à quel point l’extrême droite européenne, les Orban et les Le Pen, sont fascinés par cette façon dont Israël combat les Palestiniens assimilés à un peuple terroriste. C’est un point sur lequel on peut reconnaître que Herzl ne s’est pas trompé, quand il disait « les antisémites seront nos amis les plus sûrs et les pays antisémites nos alliés ». On peut entendre Aurore Bergé, la présidente des amitiés France Israël, présenter Israël comme étant la première ligne de défense contre le terrorisme et préconiser que l’on s’inspire d’Israël ici, c’est à dire qu’une responsable autorisée de la Macronie nous invite à considérer en fait les populations musulmanes ou supposées telles comme une cinquième colonne.
Dans le monde, et notamment aux États-Unis, des yeux s’ouvrent, des fissures se produisent dans le consensus pro-israélien. Ce n’est pas le moment de baisser la garde contre les idées suprématistes, là-bas comme ici.
André Rosevègue, UJFP Aquitaine