Tribune parue dans Libération le 31 mars 2017 par un groupe de personnalités et d’associations
La Commission économique et sociale pour l’Asie de l’ONU publiait, le 15 mars, un rapport controversé comparant Israël à un régime d’apartheid. Le président de l’ONU a demandé son retrait, et la rapporteure, Rima Khalaf, a démissionné. Des intellectuelles et des élues lui apportent son soutien.
Le 15 mars, la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (Cesao) de l’ONU publiait un rapport dont les conclusions caractérisaient l’Etat d’Israël comme étant devenu un Etat d’apartheid. Au terme de 48 h de vives pressions, les Etats-Unis et Israël parviennent à leurs fins en forçant le retrait de ce rapport du site de l’ONU.
Si nous ne sommes pas surpris par ces procédés, nous tenons en revanche à remercier la rapporteure, Madame Rima Khalaf.
La remercier tout d’abord pour avoir solidement présenté les arguments que nous partageons, mais aussi pour avoir justement estimé les risques, et pris les précautions nécessaires afin que le fruit de cette enquête, d’un professionnalisme sans faille, puisse nous parvenir.
La Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, à laquelle Rima Khalaf siégeait en qualité de secrétaire générale adjointe avant sa démission, a perdu une membre remarquable qui érigeait l’impartialité en principe essentiel au combat pour les droits humains, notamment en Palestine.
Nous tenons à saluer la force et la dignité du geste par lequel elle a clos sa mission officielle.
Bien que très brièvement visible en ligne sur le site de l’ONU, cette publication s’est rapidement et largement répandue via les réseaux sociaux, déclenchant un séisme politique. Dès lors inscrit dans notre histoire récente, ce rapport s’est en quelques heures gravé dans notre mémoire collective. La réalité que vivent les Palestiniens, sous domination israélienne, est à jamais nommée dans un rapport de l’ONU : apartheid.
Ce rapport explique notamment les mécanismes démographiques et les lois appliquées par l’Etat Israélien pour assurer le maintien du régime d’apartheid à l’encontre des Palestiniens. Spécifiquement formulés pour les quatre catégories de la population palestinienne, ces mécanismes et ces lois tombent sous le coup de la qualification légale de l’apartheid par l’ONU.
Il décrit par exemple, en s’appuyant sur les règles du droit international et l’analyse de la politique de ségrégations et discriminations subies par les Palestiniens, la domination institutionnelle et systémique d’un groupe racial sur un autre, Juifs et Palestiniens entrant dans la qualification juridique de groupes raciaux.
L’examen scrupuleux du corpus législatif fondamental israélien met également au jour une politique privative de droits, comme par exemple le fait que les terres restent inaccessibles à l’usage, au développement ou à la propriété pour des non-Juifs. Ou encore la maîtrise de la démographie par une législation favorisant l’immigration et les intérêts des citoyens juifs au détriment des droits élémentaires des Palestiniens.
La Palestine et les Palestiniens, qu’ils soient citoyens israéliens, qu’ils vivent à Jérusalem-Est, dans les territoires Palestiniens occupés, ou qu’ils soient réfugiés dans les pays limitrophes, subissent l’apartheid.
Nous l’écrivons sans guillemets, et sans l’ombre d’un doute. Les contre-arguments habituels, examinés et réfutés dans ce rapport, ne peuvent pas écorner la vérité que Madame Rima Khalaf a définitivement mise en lumière.
Ce rapport, important de par son désir manifeste d’un état des lieux juste, objectif, et impartial reste un document officiel, qui demande pour la première fois l’ouverture du processus de rétablissement de la commission de l’ONU chargée de combattre l’apartheid, celle-là même qui fût instaurée pour l’Afrique du Sud, puis dissoute en 1994.
La conclusion du rapport insiste enfin sur l’obligation légale de mettre fin aux situations d’apartheid caractérisées, pointant les responsabilités de la communauté internationale et des institutions de la société civile, plaidant ainsi en faveur de la campagne internationale de Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) en tant qu’outil efficace pour mettre l’Etat d’Israël en demeure de respecter les normes du Droit International.
Par ailleurs, la démission de Rima Khalaf, révélant au grand jour les pressions illégales dont souffrent nos institutions, met en exergue ce que beaucoup feignent de ne pas voir. Face au manque d’indépendance de l’ONU, pourtant condition sine qua non de l’accomplissement de ses missions premières, et pour contrecarrer les intimidations et les menaces émises publiquement par le président américain Donald Trump, qui condamnent la résolution du conflit à une impasse, nous nous devons d’agir.
Merci, Rima Khalaf, d’avoir publiquement prouvé la nécessité et le bien-fondé de l’action de ceux et celles qui militent pour les droits de l’Homme et le respect du droit international en Israël/Palestine.
Signataires :
Françoise Vergès – Politologue et historienne
Gerty Dambury – Écrivaine, metteure en scène
Nacira Guénif – Sociologue, professeure à l’université Paris 8
Gisèle Felhendler – Cofondatrice du réseau «Sortir du Colonialisme»
Marie-Christine Vergiat – Députée au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL