30 octobre |B’Tselem |Traduction J.Ch. pour l’AURDIP |Rapports
Rapport conjoint de HaMoked et B’Tselem, Résumé, octobre 2017
Des adolescents palestiniens de Jérusalem Est sont tirés de leur lit au milieu de la nuit, menottés sans nécessité, puis contraints à une longue attente avant que ne débute leur interrogatoire. C’est alors seulement que, fatigués et cassés, ils sont embarqués dans de longues séances d’interrogatoire, sans avoir l’opportunité de parler avec un avocat ou leurs parents avant le début des questions et sans comprendre qu’ils ont le droit de garder le silence. Ils sont alors mis dans le centre de détention dans des conditions très rudes, pour des jours et des semaines, même alors que l’interrogatoire a en fait pris fin. Et certaines fois, tout ceci est assorti de menaces, d’agressions physiques et verbales – avant ou pendant l’interrogatoire.
Une fois que les garçons sont en état d’arrestation, leurs parents sont complètement exclus des procédures. A aucun moment, les autorités policières ne les considèrent comme concernés par le processus ou comme des personnes autorisées à protéger leur enfant. On ne leur donne que le plus strict minimum d’informations sur ce qui arrive à leur enfant ou sur quels sont ses droits. Ils ne sont même que très rarement autorisés à rencontrer leur enfant. Ce qui laisse les parents impuissants, incapables d’aider leur propre enfant.
Sans la protection de leurs parents ou de quelque personne en qui ils puissent avoir confiance, et sans aucun égard pour leur jeunesse, les garçons doivent endurer seuls la totalité du processus, loin de leur famille, loin de leur vie quotidienne normale et de tout ce qui leur est familier. Les garçons se retrouvent dans une situation menaçante et déroutante, aucun des adultes qui les entourent ne se donnant le mal de leur dire ce qui se passe. Personne ne leur explique où on les emmène, de quoi on les soupçonne, quels sont leurs droits, qui ils peuvent consulter, combien de temps durera le processus et quand ils pourront retrouver leur famille et leur maison. Pire encore, les récits faits par les garçons montrent que les adultes qui les entourent – policiers, agents de l’ASI (Agence de Sécurité Israélienne), gardiens de prison, juges – les traitent comme s’ils n’avaient droit à rien du tout. Et chaque fois qu’on accède aux requêtes des garçons – que ce soit pour de la nourriture, une boisson, une serviette, accéder aux toilettes ou parler avec leurs parents – c’est compris comme un geste de bonne volonté, à la totale discrétion de quiconque est en charge.
Ces façons de faire laissent les forces de l’ordre libres de faire pression pour les contraindre aux aveux. Et en réalité, nombreux sont les détenus mineurs qui signent involontairement des aveux (des aveux parfois faux, parfois écrits dans une langue qu’ils ne comprennent pas) qui sont alors utilisés comme base de leur mise en accusation.
Cette réalité se retrouve dans les 50 affidavits que B’Tselem et HaMoked ont recueillis auprès des adolescents de Jérusalem Est qui avaient été arrêtés et interrogés en l’espace d’un an et demi, de mai 2015 à octobre 2016. Certains de ces garçons ont été relâchés après l’interrogatoire, tandis que d’autres ont été inculpés. Ce qui émerge de ces affidavits, associé à la grande quantité d’informations amassées par HaMoked,
B’Tselem et d’autres organisations des droits de l’Homme, démontre que la situation telle que décrite dans ce rapport est le principal mode de conduite adopté par l’État d’Israël pour s’occuper des garçons suspectés d’avoir jeté des pierres. Dans ce que nous disons, il ne s’agit pas de quelques interrogateurs dévoyés isolément ou de gardiens de prison qui contestent le règlement. Il s’agit plutôt d’une politique simple et claire suivie par les diverses autorités : la police qui pratique les arrestations, le Service Pénitentiaire Israélien (SPI) qui garde les garçons en prison dans des conditions très rudes et enfin, les tribunaux où les juges prolongent pratiquement automatiquement la détention provisoire des garçons, même das les cas où l’arrestation était tout d’abord injustifiée, même quand l’interrogatoire est déjà terminé et même dans les cas où les garçons se plaignent d’avoir subi des dommages physiques.
Les autorités s’assurent que cette politique demeure, techniquement, symboliquement, dans le cadre des dispositions légales : elle émet des mandats d’arrêt (tout au moins quelquefois) ; les séances d’interrogatoire sont (généralement) conduites dans la durée autorisée par la loi ; les tribunaux prolongent la détention provisoire sur des périodes stipulées par la loi ; et les garçons signent des aveux écrits. En plus, le système comprend un mécanisme de contrôle doté de l’autorité pour examiner les plaintes portées par les mineurs au sujet du comportement des policiers, des gardiens de prison et des interrogateurs.
Mais rien de tout cela ne fait autre chose que créer un semblant de comportement légal, avec pour but d’attribuer une légitimité à ces procédures. Dans la pratique, la conduite elle même se fonde sur une interprétation technique littérale des protections accordées aux mineurs par la loi et une confiance dans les exceptions qu’elle fournit. Lorsqu’il s’agit de mineurs palestiniens de Jérusalem Est, les garanties établies dans la Loi sur la Jeunesse sont couramment rendues creuses et vides de sens par les policiers, les gardiens de prison et les juges qui considèrent que le fait qu’ils respectent symboliquement et techniquement ces dispositions les met dans leur droit.
Voici quelques exemples frappants :
- L’arrestation : Selon le droit israélien, les mineurs ne peuvent être arrêtés que dans de rares exceptions et, même alors, pour une période aussi courte que possible. Pourtant, les affidavits rassemblés pour cette recherche montrent que l’arrestation est en fait le moyen d’action préféré de la police. Dans 10 % seulement des cas, la police s’est abstenue d’arrêter les garçons, les convoquant à la place pour un interrogatoire. Dans certains cas, les mandats d’arrêt étaient déjà prêts, mais toutes les arrestations ont été rétroactivement approuvées par les tribunaux, qui ont par ailleurs répétitivement ratifié la détention provisoire des mineurs après l’arrestation initiale (injustifiée), y compris après la fin de l’interrogatoire.
- Contraintes physiques : On ne peut utiliser des contraintes sur des mineurs que dans des cas exceptionnels et sur une durée aussi courte que possible. Les affidavits rassemblés pour cette recherche montrent que placer les mineurs sous la contrainte est la règle plus que l’exception : Dans 81 % des cas, les garçons ont été menottés avant d’être placés dans le véhicule qui les transportait vers l’interrogatoire. Soixante dix pour cent des garçons ont été maintenus sous contrainte pendant les séances d’interrogatoire, parfois menottés et entravés.
- Interrogatoires de nuit : Le droit israélien interdit d’interroger des mineurs pendant la nuit, à quelques exceptions spécifiques près. Pourtant, un quart des garçons a dit avoir été interrogé de nuit. Par ailleurs, 91 % des garçons arrêtés chez eux l’ont été de nuit, alors que la plupart dormaient déjà. Même si, au moins dans quelques cas, les enquêteurs ont attendu le matin pour commencer l’interrogatoire, les garçons sont arrivés à l’interrogatoire fatigués et effrayés après une nuit sans sommeil.
- Violation des droits : Les droits accordés aux mineurs ont été consacrés par la loi pour les aider à se protéger et atténuer l’immense déséquilibre de pouvoir entre eux et les interrogateurs. Ces droits sont observés d’une façon technique qui les prive de sens :
- Le droit de garder le silence : Les interrogateurs n’ont informé les garçons de leur droit de garder le silence que dans 71 % des cas, mais dans 70 % de ces cas, les garçons n’ont pas compris ce que signifiait ce droit et ont eu peur qu’on leur fasse du mal si en fait ils gardaient le silence.
- Le droit à un conseil : Dans 70 % des cas, les interrogateurs ont autorisé les enfants à parler avec un avocat avant l’interrogatoire, mais ces conversations étaient insuffisantes et ont échoué à aider les mineurs à comprendre leurs droits et ce qu’ils allaient affronter – surtout dans les cas où les interrogateurs contactaient les avocats avec leur propre téléphone, si bien que les enfants parlaient à un avocat sur le téléphone de l’interrogateur.
- Le droit d’avoir un parent présent pendant l’interrogatoire : La loi garantit ce droit aux mineurs suspectés d’avoir commis une faute, sauf exceptions. Cependant, une fois en état d’arrestation, la présence parentale n’est plus un droit, quoique la police ait la possibilité de l’autoriser. Dans 95 % des cas, les garçons étaient tout seuls dans la salle d’interrogatoire, sans parents ni autres membres de leur famille.
- Dans la salle d’interrogatoire : Le manque de protection des droits des mineurs et le fait qu’ils se retrouvent seuls dans la salle d’interrogatoire signifient que les interrogateurs ont la possibilité de les maltraiter physiquement et émotionnellement, tirant avantage des failles dans la loi israélienne qui permettent d’utiliser la violence pendant l’interrogatoire et du fait que les mécanismes en place pour étudier les plaintes contre les mauvais traitements et la torture sont inefficaces et non dissuasives puisque la plupart des plaintes sont closes sans qu’aucune mesure ait été prise. Tranquillement sûrs que leurs supérieurs ne considèrent rien d’interdit dans leur conduite, qu’en fait ils les soutiennent et qu’aucune action ne sera entamée contre eux, policiers, gardiens de prison et interrogateurs peuvent librement continuer à faire du mal aux mineurs. Les interrogateurs tirent profit de cet état de choses. 70 % des garçons n’ont été interrogés qu’une ou deux fois ; 25 % des garçons qui ont fourni des affidavits pour ce rapport ont dit que les interrogateurs avaient employé un certain de degré de violence contre eux ; 55 % ont évoqué des cris, des menaces et des contraintes verbales de la part de leurs interrogateurs ; 23 % ont dit qu’on leur avait refusé l’accès aux toilettes et 25 % ont dit que leurs demandes de nourriture ou de boisson ont été refusées. 43 % des garçons ont reçu leur premier repas plus de dix heures après avoir été mis en détention. Cette méthode d’interrogatoire est en partie ce qui a conduit 83 % des garçons à signer des aveux, dont 80 % étaient en hébreu, ce qui fait qu’ils ne comprenaient pas les déclarations qu’ils signaient.
- Conditions de détention : La loi stipule que les mineurs doivent être détenus dans des conditions appropriées à leur âge, ce qui comporte une nourriture suffisante, des soins de santé, un accès à l’éducation, la visite de travailleurs sociaux et de membres de la famille et la possibilité de téléphoner à leur famille. Dans ce domaine aussi, il y a des exceptions qui permettent de restreindre certains de ces droits. Les conditions de détention au poste de police Enceinte Russe à Jérusalem, où la plupart des adolescents qui ont fourni des affidavits pour ce rapport ont été détenus, sont à des années lumière de ces dispositions et ne permettent pas aux détenus de conserver leur dignité. La fourniture d’articles de toilette était incomplète et irrégulière. Aucun des garçons n’a reçu de vêtements de rechange. En plus, pendant la détention dans l’Enceinte Russe, aucun des garçons n’a eu de possibilité d’accès à des activités constructives et la plupart sont restés enfermés dans leur cellule presque tout le temps jour et nuit. Les informations données par les garçons montrent qu’ils n’avaient l’autorisation de contacter leur famille que dans de rares occasions.
Cette conduite dévoile la politique d’Israël qui vise à permettre aux autorités de poursuivre cette maltraitance des mineurs palestiniens, tout en enveloppant dans un manteau de légalité une violation vaste, systématique et bien documentée des droits fondamentaux de centaines de mineurs, tous les ans, depuis des dizaines d’années.
Il va sans dire que l’application du respect de la loi permettrait de traiter ces adolescents conformément à leur âge en tenant compte de leur maturité physique et mentale, en reconnaissant que toute action pourrait avoir des répercussions à long terme sur les garçons eux mêmes et sur leur famille. Il va sans dire que cette application traiterait les garçons humainement et loyalement et leur fournirait les protections élémentaires. Mais ce n’est pas le cas. Au contraire, la façon dont Israël applique la loi fait qu’ils sont traités comme des membres d’une population hostile dont tous, les mineurs comme les adultes, sont présumés coupables jusqu’à ce qu’on prouve leur innocence, et utilise contre eux des mesures extrêmes qu’on n’oserait jamais utiliser contre d’autres segments de la population. Le système judiciaire d’Israël est, par définition, d’un côté de la barrière, les Palestiniens étant de l’autre : Les policiers, les gardiens de prison, les procureurs et les juges sont toujours des citoyens israéliens qui arrêtent, interrogent, jugent et enferment les adolescents palestiniens qu’ils regardent comme des ennemis prêts à attaquer les intérêts de la société israélienne.
Cet aspect de la vie à Jérusalem Est ne peut être séparé de l’ensemble de la politique israélienne dans la ville. En 1967, Israël a illégalement annexé environ 7.000 hectares de terre – c’est-à-dire quelques 600 hectares qui constituaient la portion jordanienne de Jérusalem, ainsi qu’une partie ou la totalité de la terre qui appartenait à 28 villages et villes voisines. Pourtant, il a toujours traité les gens qui vivaient sur cette terre comme indésirables et les autorités de l’État et leurs agents ne les ont jamais regardés comme ayant des droits égaux.
Toutes les autorités israéliennes en place à Jérusalem Est suivent une politique qui vise à inciter les résidents palestiniens à quitter la ville. C’est pourquoi de stricts interdits sévissent sur la construction d’habitations et les résidents de Jérusalem Est sont obligés de vivre les uns sur les autres ou – en l’absence de tout autre alternative – se risquent à construire sans permis et vivent alors dans la peur d’une démolition. C’est pourquoi sont mises en place des politiques strictes concernant le regroupement familial, interdisant effectivement aux résidents de Jérusalem Est qui ont épousé des résidents d’ailleurs en Cisjordanie ou de la Bande de Gaza de vivre avec leur conjoint dans la ville. C’est pourquoi est pratiquée une discrimination institutionnelle systémique dans le financement municipal et étatique, ce qui fait que les résidents de Jérusalem Est souffrent de la mauvaise qualité des infrastructures et d’un déficit chronique de services publics.
Il n’y a pas de justification possible aux mesures extrêmes que cette application de la loi utilise contre les mineurs de Jérusalem Est. La réalité décrite dans ce rapport fait partie des fondements du contrôle exercé par Israël sur la population palestinienne de Jérusalem Est. Tant que ce contrôle durera, les autorités israéliennes continueront très probablement à traiter les Palestiniens de Jérusalem Est comme des gens indésirables et non égaux, avec tout ce que cela implique. Un véritable changement ne sera possible que si la réalité à Jérusalem Est est complètement revue.
Cette publication a été produite avec l’aide de l’Union Européenne. Le contenu de cette publication est sous la seule responsabilité de B’Tselem et d’HaMoked et ne peut en aucune façon être perçue comme reflétant les opinions de l’Union Européenne.