Dans la région d’Al-Mawasi à Khan Younès, où l’air est chargé d’odeurs de peur et d’épuisement, et où les tentes étroites semblent se réconforter les unes les autres, l’équipe de l’UJFP s’est réunie une fois de plus pour une mission humanitaire qui dépasse les mots.
Cette fois, la mission consistait à organiser un atelier de soutien psychologique destiné aux femmes déplacées, qui mènent chaque jour un combat silencieux contre la douleur, l’anxiété et la perte de sécurité. Ce n’était pas une simple rencontre, mais une réponse urgente au besoin de créer un espace sûr dans un environnement marqué par la dureté et l’isolement.
Nous sommes entrés dans une salle simple, préparée pour accueillir trente femmes déplacées. Le silence pesait sur les visages : des yeux creux exprimaient des douleurs que les mots ne peuvent contenir. Certaines femmes s’assirent côte à côte, en quête de chaleur sociale, tandis que d’autres restaient seules, observant la scène avec méfiance. Dès les premiers instants, l’équipe sentit que cet atelier serait bien plus qu’une séance de formation ; ce serait un moment charnière entre la brisure et la reconquête d’une part de résilience.
L’environnement dans lequel vivent les femmes d’Al-Mawasi ne ressemble à aucun autre. L’isolement géographique est aggravé par des difficultés logistiques et des conditions de vie extrêmement dures. Ces femmes manquent des éléments les plus essentiels à la tranquillité : la sécurité, la routine, et même la liberté de pleurer. Jour après jour, les émotions de tristesse, de peur et de colère s’accumulent, devenant des poids invisibles. Cet atelier est venu briser ce siège psychologique, pour leur dire : « Vous n’êtes pas seules. »
L’atelier a commencé par une introduction chaleureuse, profondément humaine. La psychologue responsable prit la parole d’une voix douce :
« Ici, pendant cette heure, il n’y a ni jugement ni reproche. Cet espace est le vôtre. Vous pouvez ressentir ce que vous voulez, sans qu’on vous demande d’être plus fortes que vous ne le pouvez. »
Ces mots furent comme une clé ouvrant la première porte de sécurité. Les yeux de certaines femmes s’illuminèrent, les visages crispés se détendirent, et un souffle de confiance commença à circuler dans la salle.
Premier exercice : la carte des émotions
La psychologue expliqua :
« Nous ne pouvons pas soigner ce que nous ne voyons pas. Nous ne pouvons pas apaiser nos cœurs si nous ne nommons pas ce qu’ils portent. Cet exercice nous aidera à commencer par l’essentiel : savoir ce que nous ressentons maintenant. »
Elle distribua de petites cartes et demanda à chacune d’écrire un seul mot décrivant son état d’esprit du moment : “anxiété, fatigue, tristesse, peur…”
Le silence tomba sur la salle, un silence fécond. Certaines mains tremblaient en tenant le stylo, comme si écrire était déjà un aveu lourd. Puis les femmes échangèrent des regards, et dans leurs yeux, on pouvait lire un soulagement : elles comprenaient que leurs émotions n’étaient pas isolées, mais partagées.
Deuxième activité : le mur des paroles sûres
« Parfois, nous avons besoin de sortir ce qui est en nous, non pour être jugées, mais pour le libérer. Ce mur est un espace sûr ; il portera vos douleurs sans révéler vos noms. »
Elle distribua des cartes et demanda d’écrire la pensée la plus douloureuse ou l’idée obsédante qui les hantait. Certaines écrivirent d’une main nerveuse, d’autres restèrent longtemps figées avant de tracer quelques mots. Les cartes furent recueillies dans une petite boîte, puis l’animatrice les lut à voix haute, sans citer les noms :
« J’ai peur de perdre mon fils comme j’ai perdu ma maison. »
« Je n’ai pas dormi une seule nuit sans cauchemar depuis notre fuite. »
« Je me sens comme un fardeau pour tout le monde. »
À chaque phrase, la salle vibrait d’un écho silencieux. Certaines femmes éclatèrent en sanglots, d’autres hochèrent la tête dans un geste de reconnaissance mutuelle. À cet instant précis, les murs de l’isolement intérieur tombèrent. Chacune sentit que sa douleur n’était plus un fardeau individuel, mais une peine collective partagée.
Troisième activité : le voyage du souffle et de la détente
Après cette libération émotionnelle, il fallait revenir au corps, à la racine du calme intérieur. La psychologue expliqua :
« La tension vit dans nos corps autant que dans nos esprits. Lorsque nous apprenons à reprendre le contrôle de notre respiration, nous reprenons le contrôle de notre peur. Ce n’est pas qu’un exercice respiratoire, c’est un message adressé à notre esprit : je suis encore là, je peux continuer. »
Elle invita les femmes à s’asseoir confortablement, à fermer les yeux, puis guida un exercice de respiration abdominale : inspiration profonde par le nez, courte rétention, puis lente expiration par la bouche. Au début, les souffles étaient saccadés, entrecoupés de sanglots étouffés. Peu à peu, le rythme s’unifia. Les poitrines montaient et descendaient paisiblement. Après quelques minutes, les visages s’étaient détendus, les épaules s’étaient relâchées.
Une jeune mère murmura :
« C’est la première fois depuis des semaines que mon corps se souvient de ce qu’est la détente. »
Quatrième activité : la bougie de l’espoir
Rien ne pouvait se conclure sans espoir. La psychologue termina l’atelier par l’activité intitulée “la bougie de l’espoir” :
« Nous ne quitterons pas cette séance le cœur vide. Chacune de vous choisira quelque chose de petit qu’elle fera pour elle-même demain, ou exprimera un espoir pour l’avenir. L’espoir n’est pas un luxe ; c’est le carburant de la survie. »
Une femme dit :
« Je prendrai dix minutes pour m’asseoir avec ma fille sans penser à rien d’autre. »
Une autre ajouta :
« Je ferai de la respiration une habitude quotidienne. »
Et une troisième murmura :
« J’espère pouvoir un jour rentrer chez moi. »
À chaque parole, la salle semblait s’illuminer d’une lumière invisible, comme si ces mots devenaient de petites flammes dans leurs cœurs.
Témoignages des participantes
Une femme d’une cinquantaine d’années confia :
« Quand j’ai écrit ma peur, j’ai compris que je n’étais pas seule. D’autres ressentent la même douleur. Je me sens plus forte, car je ne suis plus isolée. »
Une jeune mère, souriante malgré ses larmes, dit :
« Je me suis vraiment détendue pendant la respiration. Cela m’a redonné de l’énergie pour continuer avec mes enfants. J’ai compris que le repos n’est pas un luxe, mais une nécessité. »
Et une femme âgée conclut avec sagesse :
« Se donner la permission d’arrêter de s’inquiéter, ne serait-ce qu’une heure, c’est déjà une forme de guérison. »
Conclusion
À la fin de l’atelier, le lieu n’était plus le même. Les femmes qui étaient entrées accablées en sortirent un peu plus légères, certaines respirant profondément pour la première fois depuis longtemps. Elles avaient compris que la douleur n’est pas un destin solitaire, mais une épreuve partagée qui peut être allégée ensemble.
Cet atelier a confirmé que le bien-être psychologique n’est pas un luxe en temps de déplacement forcé, mais une condition essentielle de la résilience. Par la combinaison d’expressions émotionnelles et de techniques concrètes de relaxation, ces femmes ont retrouvé un peu de contrôle sur leurs corps et leurs émotions. L’espace est ainsi devenu un lieu de résistance silencieuse, où l’espoir renaît au cœur de la souffrance.
Écrire le récit de ces ateliers n’est pas un simple rapport administratif, mais un message humain adressé aux mères du monde : à Gaza, des femmes continuent de porter la force, l’espoir et l’humanité malgré tout ce qu’elles ont traversé. Leur douleur ne les a pas déshumanisées, ni brisées ; elle les a rendues plus déterminées à vivre.
À la fin, chaque femme repartit avec une « bougie d’espoir » dans son cœur — peut-être insuffisante pour dissiper toute l’obscurité, mais assez pour éclairer son chemin, pas à pas, et raconter au monde l’histoire de la résilience des femmes de Palestine.
Photos et vidéos ICI
(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)