Tel-Aviv : manifestations pour une démocratie… coloniale

Le 28 juin 2023

C’est la 25e semaine de protestation en Israël, dans les moyennes et grandes villes, et à de nombreux carrefours routiers desservant les kibboutz et moshav, contre la réforme judiciaire annoncée par la coalition d’extrême droite au pouvoir depuis janvier 2023 composée pour rappel, de sept partis de droite dirigés par le Likoud (31 députés) qui fait figure de droite modérée à côté des six autres  formant un bloc de droite religieuse de 34 députés, répartis entre l’extrême droite (14 sièges) et la droite ultraorthodoxe (20).

Cette réforme vise à restreindre les attributions de la cour suprême au bénéfice du Parlement. Notamment par  la clause dite «  dérogatoire », qui donne au parlement le pouvoir de contourner ou annuler des décisions judiciaires défavorables aux projets de loi et décisions gouvernementales.

Certes, il y a aussi des annonces de nombreuses réformes visant la communauté LGBT,  les femmes… qui achèvent d’exaspérer la gauche libérale israélienne. 

Mais pas un mot dans ces manifestations  contre l’extension des colonies en cours, et des projets de loi qui dessinent la prochaine annexion de la Cisjordanie. Une loi a été rapidement  votée pour le rétablissement des 4 colonies abandonnées  en 2005. Et Israël vient de donner feu vert pour la construction de 5 000 logements en Cisjordanie où vivent aujourd’hui 700 000 colons. Tout ceci dans un contexte de répression coloniale brutale.

Pas un mot non plus contre les lois visant les Palestiniens citoyens d’Israël, dans un contexte de montée de la criminalité interne à la société palestinienne  en Israël, qui a tué  depuis le début de l’année près de cent Palestiniens. La minorité palestinienne, victime de discriminations en matière notamment d’accès à l’emploi et au logement, se plaint régulièrement de l’inaction des autorités face à la vague de violence qui la mine. Rien de tout ceci n’est abordé dans les manifestations.

Silence donc, mais aussi, et c’est difficile à croire pourtant je l’ai expérimenté :  ignorance ! Un exemple : l’attaque du village de Burqa début juin par des colons, je l’ai apprise depuis Tel Aviv, via le site français de l’UJFP.  J’ai aussitôt questionné tous mes amis (juifs israéliens) et aucun n’en avait entendu parler. Les Palestiniens par contre étaient tous au courant. La presse israélienne présente tous les crimes commis en Cisjordanie comme la lutte quotidienne contre le terrorisme. Et elle ignore quasi systématiquement les attaques de colons. Une véritable omerta organisée qui préserve le consensus et la séparation. Une amie de Ramallah rencontrée à Jérusalem Est, m’explique qu’il est de plus en plus difficile de sortir de, et surtout de rentrer à Ramallah. Ce sont les colons qui prennent de plus en plus souvent le contrôle du check-point, et décident de l’ouvrir ou pas. Et c’est le cas dans d’autres endroits. Le désespoir est sensible. 

Ce qui caractérise ces manifestations, on l’a beaucoup montré, c’est  l’omniprésence des drapeaux israéliens, signifiant l’attachement  des manifestants au symbole de l’État juif, et au sionisme, il s’agit de démontrer qu’on n’est pas moins sioniste et attaché à l’Etat  que le gouvernement en place, et que l’on s’exprime depuis le cœur du consensus. Cependant on peut considérer que, de fait  le sens du drapeau a glissé, de symbole unique de l’État (souvent arboré par la droite depuis l’accession du Likoud au pouvoir en 1977) vers celui de démocratie, sioniste certes, mais démocratie. Le maintien revendiqué des prérogatives de la cour suprême  est présenté comme un nécessaire « retour » à la démocratie. La question demeure : démocratie pour qui ? L’État précédent de cette démocratie, responsable de la Naqba, de l’occupation et  la colonisation des territoires de 6, qui accepte le siège inhumain de Gaza, et se satisfait de l’apartheid, peut-il être appelé autrement qu’une démocratie coloniale ? 

Et ceci expliquant cela, on note l’absence quasi-totale de Palestiniens citoyens d’Israël, sauf à Haïfa ce qui rend la police plus violente dans cette ville. On trouve à boire et à manger dans le cortège principal et massif de Tel Aviv : les salariés du High Tech défilent avec une énorme banderole : « pas de démocratie, pas de  High tech».

Des manifestants arborent leurs faits de guerre sur des pancartes : « vétéran de la guerre de 73 »…

Pourtant dès le début, un noyau actif s’est employé à y faire exister le « Bloc  contre l’occupation » et à faire le lien entre démocratie et occupation : c’est le sens des banderoles qui  proclament « pas de démocratie sous occupation » ou « Occupation ou démocratie, il faut choisir ».

Ou encore des portraits de Shirin Abu Akleh réclamant justice pour la journaliste assassinée. 

« On s’est tu sur l’occupation, on a reçu la dictature. » Juifs Contre la suprématie juive.. combattants pour la paix… Quelques jeunes y ont même brûlé leur convocation pour l’armée.

« On s’est tu sur l’occupation, on a reçu la dictature »

Ce noyau réprimé dans un premier temps – arrachage des drapeaux palestiniens, projet de loi interdisant ces derniers- a grandi de semaine en semaine et s’est fait une place… en queue de cortège.  Les drapeaux palestiniens y sont, les slogans appellent à une révolution. Ce cortège est accepté, regardé, interrogé par le reste des manifestants, souvent en silence, parfois  même avec une certaine sympathie. La partie la plus intéressante par ses potentialités de convergence se trouve sans doute à la lisière des deux cortèges où se côtoient et mélangent dans la confusion mais sans agressivité  les drapeaux israéliens et les drapeaux rouges et palestiniens. Le rapport global reste écrasant, et dans la gauche anticolonialiste, nombreux sont ceux qui refusent de participer  à ce qu’ils considèrent comme un leurre.

Ces manifestations n’établissent  aucun lien avec la dégradation démocratique induite par la barbarie coloniale. Ce sont les mêmes qui se sont tus lors de la promulgation de la loi État- nation qui a entériné une citoyenneté de seconde catégorie pour les Palestiniens d’Israël.  Finalement cet affaiblissement de la Cour suprême qui servait de pouvoir constitutionnel en Israël, n’est ce pas le prix à payer pour la société coloniale  israélienne, avec la perte progressive de ses privilèges démocratiques ?

Malheureusement on ne peut que regarder avec effarement une société qui perpétue la parabole des trois singes : ne pas voir, ne pas entendre ce qui se passe en son nom dans les territoires occupés palestiniens et pour la minorité palestinienne d’Israël et ne rien avoir à en dire. Et l’on pense simplement à tous ces manifestants portant le drapeau bleu et blanc qui partageaient leur désarroi devant l’avenir incertain avec cette expression bien connue : Nou ! ma ihieh ?  Alors ! Que va-t-il arriver ? 

À l’épreuve de Jénine :  ce tweet de Shikma Bresler une des figures du mouvement pour la démocratie posté en pleine attaque de l’armée israélienne sur Jénine, et qui donne raison à tous ceux des  anticolonialistes que la honte et le dégoût tiennent à l’écart de ces manifestations :

Afin de continuer et nous tenir tête haute et coeur entier

devant les menaces qui pèsent sur nous de l’extérieur,

pour que nos enfants nos frères nos compagnons 

ces héros qui combattent en ce moment à Jénine

ne risquent pas  d’être traduits en justice à La Haye 

Il nous appartient de garantir qu’Israël restera une 

DÉ-MO-CRA-TIE 

La paix de nos soldats et leur avenir 

comme la paix de l’État et son avenir 

se trouvent (aussi) dans les  mains de cette lutte  (pour la démocratie ndt) 

Shikma Bresler une des principales figures  du mouvement pour la « démocratie »