Union juive française pour la paix

Témoignage d’Abu Amir, le 19 novembre 2025 – Gaza : les voyages sans retour

Abu Amir envoie un texte qui détaille précisément l’information relayée par tous les médias des avions arrivés en Afrique du Sud dernièrement, où comment la Nakba est remodelée avec des avions inconnus et des organisations fictives.

L’histoire a commencé par une scène qui paraissait, à première vue, un simple incident humanitaire : un groupe de Palestiniens bloqués à bord d’un avion non identifié à l’aéroport de Johannesburg, en Afrique du Sud, sans eau ni nourriture, désemparés, ne sachant ni qui avait organisé leur voyage, ni pourquoi ils se retrouvaient dans un pays qui n’était pas prêt à les accueillir. Il n’y avait ni compagnie aérienne enregistrée, ni numéro de vol, ni autorité officielle attendant les passagers à l’atterrissage. Tout laissait présager que derrière cette scène se cachait quelque chose de bien plus profond qu’un simple dysfonctionnement administratif ou qu’un vol humanitaire improvisé.

Au fil des premières informations divulguées, il est apparu que les voyageurs étaient initialement sortis de Gaza via le passage de Kerem Shalom, puis transférés directement à l’aéroport Ramon, au sud du Néguev. Mais la partie la plus dangereuse n’était pas dans le mode de transport, elle résidait plutôt dans ce qui avait été omis : les passeports des passagers n’avaient pas été tamponnés à la sortie. Ce n’est ni un détail anodin ni une simple erreur formelle, mais une étape essentielle, porteuse d’une implication juridique extrêmement grave. L’absence de tampon signifie que le passager ne possède aucune preuve qu’il a quitté temporairement son territoire ; il perd donc son droit légal au retour et sa qualité de « résident de Gaza » devant les tribunaux ou les instances internationales. Il devient alors semblable à un migrant irrégulier arrivé dans un pays étranger sans justification officielle.

Pendant ce temps, une organisation appelée « Al-Majd Europe » est apparue sur le devant de la scène. Il s’est avéré qu’elle collectait de grosses sommes d’argent auprès de Palestiniens sous prétexte de faciliter leur sortie, diffusant photos et données falsifiées, et utilisant un discours émotionnel pour attirer des personnes désespérées cherchant une issue de secours en pleine catastrophe. Dès que les vols ont atterri en Afrique du Sud, l’organisation a complètement disparu, sans laisser la moindre trace légale, administrative ou humanitaire. Ce type d’organisation ne naît pas du néant : il opère souvent dans des contextes complexes mêlant intérêts sécuritaires, politiques et financiers, et sert de façade pour des opérations plus vastes dont les véritables acteurs préfèrent rester dans l’ombre.

L’Afrique du Sud, qui mène actuellement une procédure internationale contre Israël pour génocide, a été surprise de constater l’arrivée de passagers sans tampon de sortie, sans coordination officielle et sans entité responsable de leur prise en charge. Cette scène était tout sauf normale pour un pays profondément sensible à la cause palestinienne et doté d’une longue expérience dans la lecture des mécanismes de persécution et de discrimination raciale. À l’arrivée du deuxième vol, le président Cyril Ramaphosa est intervenu en personne : il a accueilli les passagers avec respect en raison de leur situation humanitaire, mais il a simultanément fermé la porte de manière catégorique au troisième vol, affirmant que son pays ne deviendrait pas une plateforme de déplacement forcé des Palestiniens ni un lieu où une nouvelle Nakba serait réinventée sous couvert d’initiatives humanitaires.

Cette position a révélé l’ampleur du danger. Si l’Afrique du Sud avait traité l’affaire de manière routinière ou négligente, les vols auraient pu se poursuivre, transformant l’afflux de Palestiniens en un fait accompli pouvant ensuite être utilisé comme preuve d’une « migration volontaire ». Cela aurait permis de diffuser une narration politique dangereuse, affirmant que les Palestiniens quittent Gaza de leur plein gré et que leur problème ne vient pas de l’occupation, mais des conditions de la région. Plus grave encore, l’absence de tampon aurait rendu extrêmement difficile, voire impossible, la défense juridique du droit au retour, puisque chaque personne aurait été considérée non plus comme un « habitant d’une zone assiégée », mais comme un « voyageur dépourvu de statut légal clair ».

Le modèle de déplacement forcé semble désormais ne plus reposer sur les chars, les expulsions directes ou les massacres massifs comme par le passé. Il a évolué vers une forme plus subtile et discrète : un déplacement silencieux qui passe par les portes des aéroports, les failles des points de passage, les organisations-écrans, les vols clandestins et des procédures bureaucratiques soigneusement orchestrées, où l’identité se voit confisquée sans que la victime n’en prenne conscience. Derrière cette méthode se trouve une logique stratégique à long terme : modifier la démographie de Gaza non seulement par la violence, mais aussi en démantelant progressivement la présence palestinienne, en poussant les gens à partir, puis en bloquant légalement leur retour à l’aide de formalités administratives.

Le danger de ce modèle ne concerne pas uniquement des cas individuels, mais ce qu’il pourrait devenir s’il n’est pas combattu. Imaginez un processus qui s’ouvre devant des milliers de Palestiniens écrasés par la faim, la maladie et la destruction, quittant Gaza l’un après l’autre par des voies non officielles, voyageant à bord de vols anonymes vers des pays lointains incapables de gérer leur arrivée, et qui finissent contraints de les intégrer en tant que « migrants sans patrie ». L’existence palestinienne serait alors menacée non seulement à Gaza, mais aussi dans les registres internationaux. Le droit au retour deviendrait un dossier affaibli, dépourvu de preuves.

L’Afrique du Sud a été la seule à percevoir rapidement le danger — peut-être parce qu’elle a elle-même vécu comment la loi peut être utilisée comme outil d’oppression, et comment un simple tampon de voyage peut servir à prouver une identité ou à l’effacer. Mais la question qui s’impose aujourd’hui est la suivante : les pays arabes remarquent-ils ce type de déplacement forcé qui pourrait se glisser à travers leurs frontières ? Et prendront-ils des mesures concrètes — pas seulement des paroles — pour protéger l’identité juridique des Palestiniens, afin d’éviter que le départ temporaire ne devienne une absence définitive ?

Ce qui s’est produit révèle un modèle susceptible de se répéter si aucune réaction ferme n’est adoptée : un déplacement sans bruit, sans bulldozers, sans vagues de réfugiés franchissant les frontières, mais via des avions silencieux, des points de passage muets, des procédures invisibles et des formes d’assistance soi-disant humanitaires qui contiennent en réalité les germes d’une nouvelle Nakba. Lorsque ce modèle deviendra une routine, nous pourrions nous retrouver face à une réalité où la présence palestinienne s’effrite progressivement — sans batailles, sans déclarations, sans même possibilité de recours juridique.

Et là, le danger dépasse les frontières de Gaza pour toucher au cœur même de la cause palestinienne : l’existence, l’identité, le droit, le retour. Une cause ne s’efface pas toujours par des slogans ; parfois, elle s’efface par une simple étape au poste-frontière, par un tampon manquant sur une page de passeport. Sans vigilance arabe et internationale, le déplacement silencieux pourrait devenir une politique établie, remodelant la géographie, modifiant la démographie et écrivant un nouveau chapitre de la souffrance palestinienne — cette fois, sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré.

(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)

    Tous les dossiers