Témoignage de Gaza (6)

Les Rythmes de vie

Ici on ne sait jamais si ce que l’on a prévu va se passer, une fois toutes les contraintes – interdits de toutes sortes, transport, essence, horaires d’électricité, eau (potable municipale livrée par l’UNWRA seulement tous les trois jours dans les camps de réfugiés), disponibilité des gens qui justement le sont tellement qu’ils ne le sont plus précisément !- contraintes intégrées passées ou mal digérées ! On attend….On passe beaucoup de temps à attendre et même la mesure du temps, de la minute ou de l’heure, n’est plus une mesure fiable, elle vous glisse entre les mains et l’énergie que l’on perd à essayer de la maitriser peut nous faire perdre beaucoup d’énergie et de désir…

D’autant que parfois on ne sait même pas pourquoi on attend, en fait sans doute culturellement mais aussi lié à l’enfermement le raisonnement rationaliste est voué à l’échec, les questions pourquoi ? quand ? comment ? avec qui ? sont des apories qu’il faut ranger au placard si on veut vivre à Gaza et tenir le coup, une leçon un peu tardive pour moi !

Comprendre nécessite la présence de celui que je n’ai jamais rencontré – Dieu ou son idée- et combien de fois les femmes m’ont demandée si je ne voulais pas devenir musulmane…

La vie quotidienne n’a pas de rythme il n’y a pas d’heure pour manger, il n’y a pas ou plus de nécessité le mobile sert de lien, de communication immédiate, de transport, d’éclairage et dans un taxi collectif qui s’arrête partout pour se remplir le trajet n’a rien de rationnel et vous ne pouvez pas réclamer une heure d’arrivée sans savoir par où il va passer.

Ici personne ne peut avoir de secret ou cacher quelque chose de sa vie tout se sait se dit se répète et se questionne : l’intimité dans ce lieu clos fermé de la bande de Gaza qui contient tant de monde, sans nature sauvage n’a pas sa place.

La démographie et le mariage

Beaucoup de palestiniens rencontrés expliquent que de toutes façons l’avenir joue pour eux car le taux de natalité des palestiniens est plus important que celui des Israéliens, que dans quelques années ils seront plus nombreux et effectivement depuis la deuxième intifada le taux de natalité a explosé, surtout dans les familles pauvres : combien de femmes de 35 ans avec 10 enfants rencontrées dans les camps de réfugiés…

La démographie est un enjeu d’avenir, mais la penser comme un enjeu de résolution du conflit place l’enfant dans une position infernale d’autant qu’Israël joue la même carte dans ses colonies en poussant les femmes à avoir beaucoup d’enfants. Les associations des droits humains font de cette question – contraception et information- un sujet à travailler car encore une fois il est politique économique et humain.

Il y a sur tous ces thèmes beaucoup d’associations à Gaza, une rencontrée m’a expliquée que de nouvelles lois mis en place par Abbas sont en cours qui reconnaissent tous les crimes comme identiques, y compris ceux appelés « crimes d’honneur » contre les femmes, mais ces lois attendent la formation du nouveau gouvernement pour être appliquées. De toute façon les crimes les plus nombreux sont ceux commis par les Israéliens quotidiennement et pendant les dernières guerres de 2009 et 2012.

Le mariage ici est très important, sacré, traditionnel, fréquent tous les jours en cette période qui précède le ramadan (fin juin). Sur l’ensemble de la cérémonie et de ses suites c’est l’homme qui prend tous les frais en charge ; la soirée, l’or, les habits, les invités, l’habitation future et les meubles.

Un contrat de mariage El Mahr est signé devant le juge qui comprend les conditions financières du divorce. Un minimum de 4 000 dinars jordaniens.

Le mariage dure plusieurs jours, seul le premier jour Elhena est pris en charge par la fille, elle invite ses amies sa famille, il n’y a que des femmes qui dansent et chantent et les hommes eux ont la fête des jeunes avec des chanteurs. La tradition palestinienne populaire chante et danse en toutes occasions même au milieu d’un discours ou d’une séance de broderies.

Le deuxième jour, il y a une grande fête avec les deux familles et la robe blanche, seules sont présentes les femmes ; les hommes sont en dehors de la salle et à la fin de la fête rentre le mari et sa famille. La femme ira habiter dans la maison familiale de son mari ou dans une maison qu’il lui louera ou achètera.

Après la première nuit, la famille de la fille vient leur apporter des cadeaux et voir comment s’est passée la première nuit…Quand on discute ici avec les jeunes filles ou garçons on perçoit l’aspect verrouillé que représente ces traditions qui parfois s’apparentent à des tragédies classiques – désaccord des familles, impossibilité religieuse, mariage entre gazaouis.

Les pêcheurs

La venue d’un écrivain français invité par l’institut pour trois jours nous a amenés à organiser une rencontre avec les pêcheurs : occasion d’écouter leur vie ou histoires de vie racontées par Zacharia leader syndical des pêcheurs.

Quelques chiffres, 3700 pêcheurs, 1450 bateaux 37km de côtes sur 5 villes côtières. La limite de la zone de pêche est maintenant à 3 milles avec beaucoup de problèmes, pas de roches pour la reproduction, les égouts et la pollution, l’eau chaude, les poissons sont dans la zone de 7 à 20 milles ; un soir nous avons vu pendant deux heures un groupe de pêcheurs affairés à tirer très précautionneusement un immense filet dans lequel au bout du compte il n’y avait que quelques minuscules poissons, la scène était bien triste.

La présence des internationaux a permis d’augmenter le tonnage des poissons, mais de chaque côté de la bande côtière, il y a également une zone tampon qui font de cette bande un entonnoir et chez nous en Europe trois milles c’est la zone de baignade.

Un pêcheur gagne actuellement 11O Nis par mois ce qui fait à peu près 25 euros. Chaque jour Israël tire, 12 pêcheurs tués depuis 2012 et le scénario est toujours le même : ils sont arrêtés, déshabillés, doivent nager nus même en hiver plusieurs centaines de mètres pour rejoindre la côte où ils sont menottés et couverts d’un sac sur la tête avant d’être soit relâchés avec un bateau dont le moteur a été détruit par une roquette, soit emprisonnés quand les soldats ne leur tirent pas une balle dans la jambe ou le corps.

Chaque pêcheur a une histoire d’humiliation à raconter où la raison n’a pas cours; quand les pêcheurs sont arrêtés avec ou sans leur bateau, ils sont emmenés à Hashdod. Hier soir deux pêcheurs ont été arrêtés à Rafah.

Programme « Gaza communauté santé mentale »

Quelques chiffres d’abord : le programme a été lancé en 1990 par un psychiatre très connu qui est mort actuellement; il comprend des services de suite pluridisciplinaires, de formation pour les étudiants, un magazine mensuel et trois centres d’accueil à Gaza, Kan-Younis et Der Elbala pour essayer de couvrir toute la bande de Gaza, mais il y a seulement 42 lits d’hospitalisation adultes dans un hôpital du gouvernement pour presque deux millions d’habitants et aucun lit de pédopsychiatrie.

Il s’agit, pour les équipes, de travailler ensemble les différents corps de métiers sociaux et médicaux avec les familles entre la maison et les centres d’accueil.

Si nous plantons des balles, que poussera t il ? de jeunes cadavres ou des arbres morts- poème palestinien –

Le contexte : blocus, taux de chômage, densité de population sur surface habitable, difficultés de construction, une moyenne de 7 personnes par famille tout cela sont les signaux d’une population sous colonisation enfermée de tous les côtés, mer, terre et air, traumatisée par deux guerres récentes 2009 et 2012.

Ces deux guerres ont eu un impact très lourd sur la population, une étude sur les effets psychologiques leur permet de dire que 30% des enfants souffrent depuis la dernière guerre de cauchemars, d’anxiété et de stress.

Ces enfants souffrent d’hyperactivité, d’agressivité, d’insécurité et les résultats scolaires sont en chute liés à des difficultés de concentration.

Dans les zones frontalières, les enfants sont énurétiques, somnambules et ont des difficultés d’expression. Comme partout, les équipes ont recours aux dessins, aux histoires, au théâtre, pour mettre en scène ces difficultés.

Au moment même de notre entretien passe dans le ciel, envoyée par les Israéliens ce qu’il appelle « une bombe de son », faite pour effrayer les enfants et entretenir le climat d’insécurité.

Ce programme fait beaucoup d’études; celle sur les prisonniers montre l’augmentation des désordres psychiques et l’augmentation des symptômes, comment pourrait il en être autrement ?

D’un mal trouver le bien, le peu de moyens le peu de médicaments dans le domaine psy oblige les équipes à une grande mobilisation relationnelle avec les gens et les familles avec également un versant de formation et d’information des familles qui, par exemple, ont des enfants autistes.

Mais le « Risperdal » antipsychotique dernière génération est donné à Gaza même s’il y a peu de stocks et un coût prohibitif ; la question du soin des schizophrénies ou autres formes de psychose n’a pas de frontières…des neuroleptiques anciennes générations sont donnés avec tous les effets secondaires qu’ils comportent…

Ce sentiment de peur, d’insécurité, de perte de croyance ou d’espoir en l’avenir, développé surtout chez les jeunes, les pousse vers le danger comme s’ils n’avaient rien à perdre.

L’agence de développement français par le biais du consulat finance pour partie leurs actions. A Gaza le bénévolat est l’action la plus répandue !

Dans l’après midi j’ai eu l’occasion de participer à une séance d’un projet mené par un artiste qui m’a vraiment plu et intéressée.

Le projet s’appelle THREADS ; fils (ou liens) projet artistique et culturel de communication sur les frontières et l’identité. L’équipe se compose de l’artiste qui coordonne et anime les actions – Motaz Habbash- d’un musicien joueur de Oud, d’un photographe et d’un réalisateur vidéo.

Il s’agit chaque fois d’aller faire une séance deux heures dans un centre qui aura réuni un groupe de personnes adulte ou enfants pour que chacun brode son oiseau qui enverra le message de ses rêves au-delà des frontières. Tout ce projet se fait sans un NIS de rémunération pour les artistes qui amènent tout le matériel et un petit passeport très original avec un miroir en lieu et place de photo d’identité. Une exposition future à Gaza et en Norvège devrait clore cette action.

La séance était composée de prisonniers, de jeunes hommes et de femmes voilées dont certaines avec le nikab assis ensemble et à coté les uns des autres autour d’une table échangeant et brodant.

J’avoue que voir les hommes broder aux côtés des femmes ainsi que la circulation des objets et des mots accompagnée de chants et de rythmes m’a plu et fait sourire.

Un message, un oiseau qui vit avec l’espoir qui sait l’impossible. Je me suis dit pourquoi ne pas y répondre de la France ?

Comprendre l’Egypte, l’accord de réconciliation

Il est tant attendu comme une possibilité de reconnaissance et d’ouverture de Rafah lié aux résultats des élections en Egypte.

Même s’il n’y a pas de surprise ce sera Sissi et Sissi ! de même facture que les frères musulmans pour le peuple.

Ils ont sacrifié Moubarak, mais il n’y a aucune marge de manœuvre pour les partis politiques en dehors de l’armée (soutenue par les USA et l’Europe) et les frères musulmans ; par ailleurs, la conscience politique peu développée chez le peuple égyptien n’arrange pas les choses, dans de nombreuses discussions, nous avons réaffirmé la nécessité d’être marxiste pour comprendre le monde et ses enjeux !

Avec les paysans le matin maintenant il fait très chaud en plein soleil mais ces derniers temps il n’y a pas eu de tirs seuls les passages de véhicules…