Texte de Sonia Fayman dans le cadre d’un débat à Orléans sur le thème « les discriminations sous Hollande »

Aux côtés de Marouane Muhammad du CCIF, d’Omar Slaouti du Collectif Vérité et Justice pour Ali Ziri et porte-parole de la Marche pour la Justice et la Dignité, de Saimir Mile ancien président de la Voix des Rroms et de Franco Lollia de la Brigade Anti Négrophobie.

À l’invitation du Collectif ACIDE d’Orléans le 13 avril 2017.

Je suis membre de l’UJFP, Union Juive française pour la Paix et de IJAN, le Réseau Juif International Antisioniste.

Représentant ici l’UJFP, je laisserai les amis des autres organisations présentes parler directement des discriminations que subissent les Musulmans ou supposés tels, les Rroms et les Noirs, pour resituer la place des Juifs dans ce paysage du racisme d’État.

Je vais essayer de montrer que les Juifs sont et ne sont pas un groupe racisé.

L’UJFP se positionne dans une tradition de lutte contre tous les racismes et contre toutes les oppressions.

Si les Juifs ont participé aux mouvements révolutionnaires depuis le 19ème siècle c’est, comme le disait Rudolf Bkouche, parce qu’ils étaient, en Europe centrale et orientale, persécutés par les pouvoirs en place et par les populations. J’ajoute que c’est aussi parce qu’une partie de la jeunesse a rejeté le pouvoir religieux qui l’opprimait. Et ce mouvement de révolte s’est traduit d’un côté par l’adhésion au sionisme et de l’autre par l’adhésion au communisme. Les sociétés juives d’Europe centrale ont explosé.

Le génocide nazi a procédé au nettoyage ethnique des juifs d’Europe, qui n’a pas fait cesser l’antisémitisme. Celui-ci s’est ensuite dissimulé sous une représentation des Juifs victimes méritant de la pitié et un pays qui soit à eux pour qu’on n’en entende plus parler. Cette idée de pays juif était précisément la revendication du sionisme, encouragée par la déclaration Balfour de 1917.

La politique sioniste de conquête de la Palestine, si elle a bénéficié, à ses débuts, du soutien de la communauté internationale et de la sympathie d’une partie des populations du monde, s’est très vite attirée, notamment dans le monde arabe, la critique de la spoliation des Palestiniens. L’image des Juifs victimes a bientôt fait place à l’image de Juifs oppresseurs, colonisateurs. Sauf qu’Israël a tout fait, jusqu’à aujourd’hui, pour asseoir l’apartheid vis-à-vis des Palestiniens sur la perpétuation de cette image de victimes – image qui est colportée partout dans le monde par le mouvement sioniste, mais qui perd du terrain heureusement.

Pour autant, cet amalgame entre les Juifs et Israël est habilement manipulé par les sionistes qui font comme si les Juifs du monde entier étaient solidaires et responsables d’Israël. Ce faisant ils génèrent une confusion très répandue qui peut donner lieu à de l’antisémitisme, par ignorance.

Des groupes sionistes qui ont pignon sur rue et qui sont l’arrière-boutique de la politique israélienne dans les pays occidentaux, AIPAC, CRIF sont des agents directs de l’antisémitisme. Leur soutien inconditionnel à l’oppression et à la négation des droits du peuple palestinien par Israël entraîne des réactions antisémites de la part de gens révoltés par le sort des Palestiniens et qui l’attribuent à l’ensemble des Juifs.

De plus, ces groupes crient à l’antisémitisme dès que la critique d’Israël se manifeste. Le problème est qu’ils sont appuyés dans cette entreprise négationniste par les pouvoirs en place. Et c’est là qu’on est en plein dans le sujet de ce soir : le gouvernement français par la voie de Valls, alors premier ministre, a fait allégeance aux Juifs de France après l’attentat de l’hyper cacher, et a en même temps affirmé son soutien à Israël. C’est ce que nous appelons le philosémitisme d’État, le contraire apparemment de l’antisémitisme mais qui n’en est que le revers. On voit se précipiter bon nombre d’hommes et de femmes politiques aux dîners annuels du CRIF et cette année particulièrement y ont été vus les candidats de droite aux présidentielles bien sûr et d’autres se disant de gauche. Et on s’étonne après qu’il y ait des gens qui voient là l’action d’un lobby juif. Un slogan bienvenu a fleuri récemment : « Séparation du CRIF et de l’État ».

Mais, les organes du pouvoir, dans leur immense bêtise, s’évertuent à mettre l’antisémitisme en dehors du racisme ordinaire. François Hollande n’a rien trouvé de mieux que de créer une Délégation Interministérielle à la Lutte Contre l’Antisémitisme et le Racisme, DILCRA. Déjà l’initiative est problématique parce qu’elle met l’antisémitisme en dehors du racisme. Mais en plus le délégué est un certain Gilles Clavreul auquel aucune confiance ne peut être faite. N’a-t-il pas déclaré à Libération il y a un an : « tous les racismes sont condamnables mais le racisme anti-arabe et anti-noir n’a pas les mêmes ressorts que l’antisémitisme dans sa violence. Il faut être capable de dire la particularité de l’antisémitisme… Cette haine du Juif qui rassemble extrême droite et islamistes ressort à chaque fois que cela va mal dans une société  ».

Critique de cette déclaration :

1) Propos décalés de la réalité

Alors que l’islamophobie se déchaîne, faut-il que le gouvernement soit dans l’irréel total pour créer une mission de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ? On a beau marteler que l’antisémitisme est une forme de racisme, le pouvoir en fait toujours un cas à part. Et ce n’est pas par manque de sens des réalités, c’est sur la base d’une stratégie politique d’alliance avec Israël et d’entretien de l’amalgame juifs-Israël
Quels sont les ressorts de la violence contre les Noirs et les Arabes et Musulmans ? Le vieux racisme colonial pas mort parce que la France n’a jamais fait le travail de distanciation et d’autocritique de son passé colonial ; au contraire, elle persiste dans le contexte néocolonial. Alors bien sûr, ce ne sont pas tout à fait les mêmes ressorts que ceux de l’antisémitisme. Mais ce qui est sous-jacent à cette distinction c’est que le racisme anti Noirs et anti Arabes serait moins grave, voire normal, que l’antisémitisme. Quant au racisme anti Rrom, il n’en parle même pas, n’accordant à ce peuple aucune humanité.

Et quelle serait cette particularité de l’antisémitisme ? Je ne vois que deux réponses possibles : soit la particularité tient au fait que la population juive d’Europe a été amputée d’une grande partie de ses membres par le génocide nazi et dans ce cas, la particularité aujourd’hui serait que les antisémites se réclament du nazisme et visent un génocide des Juifs. Absurde. Soit la particularité c’est que la critique du colonialisme israélien relève de l’antisémitisme. Eh bien non. Nous militons pour que cesse cet amalgame. Mais on est dans un contexte difficile. Depuis la circulaire Alliot Marie de 2010, jamais abrogée pendant le mandat de Hollande, des poursuites pénales sont exercées contre des militants du mouvement de Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS). La maire de Paris a fait voter un vœu contre BDS. Des universités refusent des salles demandées pour des conférences sur l’apartheid israélien. Serait-ce une préfiguration de ce que nous vaudrait la plus mauvaise issue possible des élections présidentielles ?

2) Des propos graves et sans fondement qui attribuent la responsabilité de l’antisémitisme aux islamistes. Là encore il faut évoquer le poids des milieux sionistes qui répandent l’idée d’un antisémitisme soi-disant consubstantiel aux sociétés musulmanes et de la confusion entretenue entre musulmans et islamistes. Ce type de déclaration purement gratuite a cependant été largement repris dans des discours fustigeant une convergence entre l’extrême droite et les islamo-gauchistes. Et les bataillons de laïcards et de « féministes » de lancer des anathèmes dans la plus grande bienveillance de l’État.
D’où l’inséparabilité des luttes contre le sionisme et contre l’islamophobie. Il est important de démasquer tous les discours qui, sous prétexte de laïcité se déchaînent contre les Musulmans et notamment les Musulmanes. Ces discours, tenus au plus haut niveau de l’État, vont de pair avec le discours sécuritaire, avec le maintien de l’état d’urgence, avec la coopération militaire et policière avec Israël d’où nous viennent des armes sophistiquées testées sur les Palestiniens.

Les convergences des luttes sont visibles aussi dans d’autres pays par exemple aux États Unis. Voir un article de Nada Elia, une féministe noire qui revendique qu’il « n’y place pour le sionisme dans aucun mouvement qui cherche à soulager la moindre parcelle d’oppression subie par les marginalisés…. Le sionisme est diamétralement opposé au féminisme intersectionnel en théorie et en pratique ». Elle explique que le sionisme a souvent été utilisé par la bourgeoisie blanche suprématiste pour combattre les mouvements de libération et qu’aujourd’hui, face à la montée du mouvement pour les vies noires, c’est une tactique de division qui se développe et qui a un impact parce que ce qu’il se passe en Palestine avec Israël est présenté aux États Unis de manière complètement biaisée.

Il y a une proximité particulière entre l’antisémitisme et l’islamophobie. Des mécanismes semblables de construction de la figure du bouc émissaire ont fonctionné et fonctionnent encore. Mais dans la France d’aujourd’hui c’est à un acharnement islamophobe qu’on assiste. L’État resserre l’étau législatif depuis la loi de 2004. En ce sens nous sommes bien placés à l’UJFP pour lancer une alerte sur le fascisme rampant qui pourrait facilement empirer.

Face à ce risque, je reprends la proposition qu’a lancée Houria Bouteldja dans son livre Les Blancs les Juifs et Nous, de la nécessité de la décomposition du pacte racial et républicain qui fonde la nation française.

Et très concrètement nous dénonçons sans cesse les discriminations, les contrôles au faciès, les meurtres policiers. Nous avons pris part aux marches pour la dignité et pour la justice sous la banderole commune UJFP – ATMF.

Contre la politique raciste et xénophobe de rejet des réfugiés et de criminalisation de la solidarité nous avons publié le Manifeste des enfants cachés.

L’UJFP se place aux côtés de tous les racisés dans leur combat contre les discriminations et les violences qu’ils subissent aujourd’hui en France. J’y associe les Rroms dont je n’ai pas beaucoup parlé parce que j’ai centré l’exposé sur l’antisémitisme, le philosémitisme et l’islamophobie. Mais je rappelle que nous militons avec les associations Rroms notamment en Ile-de- France et à Strasbourg et que nous participons chaque année à la commémoration de l’insurrection gitane d’Auschwitz. Une Parole Juive contre le racisme

En résumé, il est important :

– de faire comprendre que l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme

– de montrer que la lutte contre le sionisme est inséparable de la lutte contre l’islamophobie.

Sonia Fayman