Témoignage d’Abu Amir, le 28 décembre 2025 – Quand la tente devient une patrie provisoire

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Reconstruire la famille malgré les déplacements crédit photo UJFP

Compte rendu d’un des ateliers de soutien psychologique : récits de femmes qui reconstruisent la famille au cœur d’un déplacement impitoyable

Dans la phase dite d’après-guerre, alors que la vie est censée tenter de reprendre son souffle, les femmes de la bande de Gaza se retrouvent piégées dans une réalité plus dure que toutes les attentes. La guerre ne s’est pas réellement achevée avec l’arrêt des bombardements : elle a laissé derrière elle des camps de déplacés impropres à la vie, des tentes fragiles qui ne protègent ni de la chaleur étouffante de l’été ni du froid de l’hiver, et des journées lourdes qui commencent sans jamais finir. Dans ce contexte, la femme porte le poids de la perte, de la peur et des responsabilités, tout en essayant, en même temps, de paraître forte pour que ceux qui l’entourent ne s’effondrent pas.

Chaque jour, les femmes se réveillent face à des questions douloureuses sans réponses claires : comment assurer la nourriture dans un contexte de pénurie des ressources ? Comment préserver l’hygiène des enfants dans un lieu dépourvu des conditions sanitaires les plus élémentaires ? Comment calmer un enfant qui tremble de peur au moindre bruit fort ? Et comment une mère peut-elle contenir ses propres émotions avant de contenir celles de ses enfants, alors qu’elle vit sous une pression psychologique continue, sans intimité, sans sécurité et sans perspective proche d’amélioration ? À l’intérieur des tentes, les rôles se confondent, les pressions s’accumulent et les émotions deviennent vives et inflammables : la fatigue se transforme en colère, le silence en malentendus, et la peur en conflits familiaux qui s’intensifient jour après jour.

Les équipes de l’UJFP poursuivent la mise en œuvre de séances de soutien psychosocial destinées aux femmes de la bande de Gaza, une nouvelle séance de soutien psychologique a été organisée dans la zone centrale, à l’ouest de Deir al-Balah, au sein du camp Al-Durra, avec 25 participantes parmi les femmes déplacées qui se sont retrouvées contraintes de reconstruire leur vie sous les tentes.

Le lieu, malgré sa grande simplicité, offrait un rare espace de sécurité. Une petite tente, mais remplie de la présence de femmes portant des histoires plus lourdes que leur âge, des yeux épuisés par l’insomnie et l’angoisse, et des cœurs qui cherchaient simplement quelqu’un pour les écouter sans jugement. La séance a commencé par une rencontre de présentation simple, un échange des prénoms pour briser les premières barrières par des sourires timides et des regards hésitants qui se sont rapidement transformés en un sentiment de familiarité.

Il a été souligné dès le départ que tout ce qui serait dit à l’intérieur de la tente y resterait, et que les émotions, aussi contradictoires ou douloureuses qu’elles puissent paraître, sont naturelles au regard des traumatismes accumulés que vivent les femmes.

Avec le lancement des activités, les séquences ont varié entre des exercices légers pour relâcher les tensions et des activités de relaxation qui ont aidé les femmes à respirer profondément et à alléger, ne serait-ce qu’un peu, le poids qui oppressait leur poitrine.

Puis est venue la phase la plus importante de la séance : le moment de la libération émotionnelle, lorsque la parole a été ouverte aux participantes pour qu’elles expriment ce qu’elles vivent à l’intérieur des tentes de déplacement. Des femmes ont parlé de conflits familiaux qui n’existaient pas avant le déplacement, d’enfants devenus plus nerveux et craintifs, de maris épuisés par le sentiment d’impuissance dont le silence se transformait en tension au sein de la famille, et de mères envahies par la culpabilité chaque fois qu’elles perdaient patience dans un moment de faiblesse.

Les participantes n’ont pas été interrompues, leurs émotions n’ont pas été corrigées ni minimisées. Il n’y avait qu’une oreille attentive, des regards compréhensifs et des gestes confirmant que ce qui était dit était entendu et respecté. La tente s’est transformée en un espace de confession collective, où les femmes ont découvert qu’elles n’étaient pas seules et que la douleur partagée, devient plus supportable.

Les animatrices ont orienté la discussion vers l’importance de préserver les liens familiaux dans le contexte du déplacement, non pas comme un luxe, mais comme une nécessité psychologique protégeant tous les membres de l’effondrement. Il a été question de la communication au sein de la famille en temps de crise, de la manière d’exprimer la colère et la tristesse sans nuire aux autres, et de la possibilité de transformer la tente, malgré son exiguïté, en un espace où les enfants peuvent ressentir une forme relative de sécurité.

La séance a également abordé l’importance de la coopération entre les membres de la famille et de la répartition des rôles à l’intérieur de la tente afin d’alléger le fardeau qui repose le plus souvent sur la mère, laquelle assume généralement toutes les responsabilités à elle seule. Un espace particulier a été consacré à la discussion autour des enfants et de leur besoin urgent d’amour et de protection durant cette période, même lorsque les circonstances sont trop dures pour le permettre aisément.

À l’approche de la fin de la séance, la souffrance n’avait pas disparu, mais elle était devenue moins lourde. Les femmes sont reparties avec le sentiment que quelqu’un se souciait d’elles et cherchait à les soutenir psychologiquement à un moment où elles avaient l’impression que le monde entier les avait abandonnées.

Face à la persistance des crises, l’importance de ces ateliers se révèle comme des espaces de sécurité humaine qui redonnent à la femme sa voix et lui offrent des outils simples mais efficaces pour tenir bon. Car lorsque la femme est soutenue psychologiquement, la famille l’est aussi, et lorsque la famille résiste, la société demeure capable de rester debout, quelles que soient la violence des tempêtes.

(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)

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