Témoignage de Gaza (9)

Cela fait un mois que Rafah n’a pas ouvert ses portes dans le sens de la sortie vers l’Egypte et je termine la deuxième semaine d’attente dans une situation qui se tend pour les gazaouis puisque les banques n’ont pas permis l’accès à leur argent pendant une semaine. Ces jours supplémentaires, où notre activité militante concerne maintenant le soutien aux prisonniers en grève de la faim tournante, me permettent de saisir peut-être un peu mieux l’ambiance, l’air qui imprègne gaza et les liens qui unissent ou désunissent les gazaouis. J’ai entamé ce que j’appellerai des Conversations de Gaza avec des personnes d’horizons différents mais toutes assez jeunes. Quelques extraits, le principal pour plus tard…

La gestion des émotions

Pendant que j’écris ce bulletin dans la soirée un raid aérien a lâché une bombe dans le nord de gaza en réponse à des tirs de roquette le matin sur le sud, sans dégâts humains. Par contre les raids ont tué un homme sur sa moto accusé d’appartenir au Djihad Islamique et blessé deux passants dont un petit garçon de 9 ans gravement. Unadikum part à minuit à l’hôpital faire des photos/vidéo et un reportage je n’y vais pas je me demande pourquoi, voir le désespoir d’une famille que je ne connais pas, voir le corps d’un enfant abîmé, je ne sais plus ni que dire ni que faire…

Une projection d’Omar dans le cadre d’un festival de films à l’institut français en arabe sous titré en anglais m’a permis de sentir les vagues d’émotions dans le public qui étaient inversées par rapport aux miennes. Je supportais mal les scènes de violence ou d’humiliations qui semblaient être tellement quotidiennes et habituelles pour l’assistance alors que toute scène d’intimité, personnelle suscitait une attention extrême et de nombreuses réactions de participation. C’est l’intimité qui est rare à gaza voire même interdite, personne ne vit seul une femme vit soit avec son mari soit avec ses parents et tout le monde sait tout sur son voisin, difficile d’y échapper…

Dans une discussion avec un jeune artiste de Gaza il m’expliquait que le choix ou l’opportunité à penser à réfléchir à se trouver faisait défaut à Gaza car il n’y avait jamais de pause dans l’insécurité, la violence et qu’il n’y avait pas de raison à être vivant sans rêves sans futur. Il voulait nettoyer sa tête après tout ce qu’il a vu vécu perdu et que ce climat instauré par les Israéliens était « renforcé » par la politique du hammas avec la population. Il ressentait un sentiment associant la perte de l’espoir et une grande lassitude de la plainte. Je lui ai dit spontanément « mais tout le monde ne peut pas partir de gaza » il m’a répondu « tout le monde veut partir de gaza »…

Aujourd’hui par contre un jeune du PFLP souhaitait que l’université arrête de croire que les jeunes qui veulent partir continuer ou terminer leurs études à l’étranger (car à gaza on ne peut pas) auraient dans l’idée de ne pas revenir, il voulait la confiance de ses professeurs dans le départ des hommes (les femmes sont beaucoup moins susceptibles de ne pas revenir) à l’étranger pour mieux revenir. Par ailleurs les cinémas ayant été supprimés à gaza par le Hamas ils ont mis en place dans une salle des projections hebdomadaires qui s’appellent le cinéma des jeunes. Mais ce jour là était une sortie des jeunes du département français de l’université Al Aksa dans un parc public où nous avons joué au foot garçons et filles ensemble et la « sécurité » du Hamas est venue réprimander et filmer….

L’Histoire d’une famille de pêcheurs résidant à Beach/ camp Gaza ou comment regarder écouter et se sentir impuissant voire parfois piégé

C’est une grande famille dont le père s’appelle Mohamed Najjeeb-Balrer il a 60 ans dont 50 ans de pêche car il a commencé à travailler à 10 ans. Il a 6 garçons et 7 filles mais 50 personnes vivent dans la maison avec sa femme et lui. 4 de ses filles sont mariées, un de ses fils est prisonnier avec une famille de 4 enfants qui vivent ici avec leur mère.

3 de ses enfants à lui sont porteurs d’un lourd handicap avec retard mental sans aucune prise en charge adaptée et médicalisée et sa femme a un cancer qui nécessiterait une chimiothérapie en Israël, ils ont eu l’autorisation de passer par Erez mais avec quel argent ?

Comment subvenir aux besoins de toute la famille avec le peu d’argent qui rentre. Un de ses fils pêcheur n’a pas rentré un NIS depuis le 1er Mai, nous avons eu confirmation que la saison de pêche qui est entre début avril et mi-juin est la plus catastrophique de toutes cette année avec la restriction du domaine (3 Miles) la concurrence dans ce petit territoire et la dangerosité des conditions. Il n’y a plus de poissons. De temps en temps il travaille comme porteur occasionnel pour 20 ou 30 NIS chaque fois. Le père faisait un petit travail rémunéré sur le Gaza’Ark qui est terminé avec la destruction du bateau, il aide de temps en temps sur les bateaux pour une somme de 30 NIS quelques jours par mois. Avant il travaillait sur un gros bateau de pêche dont la sortie nécessitait une quantité importante de fuel donc ne peut plus sortir annulant une possibilité de rémunération car actuellement seuls les petits bateaux sortent avec une petite chance de ramener quelque poisson.

La situation des pêcheurs à Gaza est sans doute la pire professionnellement et économiquement dans les conditions qui leur sont faites.

Cette famille a fait depuis 15 ans de nombreuses demandes d’aide aux associations qui sont restées sans succès et sa nécessité actuelle concerne d’abord un soutien et une prise en charge des médicaments pour les personnes malades et handicapées de la famille.

Les martyrs, les familles de martyrs

Nous avons eu l’occasion plusieurs fois de visiter une famille de martyrs à Gaza ; il ya deux sortes de martyrs, ceux qui se sont engagés dans la résistance et sont morts au cours de leurs actions ou de représailles après une action et ceux qui sont morts accidentellement, souvent des enfants qui jouaient dans la rue et sont tombés sur des missiles non explosés après la guerre de 2009 ou 2012 par exemple ou des victimes civiles collatérales comme « on dit » d’une attaque israélienne. Pour les familles mourir en martyr est un honneur et c’est un honneur que d’être une famille de martyr.

« Il avait 17 ans il a tiré pendant trois heures dans une colonie israélienne dans la bande de gaza en 2003, ils l’ont attrapé et ont mis plus de 4 ans à rendre le corps à la famille, il avait laissé une lettre expliquant son geste futur et avait signé votre pauvre fils. Toute la famille pensait que c’était son frère qui agirait ainsi et le pensait mort son frère est toujours vivant quand nous l’avons rencontré son regard est au sol et sa tête baissée. »

« Ils étaient deux un petit garçon et une petite fille qui sont allés jouer dehors au retour de la famille dans leur maison 20 jours après les bombardements de 2012 dans le nord de gaza à 900 m de la frontière, les parents ont entendu l’explosion il ne restait plus rien des corps qui sont enterrés dans le cimetière des martyrs près de la frontière malgré l’interdiction des Israéliens »

Que penser, que dire, que faire à l’écoute de ces récits, est ce que la douleur se partage et surtout est ce qu’elle peut être soulagée, pour moi il n’y aurait que la colère en lieu et place de la douleur.

Un palestinien à l’écoute de ce récit me disait : « nous avons trop perdu des nôtres pour rien, ici tout le monde est un martyr c’est un destin tout le monde peut mourir même les enfants. »

La mise en place de l’accord de réconciliation et l’organisation de la société, un exemple les banques pour tenter de comprendre le casse-tête kafkaïen de l’administration palestinienne…

La « discrimination » du gouvernement palestinien d’unité provoque des échauffourées dans les banques de Gaza : lire cet article sur le site de l’ISM

Ce soir 11 Juin les banques avaient rouvert mais inutile de décrire la longueur de la queue dans la rue et la peur que tout le monde ne soit pas servi.

Je pense que les difficultés pour sortir de Gaza sont bien sûr liées à la fermeture par l’Egypte mais le Hamas ne participe pas beaucoup à la possibilité d’ouverture, si on peut le dire comme ça…. Pas de liquidité pas de circulation pas de liberté.

Les prisonniers

Il existe en Israël le cimetière des chiffres où sont enterrés les prisonniers palestiniens qui n’ont pas achevé leur temps de peine de prison avant que leur corps soit rendu à la famille.

Je ne vais pas reprendre tous les éléments des bulletins précédents ou de la campagne actuelle de soutien à la grève de la faim tournante contre les détentions administratives – 50 jours aujourd’hui-mais parler d’une histoire particulière.

Mourad Fahme Abu Mealek est de Nuseirat au sud de Gaza-City en prison depuis 13 ans condamné à 22 ans il est atteint de « la maladie de Crohn » depuis quelques années et ne reçoit ni les soins adaptés ni le traitement permettant une stabilisation de la maladie. Il traverse des souffrances terribles et on lui a déjà enlevé 1m60 d’intestins, son état ne cesse de se dégrader transféré de prison en prison, les israéliens lui refusent les soins qui lui permettraient aussi de ne pas continuer à souffrir. Mettre le focus sur Mourad et le défendre c’est défendre et soutenir tous les prisonniers palestiniens détenus dans des conditions inacceptables humainement et au regard du droit international. Une campagne internationale initiée par les associations palestiniennes des droits de l’homme va commencer avec le PCHR/ ALMEZAN CENTER /ADDAMEER en partenariat avec UNADIKUM qui les a rencontrées hier matin.

Le PCHR préfère parler de détenus que de prisonniers car il s’agit d’une occupation pas d’une guerre et la détention administrative relève du secret militaire – dixit Israël- permettant de ne jamais connaitre les charges retenues contre les palestiniens. La grève de la faim est un droit et après la lutte des prisonniers contre l’alimentation forcée par dreap et le décès de ceux qui se l’étaient arrachés provoquant une asphyxie pulmonaire, Israël essaie de revenir sur ce droit…

On est vendredi je termine ce bulletin.