Témoignage d’Abu Amir, le 16 avril 2025 – À Gaza, la faim est devenue l’ultime arme de mort d’Israël

Chronique 16 Avril.jpeg jpg Témoignage d'Abu Amir, le 16 avril 2025 – À Gaza, la faim est devenue l’ultime arme de mort d’Israël
Des Palestiniens font leurs courses sur un marché installé au milieu des décombres du camp de réfugiés de Jabalia, au nord de Gaza, pendant le mois sacré du Ramadan, le 6 mars 2025. Suite à l’arrêt de l’entrée de l’aide humanitaire par Israël, les produits à la vente se sont raréfiés, et pour certains complètement disparu. Photo d’Omar Ashtawy (apaimages)

À Gaza, bien avant la fermeture totale des points de passage et l’arrêt de l’arrivée des camions d’aide humanitaire, une vie parallèle se déroulait dans l’ombre : une économie souterraine nourrie par la guerre et le blocus, prospérant sur la misère et le besoin. Ce système invisible, connu sous le nom de « marché noir », n’était pas une anomalie passagère, mais une créature affamée qui s’épanouissait dans le chaos, dévorant dignité et espoir.

Sous l’emprise de la faim : comment le marché noir a dévoré la bouche du pauvre à Gaza ?

Même l’aide humanitaire – censée être un refuge pour les plus démunis – s’est transformée en marchandise à vendre. Les camions franchissaient lentement le point de passage de Kerem Shalom, déchargeant leur cargaison dans des points de distribution, mais seule une infime partie parvenait réellement aux nécessiteux. Le reste était détourné par des réseaux bien connus, reconditionné, puis remis en vente à des prix exorbitants. Le lendemain, le pain distribué gratuitement dans les camps se retrouvait sur les trottoirs à la vente. Le riz, portant la mention « Don pour le peuple palestinien », était affiché à un prix inaccessible pour la plupart des familles. Même l’eau, destinée à être bue, était vendue comme une denrée de luxe, accessible seulement à ceux qui avaient les moyens.

Les gens ont payé le prix deux fois : une première fois en étant affamés, une seconde en étant contraints d’acheter ce qui aurait dû leur être donné avec dignité. C’est ainsi que l’avidité a commencé, que la justice s’est effritée, et qu’à travers ce marché impitoyable, les gens ont commencé à s’habituer à la faim. Le véritable drame n’était pas seulement le manque de nourriture, mais le glissement social profond : le pain est devenu un privilège, l’eau un produit rare, et la survie une affaire d’argent, non de droit.

La fracture sociale s’est élargie. La confiance dans le tissu communautaire s’est effondrée. La population s’est divisée : une minorité possédait les stocks, engrangeait les provisions et les vendait à sa guise, tandis que la majorité s’endormait le ventre vide, espérant la grâce du ciel. Puis, lorsque le blocus total est entré en vigueur, toutes les marchandises ont disparu. Les marchés se sont vidés. Le marché noir a disparu comme il était apparu : en silence, en catimini. Mais il a laissé derrière lui un paysage ravagé, privé de toute sécurité sociale.

Aujourd’hui, il n’y a plus de farine, plus d’eau, plus de gaz, plus d’aide. Plus rien à vendre, car il n’y a plus rien. Même ce marché noir qui rabaissait les gens à l’humiliation s’est étouffé avec l’épuisement des biens. Tout le monde est désormais égal face au vide. Le problème n’est plus le prix élevé des produits, mais l’absence même de ces produits.

Les gens sortent à la recherche de pain et ne trouvent rien. Ni dans les marchés, ni sous les tentes, ni même dans les réserves humanitaires. Ainsi, quand l’État meurt, le marché ne sauve personne. Il ne fait qu’aspirer ce qu’il reste de dignité chez les affamés.

Gaza paie aujourd’hui le prix de longues années de blocus, et celui de la complicité silencieuse avec une économie injuste qui a permis au marché noir de croître comme un monstre vorace, avalant la bouchée du pauvre et enrichissant les marchands de sang.

Mais le plus inquiétant, c’est que la faim elle-même est devenue une arme. Un outil de domination des peuples, de démolition des sociétés, de punition collective parmi les plus cruelles. Dans ce tableau funeste, Israël reste l’unique maître du jeu : elle contrôle l’entrée de l’air et de l’eau, détient les clés de la nourriture et de la vie. Et le monde regarde, se tait, et grave dans sa mémoire une honte indélébile : une famine à Gaza, vue de tous, permise par certains, et ignorée par ceux qui se prétendent défenseurs de la justice et de l’humanité.

(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)

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