Témoignage d’Abu Amir, le 18 avril 2025 – Cendres sur les bancs : Où sont passés les enfants des écoles ? Histoire d’une génération éducative perdue à Gaza

Abu Amir 17 4 25 education IMG 0288 Témoignage d'Abu Amir, le 18 avril 2025 - Cendres sur les bancs : Où sont passés les enfants des écoles ? Histoire d’une génération éducative perdue à Gaza

Les écoles de Gaza ne sont plus des lieux d’apprentissage, mais des scènes de ruine annoncée, des cours silencieuses pleines des pleurs d’une enfance disparue. Ces salles de classe qui résonnaient autrefois des voix enfantines et du crissement des craies sur les tableaux ne sont désormais que des tas de gravats, des abris d’urgence ou des points de distribution de pain et d’eau – quand il y en a. Depuis le début de l’agression israélienne sur la bande de Gaza en octobre 2023, plus d’un million d’enfants palestiniens ont été coupés de leur éducation. Le quotidien de l’élève gazaoui n’est plus fait de cahiers et de livres, mais de listes : celle des tués, des déplacés ou des disparus.

Dans chaque camp de déplacement, des dizaines de familles vivent dans les écoles de l’UNRWA, transformées en tentes de fortune. Les voix de la faim s’y mêlent aux gémissements des malades. Les tableaux sont brisés, les bancs couverts de couvertures, et les enseignants – ceux qui restent – sont impuissants à transmettre leur savoir au milieu du chaos, des bombardements et de la faim. Des enfants, qui apprenaient à lire il y a quelques semaines à peine, mémorisent aujourd’hui les noms des avions, les sons des missiles et les nouvelles destinations de l’exil.

Mais face à ce tableau sombre, des initiatives courageuses sur le terrain tentent de résister à la destruction et de faire avancer l’éducation, même avec les moyens les plus modestes. Parmi elles, le rôle de l’UJFP se distingue. Depuis le début de la guerre, elle œuvre sans relâche à la création et au soutien de centres éducatifs alternatifs dans les camps de déplacés, tout en poursuivant ses efforts humanitaires et son appui aux agriculteurs dans les zones assiégées. À Abu Taïma – l’une des régions agricoles les plus touchées – l’UJFP a mis en place un centre éducatif spécial pour les enfants d’agriculteurs. Ce centre offre un environnement pédagogique souple, alliant soutien psychologique et apprentissage des savoirs fondamentaux.

Dans l’ouest de Nuseirat, l’UJFP a également fondé une école baptisée « Le Premier Pas », véritable symbole de la volonté de vivre. Aujourd’hui, elle accueille 205 enfants du primaire et du collège, qui reçoivent un enseignement régulier dans cinq matières essentielles : l’arabe, l’anglais, les mathématiques, les sciences et l’éducation religieuse. L’école prend aussi en charge 55 lycéens dans les disciplines suivantes : physique, chimie, arabe, anglais et mathématiques. L’enseignement se fait en deux périodes : une matinée de 8h à 12h, et une session l’après-midi de 12h30 à 16h, afin de permettre à un maximum d’enfants de recevoir une instruction malgré le manque de moyens et des conditions désastreuses.

Ces efforts se poursuivent dans des circonstances extrêmement difficiles, mais ils ravivent une lueur d’espoir dans les yeux des enfants, leur rappelant que tout n’est pas perdu, que l’école n’est pas qu’un bâtiment, mais aussi un refuge pour l’esprit et le cœur meurtris.

Mais le drame ne s’arrête pas à cette interruption temporaire : il menace de devenir chronique. Une rupture prolongée engendre l’analphabétisme, favorise l’abandon scolaire, et pousse les enfants vers le travail forcé, la mendicité, l’extrémisme, ou simplement l’errance. Une génération entière risque de perdre ses fondations, pas seulement en savoirs, mais aussi en émotions et en liens sociaux. L’enfant qui ne va pas à l’école ne perd pas seulement les mots et les chiffres, il perd le sentiment de sécurité, d’appartenance, de lien avec ses pairs. Il grandit blessé de l’intérieur, envahi de questions, privé de rêves.

À Gaza, ce ne sont pas seulement les écoles qu’on a bombardées – c’est l’espoir lui-même. Les bancs d’école sont devenus des cendres, et les regards des enfants ne portent plus sur demain avec curiosité, mais avec peur. Si cette coupure se prolonge, une génération grandira sans autre souvenir de l’enfance que celui de la farine subventionnée, et sans autre image de l’école qu’une tente de passage. Aucun pays ne peut se construire sans éducation, et aucune liberté ne s’arrache avec une génération à qui on a volé la lumière des lettres. Pourtant, au cœur des ténèbres, les initiatives éducatives surgissent pour affirmer que l’éducation est un acte de résistance, et que le crayon peut vaincre même quand tombent les bombes. Le monde doit comprendre que sauver l’éducation à Gaza n’est pas un luxe, mais une bouée de sauvetage pour une ville qu’on égorge chaque jour – et pour une génération qui disparaît doucement des pages de la vie… sous les décombres silencieux, sur des bancs vides, et dans des rêves effacés par la poussière.

(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)

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