Une pression américaine impose la transition, Netanyahu fait face à une échéance inévitable
Il est clair que les dernières heures ont apporté un changement dans l’humeur de la scène politique israélienne, ainsi qu’une évolution dans la manière d’aborder le dossier de la deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu. La question qui se pose désormais dans les cercles de prise de décision à Tel-Aviv n’est plus : Israël va-t-elle passer à la phase suivante ? mais plutôt : quand et comment cette transition se fera-t-elle ? Et ce, malgré le fait que certaines parties au sein du cabinet tentent encore de lier l’ensemble du processus à la question de la restitution des trois corps que, selon Israël, le Hamas n’aurait pas encore remis. Toutefois, une lecture approfondie de la situation indique que la question dépasse désormais ce seul conditionnement, et que Netanyahu est poussé, voire forcé, à accepter la deuxième phase — non par générosité politique ou par « bonne volonté », mais sous une pression claire et directe de l’administration américaine, qui considère désormais le maintien du statut quo comme un fardeau politique, sécuritaire et humanitaire.
Cette pression exercée par Washington n’est pas nouvelle, mais elle a pris ces derniers jours une forme plus explicite. Les signaux successifs provenant de la capitale américaine montrent une volonté réelle d’ouvrir le volet humanitaire, de réorganiser la situation sur le terrain dans la bande de Gaza, et de parvenir à une formule permettant de réduire au minimum les frictions militaires. Cela s’est reflété directement au sein du cabinet israélien, qui a tenu hier une séance houleuse, marquée par des interventions contradictoires entre ceux qui prônent une avancée immédiate et ceux qui restent convaincus que la question des corps est la clé pour débloquer le processus.
Bien que Netanyahu ait tenté de se présenter comme un dirigeant agissant selon des critères de « sécurité nationale » pure, ce qui a filtré de la réunion — notamment ce qu’a publié le quotidien Yedioth Ahronoth — révèle qu’il n’est pas libre dans ses décisions. Il a ainsi ordonné la formation d’une équipe ministérielle restreinte, chargée exclusivement du suivi de la mise en œuvre de la deuxième phase de l’accord, une procédure rarement adoptée, sauf lorsque les choses approchent du point de non-retour. L’équipe regroupe Netanyahu lui-même, le ministre de la Défense Israel Katz, le ministre des Affaires étrangères Gideon Saar, le ministre de la Justice Yariv Levin, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, ainsi que le ministre Itamar Ben Gvir. Cette composition, bien qu’elle paraisse politiquement diversifiée, reflète en réalité la volonté de Netanyahu de contenir ses opposants dans un même cadre afin qu’ils ne se transforment pas en centres de pression indépendants contre lui.
La séance en question n’était pas une simple réunion de routine : elle a été, selon les fuites, le théâtre d’un affrontement entre trois courants au sein du cabinet. Le premier appelle à une transition immédiate vers la deuxième phase, convaincu que le maintien de la situation actuelle engendrera pour Israël de nouvelles crises et augmentera les pressions internationales. Le second, plus radical, considère que la transition constitue une « concession gratuite » tant que les trois corps n’ont pas été récupérés. Quant au troisième courant — le moins bruyant mais le plus influent — il a tenté d’offrir au Hamas un « prétexte objectif », affirmant que la situation sur le terrain à Gaza rend la découverte ou le transfert des corps extrêmement complexe, impossible à résoudre par une simple injonction.
Quoi qu’il en soit, en dépit des tensions internes, la réalité politique s’impose : Netanyahu ne peut plus échapper aux obligations de la deuxième phase. Les engagements de l’accord sont clairs, les pressions américaines et onusiennes s’accumulent, et l’armée elle-même commence à signaler que le maintien du contrôle sur de vastes zones du secteur consomme d’immenses capacités logistiques et humaines. Il est donc devenu difficile — pour ne pas dire impossible — pour Netanyahu de poursuivre sa politique habituelle de temporisation.
La deuxième phase de l’accord comporte des implications militaires et politiques on ne peut plus claires. Elle signifie d’abord le retrait de l’armée israélienne du cœur de la bande de Gaza et son repositionnement dans une zone tampon définie par les arrangements en vigueur, ce qui permettra d’alléger la pression sur les civils et d’ouvrir la voie aux mouvements humanitaires et logistiques. Elle implique ensuite la réouverture du passage de Rafah dans les deux sens, une clause prévue dans l’accord et qui ne constitue en aucun cas une « faveur politique » de Netanyahu ou de son gouvernement. Cette disposition est particulièrement sensible, car la réouverture du passage rétablira le lien naturel entre Gaza et l’extérieur, brisant ainsi une grande partie du blocus imposé depuis des mois.
La deuxième phase ne s’arrête pas là : elle inclut également une augmentation de l’aide humanitaire et l’entrée de matériaux contribuant à la reconstruction des infrastructures, des services essentiels et des installations civiles détruites par la guerre. Bien que ces mesures profitent directement au côté palestinien, elles représentent aussi un intérêt indirect pour Israël : elles contribuent à réduire la pression internationale, à calmer les tensions sur le terrain et à créer un environnement moins hostile à toute présence militaire israélienne restante.
La lecture globale de la situation montre clairement que la deuxième phase n’est plus une hypothèse, mais une étape inévitable, et que les discours autour des corps ou de « nouvelles conditions » ne sont que des tentatives politiques pour gagner du temps. Pourtant, ce qui se déroule dans les couloirs du cabinet laisse penser que Netanyahu cherche à sortir de ce processus avec le moins de pertes politiques possible, notamment alors que sa base de droite commence à montrer des signes d’agacement et que des ministres comme Ben Gvir et Smotrich cherchent la moindre occasion pour le mettre dans l’embarras ou le faire céder.
En toile de fond, Washington demeure l’acteur le plus influent. Elle considère que la perpétuation de la situation actuelle porte atteinte à son image internationale, menace la stabilité régionale, embarrasse ses alliés et la confronte à des pressions internes et externes. C’est pourquoi ses derniers messages à Netanyahu n’avaient rien de la diplomatie douce : ils s’apparentaient plutôt à des directives politiques enveloppées dans les termes du partenariat et de l’alliance stratégique.
Toutes ces évolutions conduisent à une conclusion évidente : la deuxième phase arrive, que Netanyahu y entre en décideur ou contraint. Les équilibres régionaux et internationaux, la situation sur le terrain à Gaza, les pressions américaines, et le besoin pour Israël de réorganiser sa scène interne, convergent tous dans une même direction, ne laissant à Netanyahu qu’une marge de manœuvre extrêmement réduite.
Les prochaines heures et jours pourraient apporter davantage de complications politiques, et peut-être plus de pressions encore, mais la tendance générale est désormais claire : le gouvernement israélien ne peut rester figé, ni repousser l’échéance prévue par l’accord. Les événements qui s’accélèrent montrent qu’Israël est entrée dans une nouvelle phase qui laissera des traces profondes sur l’avenir de la guerre, sur la place de Netanyahu au sein de son gouvernement, et sur la nature de la relation entre la puissance occupante et les habitants du secteur.
Tandis que les discussions se poursuivent au sein du cabinet et que les fuites issues de la presse hébraïque se multiplient, la scène palestinienne reste celle qui mérite le plus d’attention : chaque pas vers la deuxième phase signifie davantage de soulagement humanitaire, l’ouverture de portes longtemps fermées et la reconstruction de ce qui a été détruit. Cela constitue un défi politique et sécuritaire pour Israël, mais également une étape dont elle ne peut plus se retirer, quelles que soient les tentatives de procrastination ou d’échappatoire.
(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)



