Témoignage de Gaza (10)

Le secret de Gaza, ce serait la capacité de faire d’un problème une solution ?

La base de la dignité serait l’éducation ?

Peut-on venir à Gaza pour la première fois avec une idée de projets, une motivation préalable, une représentation personnelle faite du récit des autres ?

Ces questions sont les miennes aujourd’hui après deux mois ici où les difficultés sont venues plus de l’échec du groupe des internationaux et de sa cohésion que de la vie quotidienne à Gaza à coté des habitants de la bande de Gaza. Je dirai que venir ici pour la première fois c’est d’abord écouter les oreilles grandes ouvertes voir les yeux concentrés sentir et ressentir, être disponible, puis partager échanger pour après éventuellement trouver un chemin de solidarité concrète et internationale d’abord puis de projets personnels peut-être ensuite… La colonisation, le blocus et l’apartheid sont les premiers verrous à faire sauter pour permettre à la population de Gaza d’avoir une vie où les droits fondamentaux existent et sont préservés : la liberté de circulation, l’accès à l’eau potable à l’électricité à l’éducation et à la santé.

Les enfants de Gaza

Voraces et tenaces en grappe les yeux comme des puits de curiosité d’ouverture au monde, vivants espiègles énergiques et pourtant ce sentiment qu’on leur prend leur enfance, d’abord l’insécurité et le stress de l’occupation des bombardements ensuite les placer dès leur plus jeune âge en position de combattant de résistant ou de travailleur…

Une petite fille qui court toute une rue pour venir me dire son prénom cinq minutes après m’avoir demandé le mien, je l’ai vue écoutée lui ai répondue alors que parfois cela arrive tellement de fois dans la journée qu’on ne répond plus et que l’on peut même être agacé de ne pas pouvoir faire un pas sans une demande, une interpellation, un contact pas forcement voulu…

Les Gazaouis qui parlent français

Normal, ça marche, c’est pas grave sont des expressions qui ponctuent et appuient entre toutes les phrases la parole des jeunes que j’ai rencontrés qui parlent français, très bien d’ailleurs. Comme si à Gaza les choses étaient normales pas graves et marchaient bien ! Il faut le dire pour que ça existe ! C’est une parole magique m’a dit M.

Les plages de Gaza

Le vendredi particulièrement on y voit de tout ; des installations de cuisine, tentes, salons, des voitures qui patinent dans le sable dans l’eau entre les grappes d’enfants mouillés et sableux, des ânes des chevaux des chameaux des carrioles des bateaux à moteur des barques à fond plat, des égouts des barbelés des vagues de la bouffe des vendeurs de tout du feu dans des tonneaux des grilles et des postes de secours qui hurlent dans un mégaphone. Régulièrement un drapeau rouge vert ou noir, les couleurs politiques s’affichent elles aussi sur la plage ? La limite sec et mouillé n’existe pas on ne se déshabille pas dans l’eau, habillés enfants femmes et hommes, le soleil est supportable il y a du vent et des odeurs, un chameau passe du café des cerfs volants au loin les raffineries d’Israël d’un coté de l’autre des minarets le monde sur la plage le vendredi n’a pas de fin il est sans limite.

Les histoires d’amour de Gaza

Elles sont racontées ressassées chantées par les femmes entre elles, frappées du sceau de l’interdit familial religieux ou traditionnel elles prennent une dimension géante dans l’imaginaire dans les rêves et durent au-delà de la vie qui passe. Pourtant elles n’ont pas été vécues dans la vie des corps seulement un regard, la répétition d’une attention un échange de mots ou une promesse d’avenir qui durera toute la vie, un rêve de poison ? Tellement de jeunes filles sont avides de savoir de connaitre comment cela se passe ailleurs dans d’autres pays, pour nous, leurs questions sont nombreuses et précises comme une possibilité de rêver.

C’est dans une cabane sous les oliviers parsemée d’un champ de menthe au pied de « la dune des amants » que deux femmes, une très âgée, Om Nasser, une de nos âges les cheveux lâchés avec bonheur, nous ont conté l’histoire de leur amour impossible et unique contrarié par la décision familiale. Nous avons mangé ensemble sur un tapis et bu thé et café faits sur le bois un espace libre frais hors du temps et du bruit, dans l’après midi pourtant un tir de roquettes, une réponse la sortie des drones.

A Gaza un homme, un jeune homme ne peut pas se promener discuter seul avec une femme une jeune fille si un accord d’union n’existe pas entre eux – fiançailles, mariage- un couple d’adolescents seuls sur la plage s’est vu demander ses papiers d’identité et interpeller. Un couple marié qui se rend chez un autre couple d’amis ne vivra pas une soirée mixte, les hommes les femmes et combien disent que c’est trop difficile de se battre ou résister à cette coutume, une issue le couple doublement mixte un(e) Palestinien(ne) et un(e) étranger(e) ? Beaucoup m’ont dit qu’à Gaza la religion n’était pas à sa place, celle d’une relation personnelle de chacun avec « dieu » avec les textes avec la spiritualité.

Le traitement des ordures à Gaza

La vie, le monde s’arrête aux portes de la maison, tout est propre rangé dans une maison, dehors c’est une grande poubelle générale…Bien sûr il manque les matériaux (camions) les circuits de traitements, de ramassage tout ce déficit étant lié au blocus aux conséquences de la guerre de 2009 avec l’arrêt des camions de ramassage remplacés par des carrioles et des ânes vers des décharges en plein air en pleine ville mais, comme dans beaucoup de pays en voie de développement par ailleurs, le dehors ne les concerne pas et le
plastique règne en maître de la consommation et de la distribution parfois on croit voir un arbre fleuri mais c’est une installation aléatoire de plastiques colorés qui l’habille ! Sans évoquer la question des égouts qui nous oblige à fermer notre nez plusieurs fois dans certains endroits de la bande de Gaza.

Un chauffeur de bus en début d’année scolaire dit aux enfants « je ne veux pas voir de papiers, de plastique de canettes dans mon bus il doit rester propre vous n’avez qu’à jeter par la fenêtre… »

Je ne sais pas si c’est le dernier bulletin, je ne sais pas ce que je ferai de ces deux mois à Gaza mais qu’on ne s’y trompe pas ma priorité a été la lutte contre la politique d’Israël le soutien à la résistance palestinienne sous toutes ses formes pour l’arrêt du blocus de la colonisation et la Palestine libre. Mais vivre à Gaza c’est aussi faire connaissance des gens rencontrer des personnes et aborder les contradictions de ce qui fait société.

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