Intervention de Jean-Guy Greilsamer sur l’expérience de BDS France
Pour introduire mon exposé je veux d’abord rappeler que l’Etat français a une longue histoire de son soutien à la politique militaire israélienne.
Il y eu le soutien avec la Grande Bretagne à l’intervention militaire israélienne en 1956 contre la nationalisation du Canal de Suez sous le président égyptien Nasser et il y a eu aussi une aide directe à la mise au point de la bombe atomique. Plus récemment, les présidents Sarkozy, Hollande et aujourd’hui Macron n’ont pas ménagé pas leur soutien à la politique israélienne. Il y a eu sous Hollande un exercice d’entrainement commun en Corse des armées de l’air israélienne et française et l’an dernier, donc sous Macron, il y a eu à Toulon un exercice des marines française et israélienne. Le commerce d’armes avec Israël est actif lui aussi, mais c’est un domaine plus opaque, sur lequel il est plus difficile d’avoir des informations sûres.
Face à ce contexte et à cette Histoire, il y a aussi en France une longue histoire des militants anticolonialistes et de la solidarité avec le peuple palestinien.
Cette solidarité s’incarne aujourd’hui en particulier dans le mouvement BDS, qui continue son développement malgré les tentatives d’intimidations visant à le museler.
L’une de nos campagnes prioritaires est l’embargo sur le commerce d’armes avec Israël.
Et dans cette campagne nous sommes souvent intervenus contre Elbit Systems
Je vais vous présenter ces interventions puis vous dire quelles leçons nous pouvons en tirer.
Nous avons déployé les interventions contre Elbit dans 4 directions : 1. dans le cadre des appels d’offres du ministère de la défense pour le renouvèlement de son matériel militaire, matériel directement offensif ou de surveillance, 2. dans le cadre de notre campagne globale pour l’embargo sur le commerce d’armes avec Israël, 3. dans le cadre d’actions dans des salons de l’armement et 4. dans le cadre de la campagne contre la complicité de la société AXA avec les violations du droit international par Israël.
1. Nous sommes intervenus 2 fois dans le cadre d’appels d’offres du ministère de la défense qui pouvaient être remportés par Elbit et les 2 fois nous avons gagné
La première fois c’était contre l’achat du drone de combat Watchkeeper, basé sur la technologie d’Elbit et qui devait être réalisé par le groupe Thales.
Une pétition au Ministre de la Défense lancée en 2015 et ayant recueilli plus de 8000 signatures et des milliers de cartes postales adressées au Président de la République ont contribué à sensibiliser l’opinion publique.
Nous avons précisé que le drone Watchkeeper est issu du drone Hermès 450, qui est une des armes privilégiées qu’utilise l’armée israélienne pour commettre des crimes de guerre, voire des crimes contre l’Humanité, contre la population palestinienne en général et celle de la bande de Gaza en particulier, comme en attestent les plus hautes instances internationales ainsi que les ONG spécialisées.
Par ailleurs, comme le revendiquent pleinement les acteurs principaux du complexe militaro-industriel israélien, dont Elbit, la population palestinienne sert de cobaye pour tester leurs armes. Nous avons souligné que les États, dont la France au regard de ses engagements européens et internationaux, ont pour obligation de garantir qu’Israël, comme tout autre État, se conforme au droit international et que si l’achat du drone Watchkeeper se confirmait, le gouvernement porterait la responsabilité de rendre les contribuables français complices du manquement de la France à ses obligations mais aussi d’un soutien de fait à une industrie militaire israélienne au service d’une politique coloniale, meurtrière et illégale.
Dans notre communiqué après que le Watchkeeper ait été écarté, au début 2016, nous avons précisé :
La campagne BDS France prend acte du choix de l’armée française, qui n’a pas choisi le Watchkeeper et qui, après un appel d’offre a finalement confié à Sagem (groupe Safran) la fabrication de drones Patroller.
Si le choix de Sagem ne vaut pas une totale indépendance vis à vis d’Israël, l’abandon du drone Thales-Elbit est une réussite de la campagne BDS.
Pour autant, on ne peut se réjouir du choix de telles armes qui pourrait ouvrir la voie aux drones armés dans l’armée française et alors que ceux-ci contribuent à tuer ou faire tuer des populations civiles, comme le fait l’armée israélienne à Gaza.
En développant cette campagne, BDS France s’est engagé dans l’action pour l’embargo militaire vis à vis d’Israël, et a participé à isoler « Elbit System ».
Nous avons été confrontés en 2016 à un second appel d’offres. Cette fois il s’agissait pour le ministère de la défense de renouveler son parc de drones dits « de reconnaissance », qui sont
utilisés pour aider notamment à guider les tirs meurtriers des avions de chasse. Elbit a alors subi une seconde défaite, son offre de drones Skylark 1LE pour un montant de 100 millions d’euros ayant été écartée.
Nous nous étions activement mobilisés, à travers entre autres, l’envoi de milliers de cartes postales au Président de la République, de pétitions à l’attention du ministère de la défense et de deux journées d’actions nationales, les 24 septembre et 10 décembre 2016. Ces journées ont mobilisé des dizaines de villes et des centaines de militants, et ont été renforcées par un tweetstorm visant le ministre de la défense.
Le ministère de la Défense a finalement annoncé au début 2017 un autre choix, la raison invoquée étant que le gouvernement français souhaitait pour des raisons d’indépendance nationale développer une filière française pour ce type de drones et d’aider pour cela l’entreprise Thales.
2. Un second axe de mobilisation est la campagne globale pour l’embargo sur le commerce d’armes avec Israël
Nous sommes souvent intervenus dans des initiatives portant de manière plus générale sur l’embargo sur le commerce d’armes avec Israël ou contre les politiques militaristes ou sécuritaires dans le monde et nous avons alors souvent évoqué le cas d’Elbit.
Ainsi lors d’une réunion publique à Paris le 29 avril 2015 avec une militante de Stop The Wall, coordinatrice des relations internationales pour la Campagne palestinienne et membre du secrétariat du BNC, qui est la direction palestinienne du BDS.
Ainsi suite aux massacres à Gaza ou dans le cadre de la campagne #StopArmingIsrael.
Nous avons organisé des journées de mobilisation consacrées à l’embargo et nous sommes souvent sollicités par diverses associations pour intervenir sur la dangerosité de la politique israélienne ou pour tenir des tables de presse.
Nous avons animés des conférences débats sur l’embargo, par exemple à Fête annuelle du journal l’Humanité, en y invitant Patrice Bouveret, directeur de l’observatoire des armements.
Nous sommes aussi intervenus plusieurs fois dans des débats après la projection du film The Lab de Yotam Feldman, qui porte sur l’industrie militaire israélienne.
Nous dénonçons les programmes de recherche qui dans le cadre de l’Union Européenne profitent à Elbit, en particulier le programme horizon 2020, ainsi que les liens d’établissements d’enseignement supérieur en France (telle l’Ecole Polytechnique) avec le Technion, Institut de technologie d’Israël qui collabore avec le complexe militaro-industriel dont Elbit.
Par ailleurs depuis plusieurs années nous participons aux Marches annuelles pour la Paix, organisées en France notamment par le Mouvement de la Paix, et nous y évoquons également la mobilisation contre Elbit.
Assez récemment nous avons décidé d’inviter les parlementaires, du moins celles et ceux qui sont invitables, à demander, tel que l’ont fait d’importantes ONG, l’embargo sur le commerce d’armes avec Israël.
Je voulais signaler toutes ces initiatives disparates parce qu’elles contribuent à amplifier la mobilisation contre Elbit.
3. Un troisième axe de mobilisation est dans le cadre de salons de l’armement
Il a en France 4 salons internationaux de l’armement ou la défense et au moins 2 salons régionaux.
Les salons internationaux se tiennent chacun tous les 2 ans en région parisienne : le salon de la défense Eurosatory, Milipol qui est le salon mondial de la sécurité intérieur des Etats, le salon de l’aéronautique du Bourget, et Euronaval, consacré à la sécurité navale et maritime.
Elbit expose dans ces 4 salons.
Nous sommes intervenus 5 fois dans ces salons : une fois dans et deux fois devant le salon Eurosatory, et 2 fois devant le stand d’Elbit au salon du Bourget.
En 2014 des camarades de BDS France et du collectif Stop Armes ont fait irruption et ont manifesté devant le stand d’Israël à Eurosatory ; les services de sécurité les ont expulsés vivement mais il est resté une petite vidéo qui a beaucoup circulé. En 2016 et 2018 nous sommes intervenus devant l’entrée du salon avec banderoles et autres visuels et avec d’autres associations : le Mouvement de la Paix, l’Association France Palestine Solidarité, l’Union Juive Française pour la Paix, des associations féministes, Les Désobéissants … Ces rassemblements ont été tolérés et nous ont permis d’interpeller ou de huer des exposants, et en 2018 il y a eu des mises en scènes : fanfare militante, die in, etc.
Au salon du Bourget nous sommes intervenus en 2015 et 2017 devant le stand d’Elbit. Nous sommes entrés en simples visiteurs, nous avions rendez-vous à une heure précise près du stand, et au signal d’une ou d’un camarade nous avons enfilé rapidement nos T-Shirts BDS et nous nous sommes assis en cercle devant le stand alors que des camarades déployaient des banderoles et prenaient la parole. Puis nous sommes repartis en manif encadrée par la police qui nous a reconduit jusqu’à l’entrée pour contrôle d’identité.
Les 2 salons régionaux sont des salons de l’aérospatial dans la région de Toulouse. A l’un des deux, le salon Aeromart à Toulouse les militants ont obtenu en 2012 suite à leur mobilisation que les entreprises israéliennes Elbit Systems et Israel Aerospace Industries ne soient pas invitées.
Nos interventions dans ou devant les salons ne rallient certes sur place qu’un public restreint, mais elles ont un impact médiatique par les vidéos, les photos, les tweets et les reportages qu’elles génèrent, et elles affichent notre détermination à ne pas tolérer l’étalage cynique des produits de l’industrie militaire israélienne.
4. Un 4ème axe de mobilisation est notre campagne en direction du groupe AXA
Nous exigeons qu’AXA, qui est une société d’assurance et un groupe bancaire, se conforme aux principes directeurs du Pacte Mondial des Nations Unis auquel il a adhéré et donc cesse d’être complice des violations du droit international par Israël.
Cette campagne a commencé en 2016 et s’est progressivement intensifiée. Outre le fait d’être actionnaire de 5 banques israéliennes participant à des financements permettant le maintien et le développement de la colonisation, AXA participe, ainsi que sa filiale Allianz Bernstein, au capital d’Elbit. Comme cette participation au capital d’Elbit est financièrement assez faible, nous avons pris en considération que cela ne ruinerait donc pas AXA et sa filiale d’y mettre fin.
Notre campagne a traversé diverses phases et la politique que nous avons mise en œuvre concernant la participation au capital d’Elbit est la suivante.
Nous avons constamment expliqué à tous niveaux les responsabilités d’Elbit : fourniture d’armes testées contre le peuple palestinien, de drones de combat, d’armes interdites par les conventions internationales, notamment le phosphore blanc et des armes à sous-munitions qui ont servi à des offensives meurtrières contre des populations civiles, implication dans les massacres à Gaza, fourniture de l’équipement électronique du mur d’apartheid déclaré illégal par la Cour internationale de Justice en 2004 …
Nous avons eu de multiples correspondances avec la direction d’AXA, qui soit a nié sa participation directe au capital d’Elbit, minimisé la participation de sa filiale et prétendu que les pratiques d’Elbit ne dérogent as au droit international, soit ne nous a pas répondu, soit a refusé de nous recevoir.
Nous avons animé 2 importantes journées nationales d’action, en février et décembre 2018, mobilisant des comités BDS dans de nombreuses villes avec des banderoles ou des pancartes s’en prenant à l’image de marque d’AXA en affichant des slogans tels que : AXA n’assurez pas l’apartheid israélien, AXA doit mettre fin à sa complicité, AXA tire profit de l’oppression du peuple palestinien, AXA = assistance à l’apartheid israélien …
Nous avons développé une campagne de cartes postales/pétitions adressées à la direction d’AXA et effectué un tweetstorm lors de la journée des investisseurs d’AXA à Londres le 28 novembre dernier, de nombreux tweets mettant en avant qu’AXA, qui est censé assurer la vie des gens, finance aussi la mort par les armes, les destructions, les crimes de guerre …
Nous sommes intervenus avec d’autres associations devant l’assemblée générale annuelle des actionnaires en avril à Paris en 2017, 2018 et bientôt le 24 avril et avons attiré l’attention des actionnaires sur le fait que des sociétés telles que Veolia, Orange et des fonds de pension ont fini par retirer leurs investissements illégaux.
Nous avons ouvert la campagne à d’autres associations qui l’ont intégré, notamment le mouvement international SumOfUs, qui a lancé une pétition qui a recueilli plus que 140 000 signatures !
Notre prochaine échéance sera le 17 avril une journée internationale de mobilisation contre AXA. Ce sera en semaine mais ce jour est la journée internationale de solidarité avec les prisonniers palestiniens.
Je vous invite à participer à cette journée de mobilisation, en particulier devant des agences d’AXA.
En conclusion
Pour conclure je souhaite souligner certains points.
Il serait possible de cibler toutes les entreprises d’armement israéliennes, mais si nous voulons être efficaces il faut privilégier une cible.
De ce point de vue Elbit est une cible bien choisie parce que sa contribution aux violations du droit international et des droits humains universels est clairement identifiée, par les images des drones tueurs, des massacres perpétrés par ces drones, des armes interdites produites par Elbit, de l’équipement électronique des checkpoints, par la taille de l’entreprise et par ses importantes relations commerciales.
La présence d’Elbit dans divers domaines permet des victoires partielles et l’accumulation des victoires partielles est une bonne chose.
Un bilan de nos interventions est qu’il ne faut pas hésiter à intervenir à chaque fois que possible ; même si certaines interventions paraissent limitées elles contribuent à mieux faire connaitre Elbit à un public large.
Il est important aussi d’élargir nos campagnes à diverses associations qui interviennent sur des thèmes avec lesquels la compagne anti Elbit entre en résonnance : ainsi l’éthique d’entreprise, la non-violence, l’antimilitarisme, le respect du droit international, etc.
Il est clair aussi que pour affaiblir Elbit il faut lui faire perdre des marchés ou des financeurs, ce qui nécessite parfois d’étudier des situations complexes vue la complexité de certains montages capitalistes et financiers.
Au-delà de toutes ces considérations, les victoires contre le régime d’apartheid israélien sont liées à divers facteurs dont l’évolution de la situation internationale, qui est en partie imprévisible. Mais le peuple palestinien continue de résister à la situation tragique qu’il subit, et la Campagne internationale BDS continuent et continuera de se développer malgré les tentatives d’intimidations.
Nous avons la possibilité de remporter des victoires. C’est un devoir moral et politique de développer ou d’imaginer les politiques qui nous permettront de remporter ces victoires !
Jean-Guy Greilsamer, membre de l’équipe d’animation de BDS France