« L’accord de Nouméa a tracé la voie pour en finir avec le processus de décolonisation et préparer l’indépendance. »
Christian Tein
Christian Tein, le président du FLNKS, est sorti de prison après un an dans une cellule en isolement. Aujourd’hui, il est toujours dans l’attente, avec les autres prisonniers politiques, de la fin de l’instruction judiciaire. Sous contrôle judiciaire dans l’Hexagone, il ne lui est pas permis de rentrer chez lui, en Kanaky. L’UJFP dénonce cette situation inacceptable, le gouvernement français qui persiste dans sa politique coloniale et soutient le mouvement de libération national des kanaks.
Dans une interview accordée aux Nouvelles calédoniennes, le président du FLNKS rappelle la position du Front sur le projet d’accord de Bougival et invite l’État à « achever le processus de décolonisation », alors qu’une délégation du mouvement doit rencontrer Manuel Valls mardi matin à Nouméa.
Avez-vous pris contact avec Manuel Valls pour vous entretenir avec lui ? Si oui, quelle a été sa réponse ?
Le ministre des Outre-mer a annoncé son déplacement en Nouvelle-Calédonie quelques heures après le congrès du FLNKS. Je suppose que son déplacement était prévu. À la suite de cela, nous avons annoncé que le FLNKS est favorable à la poursuite du dialogue avec l’État, non pas sur la base du projet d’accord de Bougival que les structures du Front ont rejeté en bloc, mais sur l’achèvement du processus de décolonisation par la complète émancipation prévue au point 5 de l’accord de Nouméa. Le ministre a proposé une rencontre en bilatérale pour en discuter et poursuivre nos échanges.
Qu’est-ce qui pourrait vous faire participer au comité de rédaction ?
Ce comité de rédaction s’inscrit dans une démarche de traduction juridique d’un projet d’accord qui ne fait pas consensus. Nous sommes clairs sur notre position, nous ne participerons pas à la mise en œuvre d’un faux compromis qui concourt à nier le passé colonial de la Kanaky, le chemin parcouru et la voie vers la pleine souveraineté de notre pays.
Avancer à marche forcée n’est pas une solution pour un avenir serein.
Le FLNKS se mobilisera-t-il sur le terrain si l’État poursuit le calendrier tel qu’il est prévu à Bougival ? Le Front envisage-t-il de boycotter le référendum prévu en février 2026 ?
Avancer à marche forcée n’est pas une solution pour un avenir serein et on connaît les conséquences d’une telle démarche. Le FLNKS veut poursuivre la discussion jusqu’à ce que l’on puisse tous se retrouver sur quelque chose qui nous unit et non qui nous divise.
Dans cet état d’esprit, le FLNKS se mobilise pacifiquement. Mais l’État Français ne va pas continuellement mettre les gens dans la rue comme ce qui se passe en France. Il y a des oppositions, il faut les entendre et ensemble trouvons les voies et les moyens de faire sortir le pays par le haut.
Que contient concrètement l’accord de Kanaky posé sur la table des négociations à Bougival ?
La délégation du FLNKS avait pour mandat de faire avancer les discussions avec un calendrier jusqu’au 24 septembre 2025. Il s’agit des modalités d’accession à l’indépendance et des nouvelles relations que l’on pourrait établir avec la France. Ce document a été remis dans le cadre des discussions avant la séquence du conclave de Deva. Ce n’est un secret pour personne que le FLNKS travaille sur la trajectoire d’accession à la pleine souveraineté. Aucune de nos propositions ne se retrouve dans le projet d’accord qui fait débat aujourd’hui.
Que contient concrètement l’accord de Kanaky posé sur la table des négociations à Bougival ?
Ce qui n’est pas raisonnable, c’est de proposer le projet de Bougival après 172 ans de colonisation française, malgré toutes les concessions faites par le peuple kanak pour partager son droit à l’autodétermination et sa volonté de constituer une nation avec les communautés installées dans le pays par le fait colonial. L’accord de Nouméa a tracé la voie pour en finir avec le processus de décolonisation et préparer l’indépendance. En revanche, l’État et la droite locale renient leurs signatures et leurs paroles, qui les engagent, et ont tout fait pour saboter cette trajectoire.
La forte progression du Oui à l’indépendance lors des deux consultations de 2018 et 2020 l’a prouvé : la moitié de la population y est favorable. Les résultats des dernières législatives l’ont confirmé en 2024. Rien n’est précipité, nous n’allons pas signer un accord tous les vingt ans. La France doit nous décoloniser et la pleine souveraineté est la seule solution pour garantir une paix durable et de meilleures relations avec la puissance administrante.
Beaucoup de Calédoniens veulent que l’économie reprenne et sont confrontés au chômage. Ne pas signer d’accord, n’est-ce pas prendre un risque pour le pays et la population ?
C’est ce que l’État veut nous faire croire. Si on doit résumer, l’État nous dit qu’il faut renoncer à notre droit d’être souverain, sinon c’est la misère. Le FLNKS refuse de céder à ce chantage. L’État ne nous aide pas, il nous endette. Les inégalités et le taux de pauvreté se sont accrus ces dernières années, en témoignent les rapports de l’Isee. L’État joue sur les émotions et la peur, mais il faut se baser sur les données existantes.
Le projet d’accord de Bougival ne résoudra rien, c’est toujours et encore une politique néolibérale qui est prônée, un choix qui appauvrit les plus faibles et protège les plus forts. Nous sommes opposés à la politique menée par la majorité en place au gouvernement et au Congrès. La droite s’est constamment opposée aux réformes proposées par la majorité politique du 17e gouvernement. Les conséquences du 13 mai ne sont que l’arbre qui cache la forêt.
Faire peuple n’est pas qu’un concept qui s’écrit. Il se vit.
Pourquoi exigez-vous des négociations bilatérales, alors que tous les accords dont vous vous revendiquez (Nainville-les-Roches, Accords de Matignon et de Nouméa…) ont été obtenus avec l’ensemble des formations politiques ?
La nouvelle génération de pro-colonialistes renie les accords historiques que leurs prédécesseurs ont signés. Depuis la troisième consultation, illégitime et insincère, la situation s’est tendue et l’État français n’assume pas ses responsabilités. Nous ne sommes pas fermés à la discussion avec les autres, mais nous voulons tout d’abord revenir à un dialogue en bilatérale, pour discuter de la décolonisation du pays. Ce n’est pas une régression, c’est une clarification pour poursuivre les discussions de manière sincère.
Que pensez-vous du concept de peuple calédonien ? En quoi cela pourrait nuire à la notion de peuple kanak ?
Faire peuple n’est pas qu’un concept qui s’écrit. Il se vit. L’objectif de faire peuple, c’est d’abord faire société ensemble, mais les accords ont eu des limites. Le peuple kanak ne peut plus vivre sous domination et être assujetti à porter un nom d’origine écossaise imposé par la colonisation. Le sentiment d’appartenance à notre pays, c’est avant tout reconnaître que l’identité kanak est le socle du peuple pluriculturel de Kanaky en devenir.
L’Union calédonienne a traversé de nombreuses tempêtes et ce ne sera sûrement pas la dernière.
Le FLNKS est le mouvement de libération kanak reconnu par l’ONU, mais est-il le seul légitime à porter cette revendication ? Le Palika dit qu’il l’est aussi.
Ces partis ont fait un choix de sortir, ce sont leurs décisions. Le FLNKS n’est pas un parti, mais un mouvement de libération nationale représentant légitime du peuple kanak et de l’ensemble des indépendantistes devant les instances locales, nationales, régionales et internationales.
L’Union calédonienne s’est-elle fait déborder par les nouveaux membres du FLNKS qui semblent sur une ligne plus radicale ? Sa cohésion est-elle menacée ?
Pour rappel, ce parti est l’un des plus vieux partis de France encore en vie. L’UC est un parti démocratique qui permet à toutes les voix de s’exprimer. L’Union calédonienne a traversé de nombreuses tempêtes et ce ne sera sûrement pas la dernière. La structuration de notre mouvement politique a permis sa longévité. La cohésion de notre parti est intacte, car nos structures sont toujours éveillées et en mouvement.
Où en sont les procédures judiciaires à votre encontre ?
Je suis toujours dans l’attente, avec les autres prisonniers politiques, de la fin de l’instruction judiciaire. En liberté sous contrôle judiciaire, je peux me déplacer partout, mais il m’est interdit de revenir chez moi. Nous avons tous hâte de rentrer au pays et que toute la lumière soit faite sur les responsables des événements de l’année dernière.
Christian Tein, président du FLNKS
L’entretien est issu du journal en ligne les Nouvelles Calédonniennes