Sur la guerre et le mouvement anti-guerre : dossier

Comment analyser la situation pré-guerre aujourd’hui et surtout comment s’inscrire dans la construction d’un mouvement anti-guerre en gestation? Il nous a semblé utile de faire partager nos réflexions en BN à tous les membres de l’UJFP.

1 – L’éditorial de Nahla Chahal dans notre rubrique « Textes divers » (Une guerre mondiale n’est pas un fait divers !) contribue largement à éclairer les caractéristiques de la guerre annoncée.

2 – L’argumentaire de Rudolf Bkouche (ci-dessous) contribue à resituer historiquement le rôle impérialiste des USA dans la région et en particulier en Iran, et à préciser les enjeux géostratégiques, notamment le rôle de l’Arabie Saoudite.

3 – La contribution de Michèle Sibony (à la suite) cherche à reprendre pourquoi et surtout de quelle manière l’UJFP devrait s’inscrire dans la construction du mouvement anti-guerre.

Texte de Rudolf Bkouche

Quelques remarques pour une déclaration anti-guerre

Il importe de distinguer la lutte contre la guerre de tout soutien à un régime, en particulier le régime iranien. En effet la guerre sera un désastre moins pour les régimes que pour les peuples et c’est un point qu’il faut mettre avant.

Il faut rappeler à ceux qui soutiennent la guerre au nom de l’exportation de la démocratie, que l’Occident n’a jamais souhaité que des régimes démocratiques s’établissent au Moyen-Orient, ce qui aurait porté atteinte au pouvoir des sociétés pétrolières d’une part et imposé aux Etats occidentaux d’accepter un échange équitable avec les démocraties régionales.
Il faut rappeler la volonté d’établir une démocratie en Iran dans les années cinquante avec Mossadegh. Pour des raisons pétrolières, la tentative de Mossadegh a été combattue et les grandes compagnies pétrolières, soutenue par les gouvernements britannique et américain, ont imposé le retour du Shah.
Il faut rappeler aussi que le discours anti-islamiste n’est qu’un prétexte. On critique l’intégrisme iranien moins en ce qu’il est intégrisme qu’en ce qu’il est anti-occidental, alors que l’on accepte l’intégrisme de l’Arabie Saoudite, alliée de l’Occident, dont les gouvernants participent au côté des occidentaux à la mondialisation financière.

Il ne faut pas oublier les questions géopolitiques régionales qui se jouent au Moyen-Orient entre la puissance montante qu’est l’Iran, perse et chiite, et les puissances traditionnelles arabes et sunnites aujourd’hui alliées de l’Occident. Ces conflits régionaux remettent en question le rôle de l’Arabie Saoudite et l’alliance entre celle-ci et les Etats-Unis et d’autant plus fortement que d’une part l’Arabie Saoudite a besoin d’alliés pour maintenir son pouvoir à la fois sur le plan religieux et sur le plan économique, et que les Etats-Unis ont besoin de bastions avancés au Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite étant considéré comme l’un de ces bastions. On peut penser que le plan saoudien de règlement du conflit entre Israël et les Palestiniens a pour objectif moins les droits des Palestiniens que le maintien des puissances traditionnelles arabes et sunnites et de leur prééminence dans un monde musulman dans lequel ils sont minoritaires. Le soutien aux Palestiniens apparaît alors comme une arme idéologique qu’il faut savoir mettre en avant lorsque nécessaire, mais point trop n’en faut comme l’a montré le refus des banques saoudiennes de remplacer l’UE lorsque cette dernière a suspendu son aide à l’Autorité Palestinienne ; le prétexte invoqué était le danger de mesures de rétorsion américaines, alors que les placements financiers saoudiens lui permettraient de faire pression sur les banques occidentales. Mais ces placements rapportent et sont plus importants que le développement de l’économie palestinienne.

Enfin, que la guerre soit imminente ou que les discours bellicistes ne soient qu’une forme d’intoxication, la question est essentiellement celle de la mise en place de ce que certains appellent le « choc des civilisations », construction idéologique qui a pour premier objet d’assurer la place privilégiée de l’Occident (Etats-Unis, Union Européenne, et leur bastion avancé au Moyen-Orient, l’Etat d’Israël) dans la mondialisation. C’est contre cette idéologie que nous devons lutter.

Texte de Michèle Sibony

Comment s’inscrire dans le mouvement anti-guerre

La situation d’aujourd’hui est la suivante, non seulement les Etats-Unis menacent de plus en plus clairement l’Iran, les armes affluent au Moyen Orient, l’Iran est encerclé de bases militaires, non seulement Israël soutient cette guerre à venir et l’encourage activement à travers la planète, mais il y participe en déstabilisant la Syrie par des incursions aériennes et des bombardements ciblés, mais la France avec son gouvernement soutient aussi cette intervention. Et les communautés juives du monde entier, la française en tête (rappelons nous du meeting organisé à la mutualité par le CRIF sur l’Iran), soutiennent la guerre persuadées de soutenir ainsi Israël.

Nous sommes devant une union sacrée en train de se constituer autour de la guerre qui va entériner le rôle et la présence des juifs et d’Israël dans le camp dominant « occidental » contre le Moyen-Orient tout entier, (Liban, Syrie, Iran, Irak …) Cette situation fait des juifs et d’Israël de véritables otages et consacre aussi par la même occasion le lien indéfectible entre les deux contre lequel nous luttons : une telle guerre ne peut avoir de « bonne issue », elle ne peut déboucher que sur des catastrophes humaines et économiques dont les juifs qui auront été mis en avant pour ses causes, seront retrouvés en tête pour la responsabilité de ses conséquences.

Evidemment, tout cela échappe au point de vue dominant actuel dans les communautés juives et au pouvoir en Israël. Dans ces bureaux-là on ne voit pour l’instant que la position privilégiée accordée, la protection quoi qu’il arrive promise aux juifs, et les avantages à en tirer : le blanc seing sur les territoires occupés, la colonisation, l’impunité totale, qui renforce ad nauseam le sentiment de toute puissance. Tout cela ne peut que nous alarmer et nous faire vivre ces menaces de guerre sur le mode d’une urgence vitale qui nous concerne tout particulièrement.

Il faut ajouter le fait qu’après tout nombre d’entre nous ont des amis ou de la famille en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, et qu’ils peuvent légitimement s’inquiéter pour leur sort en cas d’explosion guerrière dans cette zone si petite du monde.

Il faut aussi évoquer la « disparition » des perspectives pour un Etat palestinien, qui est le pendant annoncé de cette guerre. Le remodelage de la région ne semble pas avoir prévu de Palestine indépendante. Qui voudrait privilégier ici les perspectives d’un Etat binational devra imaginer quelles bases de convivialité il resterait en Israël Palestine après une guerre américano-israélienne dans toute la région. Une guerre de plus, cette guerre-là, rejetterait aux calendes grecques toute perspective de paix entre Israël et les Palestiniens et le monde arabe, entre les juifs et les arabes…

Mais il existe en France aussi d’autres gens qui vivent la guerre annoncée comme une catastrophe imminente et une tragédie en partie personnelle. Tous ceux dont le monde arabe et musulman est « le monde d’origine » tout au moins en ce qui concerne leur culture, et qui assistent impuissants au dépècement de l’Irak berceau de l’humanité, « libéré » de son tyran certes ! Mais quel cynisme ! De même que l’Afghanistan s’est vu libéré de ses Talibans et pour sauver ses femmes… Et leur angoisse est immense de voir ce monde menacé de destruction sous leurs yeux.

Il y a donc des catégories de Français très directement concernées par l’urgence, auxquelles il faut adjoindre tous ceux qui dans ce pays refusent par humanité et pour les plus nobles des raisons quelles que soient leurs origines, la guerre et ses horreurs, et refusent d’entrer dans la sordide mise en place du choc des civilisations, et ils sont très nombreux. Et puis il y a aussi ceux qui pensent que c’est une guerre lointaine, qu’elle ne les touchera pas, et qu’elle les débarrasserait même à moindre coût des « terroristes » de la planète. Quelle illusion !

Le niveau d’urgence et d’angoisse de ces groupes n’est pas le même, on l’aura compris, et l’on devrait en tenir compte dans nos débats et dans la construction d’un mouvement anti-guerre.

La première qualité d’un mouvement anti-guerre et peut être la principale en France réside précisément dans sa transversalité. Il répond aux clivages communautaires possibles décrits ci-dessus, en créant un champ collectif de résistance citoyenne, ou tous se retrouvent contre… il rassemble et joue le Ta’ayoush au lieu de la division…

S’agissant de construction, la façon dont on pose la première pierre recèle déjà la forme ultime de la maison. Poser en préalable au mouvement anti-guerre, comme première pierre la question du régime iranien définit une forme finale très problématique. Cette exigence principielle fait peser à l’avance une suspicion sur la nature d’un mouvement anti-guerre qui soutiendrait en fait le régime iranien sous couvert de lutter contre la guerre. C’est le soupçon qu’il nous faudrait laver afin de pouvoir dire que l’on s’oppose à la guerre ; nous l’avons dit et voté unanimement lors du congrès : « L’ UJFP ne doit pas se laisser enfermer dans la rhétorique de propagande guerrière, véritable conditionnement des opinions qui dit que si l’on ne soutient pas l’attaque contre l’Iran cela signifie que l’on soutient l’Iran ou le gouvernement iranien. L’exemple de l’Irak doit là aussi être rappelé ». S’inscrire dans le mouvement anti-guerre par la voie de la suspicion et en commençant par faire le jeu de la propagande de guerre, n’est pas un choix particulièrement rassembleur. Ce n’est pas celui que nous avons fait.*

Cependant notre rôle est aussi de refuser les divisions, qui sont avec la paralysie peut-être le but recherché , et de chercher plutôt les convergences, non pas en disant tout et son contraire ce qui serait stupide et immobilisant, mais en nous associant à tout ce qui s’organise du mouvement anti-guerre avec un mandat, le nôtre : dire ce que nous pensons, convaincre dans les directions qui nous semblent juste, favoriser les mouvements larges populaires ceux qui n’ont pas peur des arabes dans les manifs par exemple, (surtout si on ne parvient pas à les contrôler) ; on comprend bien que c’est là que se joue la manière de poser la première pierre ; une manière de faire ensemble en incluant en intégrant , en construisant qui fera que tout naturellement nous serons des milliers dans les rues sur des bases élaborées en commun et même s’il y a des différences, nous aurons tous appris les uns des autres, et nous aurons gagné à la fin de cette construction sur le terrain social français aussi: nous aurons réussi à créer un autre « nous ».

Ne pas tenter ces convergences nous exclurait de cette option qui se jouerait alors sans nous, de façon communautaire et pas pour le mieux n’en doutons pas, ni sur le terrain du mouvement anti-guerre, ni sur le terrain social français.
En résumé il s’agit de construire un mouvement large et populaire ou un mouvement contrôlé et contrôlant par les élites.

Deux tentatives de construction s’amorcent en Ile de France, l’une qui s’est organisée par la base, en appelant tous les convaincus qu’il faut lutter contre la guerre à se réunir sans préalable, et à élaborer ensemble le mouvement. Certes les pièges sont nombreux, c’est plus lent, il faut éviter les infiltrations indésirables, négationnistes, antisémites, racistes en tous genre, l’extrême droite fascisante. Il faut aussi accepter le dialogue et chercher des consensus, l’UJFP est présente dans ce comité et travaille dans le sens d’ une élaboration consensuelle et constructive, la plus large possible en respectant les règles éthiques.

L’autre tentative s’élabore, semble-t-il, à l’appel de quelques associations présentes dans le collectif pour une paix juste (AFPS avec des contacts choisis par elle, LDH, mouvement de la paix et d’autres, qui cherchent à convaincre certains syndicats et partis, sur un texte élaboré en commun, et appelleraient ensuite au ralliement général sur cette base. Ce n’est pas la même démarche, sont-elles exclusives ou doivent-elles l’être ? Je répondrais: avons-nous le choix? Commencerons-nous par diviser ? Est-ce notre rôle et notre place ? De nombreux appels et coordinations vont se constituer ailleurs, en province, selon l’une ou l’autre ou de nouvelles méthodes. Si nous voulons faire avancer nos idées, la première des choses est de lutter contre les divisions, peut-être en critiquant mais tant que c’est possible en cherchant les convergences. Si nous trouvons un appel meilleur qu’un autre, à ce stade, ils peuvent tout à fait fusionner et c’est à cela que nous devrions pousser. Rien ne nous interdirait pour l’instant de rejoindre le second appel … si nous y étions conviés. Nous y exprimerions les mêmes nécessités et les mêmes points de vue qui sont les nôtres en toute liberté.

Bien sûr il y aura aussi, n’en doutons pas, des textes falsificateurs qui chercheront à nous embarquer dans des solutions et des responsabilités symétriques, mais nous connaissons cela si bien à l’UJFP où nous luttons depuis des années contre ces faux programmes de paix, nous sommes entraînés à débusquer les pièges, et les dérives qu’ils dissimulent. Nous en avons fait chaque fois l’analyse et l’avons expliquée: d’Oslo à Camp David, de la feuille de route à l’initiative de Genève, et à Annapolis. Qui mieux que nous pourra déjouer et expliquer ces tentatives lorsqu’elles apparaîtront.

Notre rôle dans cette construction est de chercher toutes les convergences possibles sur une base large et consensuelle, qui accepte des différences, mais ne cède pas sur l’essentiel : Refus de la guerre d’écrasement et de domination que les Etats-Unis et leurs alliés veulent mener au Moyen-Orient, en Iran, après l’Irak et avant quel autre pays ? Rien ne justifie cette guerre. Refus d’un monde qu’ils veulent remodeler à l’instar de cette région avec le pouvoir de la force en lieu et place de toute loi.


* A propos de propagande de guerre notons que la plupart des commentateurs de radio française ont accolé l’expression « qui prétend rayer Israël de la carte » au nom de Ahmadinejad, un peu comme Suleiman « le Magnifique » ou Pépin « le Bref ».