Lorsque l’armée israélienne s’est retirée de certaines parties de la bande de Gaza, les gens ont pensé qu’une nouvelle aube commençait. Mais à peine leurs chars ont-ils disparu que réapparut une autre nuit sur la ville. La joie qui avait rempli les cœurs dans les premiers instants s’est transformée rapidement en une peur indicible.
Personne n’aurait cru que de nouvelles balles s’élèveraient — et pourtant elles s’élevèrent. Des balles qui ne venaient pas d’un ennemi extérieur, mais de nos propres compatriotes. Les rues se sont remplies de chuchotements en colère et de cris tremblants.
Une scène sanglante s’est répétée devant les enfants et les femmes, comme si la guerre n’était jamais finie.
Dans les ruelles étroites, les gens couraient à la recherche d’un abri, non plus des avions cette fois, mais les uns contre les autres. Des visages familiers sont devenus effrayants, et des noms autrefois prononcés avec fierté furent désormais accusés de trahison. Le sang palestinien a coulé à nouveau, mais cette fois par des mains palestiniennes.
C’est là que commence une histoire que personne n’attendait. Au moment où tout le monde crut s’être libéré de l’ennemi, l’ennemi caché a éclaté à l’intérieur. Des accusations de trahison, de collaboration, d’espionnage ont empli l’air.
Certaines sont fondées, d’autres ne sont que des soupçons, mais le résultat reste le même : la mort dans la rue. Des hommes sont exécutés devant leurs enfants sans procès, sans défense, sans juge pour entendre, sans avocat pour parler.
Des scènes qui ébranlent la conscience et troublent l’esprit. Qui leur a donné le droit d’exécuter des sentences de mort sans preuves ? Qui les a nommés juges et bourreaux en même temps ? Est-ce là la liberté dont les gens rêvaient ?
Avons-nous quitté l’injustice de l’occupation pour sombrer dans l’injustice entre nous ?
Une femme sanglote : « Ils ont tué mon voisin sous mes yeux… Ils disaient qu’il était un traître, et personne n’a prouvé quoi que ce soit. »
Un jeune homme répond d’une voix brisée : « Les traîtres méritent le châtiment, mais pas de cette manière. »
Ailleurs, un autre jeune tombe, atteint par une balle inconnue, simplement parce que quelqu’un l’a désigné comme suspect.
Les visages qui brandissaient des slogans de victoire se cachent maintenant, couverts par la peur d’être accusés. Personne ne sait qui sera le prochain. Chacun est présumé coupable jusqu’à preuve du contraire.
Mais qui prouvera le contraire dans une rue gouvernée par les embouts des fusils ?
Où est la justice ? Où est l’État ? Où est la loi ? Qui décide qui doit vivre et qui doit être exécuté ? Le monde qui pleurait sur Gaza commence à se demander : que se passe-t-il là-bas ? Où est cette image pure d’un peuple qui lutte pour sa liberté ?
Comment le monde continuera-t-il à compatir pour nous, si nous tuons nos propres fils et filles devant les caméras ? Chaque balle tirée dans la rue ne tue pas seulement une personne, elle tue aussi la sympathie de millions. Chaque exécution publique détruit l’image d’un peuple qui a tenu tête à l’occupation pendant des décennies.
Combien il est douloureux de perdre ce que nous avons construit par le sang des martyrs à cause d’un moment de chaos. Combien il est cruel que l’opprimé devienne l’oppresseur dans un accès de colère.
Allons-nous nous autoriser à devenir l’image de la violence que nous avons toujours condamnée ? N’y a-t-il personne parmi nous pour crier : « Assez » ? La justice ne se forge pas avec des balles, mais dans les tribunaux.
La patrie ne se construit pas par la vengeance, mais par la loi. Le sang ne lave pas le sang, et l’injustice n’efface pas l’injustice. Nous avons besoin d’un système judiciaire équitable qui dise son mot, pas de groupes en colère qui jugent sur la base de soupçons.
Que celui qui accuse présente la preuve, et que l’accusé ait le droit de se défendre. Tel est le cœur de la justice, et c’est ce qui rétablit la confiance entre les gens. Si nous voulons protéger la patrie, nous devons d’abord protéger notre conscience. Et arrêter cette hémorragie interne qui ne sert que le véritable ennemi. Car l’occupation regarde et sourit.
Chaque balle que nous tirons les uns sur les autres est un cadeau gratuit pour lui. Aujourd’hui, nous vivons le moment le plus dangereux de notre histoire. Un moment où nous pouvons prouver que nous sommes un peuple conscient, ou bien nous effondrer face à nous-mêmes.
Soit nous choisissons la voie de la justice, soit nous empruntons celle du chaos. Qui gouvernera demain si la loi meurt aujourd’hui ? Qui reconstruira l’avenir de Gaza si la morale s’effondre ?
Le monde nous observe, et chaque acte que nous posons est enregistré et raconté. L’image de Gaza n’est pas seulement parmi les décombres, mais dans les yeux des gens. Nous voient-ils comme des opprimés ? Ou nous voient-ils en train de devenir des oppresseurs ?
Chaque scène diffusée sur Internet change une opinion quelque part. Chaque nouvelle vidéo d’exécution affaiblit notre cause.
Les organisations internationales commencent à demander des comptes et à dénoncer. Des déclarations exigent des enquêtes sur les exécutions sommaires. Des voix appellent au respect du droit international et des droits de l’homme. Même les habitants de Gaza commencent à crier : nous voulons un État, pas le chaos. Nous voulons une véritable justice, pas des slogans. Nous voulons vivre en sécurité, pas avoir peur d’être la prochaine cible.
La cause palestinienne a toujours été une cause de droit et de justice ; comment préserverons-nous ce droit alors que nous nous enfonçons dans des scènes d’atrocité ?
Comment convaincre le monde que nous sommes des victimes si nous faisons du tort à nos semblables ? Comment demander la liberté alors que nous la retirons aux autres ? L’exécution sommaire ne se justifie en aucun cas. Même le traître a droit à un procès avant la sentence. Quelle différence y-a-t-il entre nous et ceux qui nous ont opprimés si nous faisons la même chose ?
Celui qui tue sans preuve tue aussi la patrie. Et celui qui se tait face au crime en est complice. Il doit y avoir une voix qui dise « Arrêtez », une voix qui s’élève au-dessus des armes : la voix de la loi. La loi seule préserve la dignité de l’État et la dignité humaine. Sans loi, nous devenons des tribus en guerre, non un peuple uni. Sans justice, il n’y a ni liberté, ni dignité, ni patrie.
Le temps est venu d’arrêter. De nous remettre en question avant de juger les autres. De penser à nos enfants qui voient tout cela et demandent : pourquoi ? Que leur dirons-nous ? Dirons-nous que la justice était dans les balles ? Dirons-nous que la liberté s’est construite sur le sang intérieur ?
Non, la liberté se construit par la loi. La dignité se sauvegarde par les institutions, non par les bandes armées. Le droit ne fleurit pas dans l’ombre de la peur, mais dans la lumière de la justice. La justice commence par l’arrêt immédiat des exécutions.
Nous devons appeler à des enquêtes transparentes pour chaque homicide. Redonner au système judiciaire sa prestance, et à l’homme son droit à la défense. Tenir pour responsables ceux qui ont profité du chaos pour se venger ou imposer leur autorité. Dire au monde : nous n’avons pas peur de la justice, nous la demandons.
Gaza n’est pas seulement un lieu de mort, mais un lieu de vie. Rétablissons la confiance entre nous avant de réclamer celle des autres. Protégeons notre sang de nos propres mains, car l’occupation n’est plus le seul à nous tuer. Apprenons à nos enfants que la trahison est un crime, mais que tuer sans jugement est un crime plus grand encore. Rendons aux gens la foi que la justice est possible. Tout ce qui se passe maintenant profite à l’ennemi. Chaque balle intérieure affaiblit notre voix à l’étranger. Chaque corps abandonné dans la rue ouvre une nouvelle porte à la haine. Nous devons choisir : être une nation de droit, ou une jungle de chaos. Protéger notre dignité par la loi, ou l’enterrer sous la vengeance. Vivre comme un peuple digne de la liberté, ou disparaître comme des groupes en conflit.
L’histoire ne pardonne pas, et le monde n’oublie pas. Elle écrira ce que nous faisons aujourd’hui en lettres claires. Soit nous serons considérés comme des champions de la justice, soit comme des victimes de nous-mêmes. Levons-nous aujourd’hui avec sincérité. Élevons la voix contre les exécutions, contre les meurtres, contre le chaos. Faisons de la loi notre arme la plus forte, et prouvons que nous méritons d’être respectés, non redoutés.
Que notre slogan soit : la justice d’abord. Que notre promesse soit : pas de mort sans procès, pas de sentence sans loi. Ainsi seule la dignité humaine sera préservée, ainsi seule Gaza sera protégée de l’engloutissement par le chaos. Ainsi seulement mériterons-nous qu’on dise de nous : ce peuple mérite la vie. Et ainsi seulement, nous écrirons la fin que nous désirons : la fin du chaos et le commencement de la justice.
(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)