Rudolf Bkouche, UJFP, le 18 février 2011
En mars 1988, Yehuda Elkana, directeur de l’Institut d’Histoire des Sciences et des Idées de l’Université de Tel-Aviv, écrivait :
« D’Auschwitz sont sortis de façon symbolique deux peuples, une minorité qui proclame que cela n’arrivera plus jamais et une majorité effrayée et anxieuse qui proclame que cela ne nous arrivera plus jamais »
Ainsi face à la Shoah deux conceptions s’opposent, une conception universaliste selon laquelle la Shoah est un crime contre l’humanité, une conception judéocentriste selon laquelle la Shoah est un crime contre les Juifs.
Pour la première conception, le crime nazi concerne tous les hommes, selon la seconde conception le crime nazi est une question juive et la seule façon d’y référer est de renvoyer au peuple juif. C’est cette seconde conception, nationaliste voire tribale, qui semble être devenue la référence en Israël, et cela d’autant plus que la référence à la Shoah, crime contre les Juifs, permet aux autorités israéliennes de nier l’oppression de la Palestine et les crimes commis par l’armée israélienne contre les Palestiniens.
C’est cela qui explique l’attitude scandaleuse du conseiller culturel israélien Ziv Nevo Kulman lors de la cérémonie des Justes qui s’est déroulée au Mémorial de Caen consacré à la Seconde Guerre Mondiale.
Il faut dire que Monsieur le conseiller culturel avait ses raisons d’être mécontent.
Fin janvier, le Mémorial de Caen organisait un concours de plaidoiries d’avocats. Le lauréat fut un avocat palestinien. Jusque là rien de bien grave, mais la plaidoirie portait sur un fait qui s’était passé à un check-point, ces barrages établis en Cisjordanie pour empêcher la libre circulation des Palestiniens. Une femme palestinienne tentant de rejoindre la maternité de Bethleem pour y accoucher n’avait pu passer, ce qui avait amené la mort du bébé.
On comprend l’ire de Monsieur le conseiller culturel devant de tels faits. Un avocat palestinien se donnait le droit de dénoncer un crime commis par des soldats israéliens.
Ziv Nevo Kulman ne pouvait que réagir devant la dénonciation d’un tel crime. Un crime, quel crime ? Pour Monsieur le conseiller culturel, les soldats ne faisaient qu’exécuter les ordres reçus et la plaidoirie de l’avocat palestinien ne pouvait que traduire ses sentiments antijuifs. Dans ces conditions, Monsieur le conseiller culturel ne pouvait accepter que l’on confonde un prix accordé à un avocat palestinien et la remise de la médaille des Justes à des Français qui avaient sauvé un enfant juif pendant la seconde guerre.
Intolérable pour un qui considère que, la Shoah étant un crime exceptionnel, on ne peut la comparer à aucun autre crime, surtout si ce crime est commis par des Juifs au nom de l’Etat qu’ils représentent, Etat promu Etat des Juifs par ses dirigeants.
On peut se demander en quoi les représentants de l’Etat d’Israël sont habilités à représenter les Juifs victimes de la Shoah. Comme si, au nom de la Shoah, l’Etat d’Israël proclamé Etat des Juifs ou Etat juif, qu’importe le nom, avait le droit d’opprimer ceux qu’il a spoliés il y a plus de soixante ans. Les Juifs assassinés par les nazis sont plus proches des Palestiniens opprimés voire massacrés par l’Etat d’Israël que de ceux qui se prétendent leurs héritiers.
L’Etat d’Israël n’a rien à faire dans les cérémonies de commémoration de la Shoah.
Rudolf Bkouche, UJFP
1/ « Two nations, metaphorically speaking, emerged from the ashes of Auschwitz: a minority who assert, « this must never happen again », and a frightened and haunted majority who assert, « this must never happen to us again » ». Yehuda Elkana, « The need to forget » in Haaretz, 2nd of March 1988, traduction française in Ada Yurman, « La « victimisation » comme élément d’une victoire collective de la société israélienne » in « Devant l’abîme » (2005), p. 289
2/On appelle Justes ceux qui ont sauvé des Juifs pendant la seconde guerre mondiale.