Par B. Michael, le 3 août 2021
Les villageois viennent d’enterrer un fœtus. Les soldats se sentent menacés. Ils courent vers la tombe et déterrent le corps . Une voiture s’éloigne. Dans cette voiture un père et ses enfants en route vers l’épicerie . Les soldats se sentent menacés, ils tuent un garçon de douze ans devant son père. L’enfant est enterré, un adolescent de vingt ans est envoyé pour ramener à la maison son petit frère qui a participé aux funérailles. Les soldats le tuent. Ils se sentaient menacés.
Deux jours de meurtre banal . Une petite ligne dans la tragédie grecque du peuple palestinien. La tragédie d’une mort annoncée, une tragédie qui exigerait un enquêteur qui enquête, un juge qui juge, un général qui s’excuse, un président qui s’agenouille devant les endeuillés et demande pardon (ou au moins qu’il passe un coup de fil !)
A la place de tout cela on a 30 secondes en marge des informations du soir, une présence symbolique dans les brèves , et une fête plutôt déplacée autour de quelques médailles olympiques . Pas d’enquêteur pas de juge pas d’officier pas de président , le meurtre va continuer. Et pourquoi ne continuerait-il pas, il ne dérange personne et personne ne veut le déranger.
Une personne au moins peut se féliciter de cette tuerie, et la présenter comme la réalisation d’une promesse : le général en chef Kohavi. De mes propres oreilles qui tintent encore je l‘ai entendu promettre que son armée serait: «une armée meurtrière». Il n’a pas dit: «une armée intelligente,modérée, prudente, courageuse, porteuse de valeurs» il a dit «meutrière» et il fait ce qu’il a dit.
Le ministre de la défense ( Benny Gantz ndlt) lui aussi peut engranger quelques miettes de profit de cette tuerie réussie. S’il ajoute les morts palestiniens récents à la liste des arabes qu’il a déjà tués, il pourra se vanter aux prochaines élections d’un nombre encore plus honorable de scalps.
L’indifférence des autorités israéliennes devant la facilité du meurtre de Palestiniens ressemble à s’y méprendre à l’indifférence qu’elles montrent face à la criminalité de «l’entreprise de colonisation » et ses métastases : un mélange de cruauté et de fourberie dans les affaires immobilières. Les avant-postes sauvages sur les collines. Les mains des institutions étatiques et para étatiques qui trempent dans les affaires de vol et leur financement. L’aplatissement du système judiciaire devant le fait que les colons foulent aux pieds la loi ( le mépris total des colons pour la loi) . Et l’acceptation sans broncher des pogroms quotidiens commis par des pogromistes juifs contre leurs voisins.
Dans ces deux domaines, la facilité des meutres et la facilité de la colonisation, tout le monde connaît la vérité : tout le monde sait que tout cela est du bluff, que tout cela est mensonge. Que tout cela est corrompu moralement, et souvent pénalement. Les acrobaties du genre « ce sont des terres d’État » ne sont en rien différentes des acrobaties du style « je me sentais menacé » . L’entourloupe « il m’a vendu ses terres volontairement» n’est en rien différente de «il avait dans les mains quelques chose qui ressemblait à un couteau». Et le mensonge utile «le quartier était une propriété juive avant la destruction du temple», n’est en rien différent du mensonge usé jusqu’à la corde «j’ai tiré sur la partie inférieure du corps». Ce parallèle n’est pas fortuit, la liberté de tuer et la liberté de coloniser jusqu’au coeur de la population arabe et aussi tout le système de persécution administratif sont les trois piliers du « grand plan ». Certains croient de bonne foi que ce plan n’existe pas, certains ferment les yeux sur son existence , certains le reconnaissent à demi mot , et certains le reconnaissent à mots entiers. Mais tous ensemble œuvrent à sa réalisation. Son unique objectif est de rendre insupportable la vie des indigènes, jusqu’à ce qu’ils disparaissent de notre vue . Qu’ils dégagent ou qu’ils continuent à mourir et à souffrir. Et s’ils se rebellent un peu trop, on en sera d’autant plus satisfait , car «à la guerre», comme l’ont déclaré ouvertement Smotrich ( ndlt député d’extrême droite ) et ses pairs, «on a la droit de faire plein de choses» et ils ont souri.
Tout ceci n’arrivera pas. Les juifs partiront avant. Mais en attendant et jusqu’à ce que le rêve se réalise, on continuera de se défouler sur eux par le meurtre, le vol, la torture et l’humiliation. Et alors?
B. Michael : après avoir longtemps été journaliste au Yediyot Aharonot, B. Michael est éditorialiste du quotidien Haaretz depuis 20 ans. C’est un juif pratiquant formé dans un mouvement de jeunesse sioniste religieux.
Source : Haaretz
Traduction Michel Warschawski pour l’Agence média Palestine