À l’heure où des heurts embrasent la Cisjordanie et Jérusalem-Est, certains craignent l’éclatement d’une troisième intifada. Pour Rony Brauman, professeur à Sciences-Po, ces événements démontrent la fin proche de l’Autorité palestinienne.
La vague de violences qui secoue Jérusalem et la Cisjordanie réveille une nouvelle fois de plus le spectre d’une troisième intifada chez certains. Lundi 5 octobre, un adolescent palestinien a été tué par l’armée israélienne lors d’affrontements. Côté israélien, quatre personnes sont mortes depuis jeudi, deux criblées de balles en Cisjordanie, et deux autres dans une attaque au couteau dans la Vieille ville de Jérusalem.
Face à cette escalade de tensions, l’État hébreu a décrété un durcissement des mesures répressives, interdisant l’accès à la Vieille ville de Jérusalem-Est aux Palestiniens.
Décryptage de la situation avec Rony Brauman, ancien président de MSF et professeur en relations internationales à Sciences-Po et auteur du livre « Manifeste pour les Palestiniens ».
France 24 : Assiste-t-on au début d’une nouvelle intifada, comme le redoute le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, Martin Schäfer, ou comme l’interroge le quotidien israélien « Yedioth Aronoth » ?
Rony Brauman : C’est difficile à dire, mais ces déclarations annonçant une troisième intifada ont quelque chose de rituel. À l’automne 2014, déjà, lors d’une poussée d’agressions, beaucoup avaient prédit l’éclatement d’un nouveau cycle de violences.
Ce qui est sûr, c’est que le niveau de répression et de harcèlement en Cisjordanie augmente. Le gouvernement israélien s’autorise l’une des mesures les plus barbares qui soit : la destruction des habitations appartenant aux auteurs d’attentat ou à leur famille [Benjamin Netanyhaou a ordonné d’accélérer ces démolitions de maisons dans l’objectif de donner à réfléchir à ceux qui veulent perpétrer des attaques, NDLR]. Or, cela relève de la punition collective et ce concept est rejeté dans le droit moderne. Pour ce qui est de l’interdiction de l’accès à la Vieille Ville de Jérusalem pour les Palestiniens [cette mesure, annoncée dimanche 4 octobre pour une durée de deux jours, a été décrétée à la suite d’attaques qui ont coûté la vie à deux Israéliens, NDLR], il s’agit d’une décision très rare, sinon inédite.
Pour preuve de la montée des tensions, un récent sondage indique qu’une majorité de Palestiniens est favorable à un soulèvement armé en l’absence de discussions de paix. Tout cela indique que les attentats, les harcèlements et les passages à l’acte ne vont pas s’arrêter aujourd’hui.
F24 : Dans ce contexte, ni le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, ni le dirigeant palestinien, Mahmoud Abbas, n’appellent au calme. L’un a promis de durcir la répression, parlant d’ »un combat jusqu’à la mort contre le terrorisme palestinien », l’autre a affirmé ne plus se considérer comme lié par les accords passés avec Israël. Que faut-il en penser ?
R. B. : Pour ce qui est des Israéliens, ils soufflent depuis toujours le chaud et le froid. Benjamin Netanyahou avait, avant son élection, déclaré qu’il n’y aurait pas d’État palestinien de son vivant. Puis après avoir été élu, il a dit que c’était envisageable à certaines conditions. En Israël, on est habitué à revenir sur ce genre de déclarations martiales.
En ce qui concerne Mahmoud Abbas, sa déclaration est un pas symbolique. Les accords d’Oslo, ce moment très positif des années 1990, viennent d’être remis en question. Benjamin Netanyahou, lui, a toujours dit que ces accords étaient un chiffon de papier sur lequel il s’asseyait, alors pourquoi Mahmoud Abbas a-t-il tant tardé pour faire ce genre de déclaration ? C’était la moindre des choses.
F24 : Comment voyez-vous la situation évoluer ?
R. B. : L’étape suivante devrait être une démission de l’Autorité palestinienne, ce qui serait l’ultime sursaut d’honneur des Palestiniens. Mahmoud Abbas pourrait déclarer sa propre faillite, et symboliquement remettre les clés de la Cisjordanie aux Israéliens, ce qui serait certes un aveu d’échec. Mais le rapport de force n’est de toute façon pas en sa faveur. Ce cas de figure mènerait à la création d’un État binational avec les mêmes droits pour l’ensemble des citoyens. Cette option terrifie côté israélien, mais séduit de plus en plus de personnes côté palestinien.
De toute façon, l’Autorité palestinienne n’a d’autorité que le nom. Il s’agit davantage d’un pouvoir municipal avec un fragment d’autorité sur les questions routières et l’aménagement des parcs et des jardins que d’un gouvernement. Ce pouvoir, qui ne dispose pas de ministère de la Défense, sert uniquement d’alibi politique et de punching ball aux Israéliens. Ces derniers assurent vouloir discuter avec ce partenaire mais regrettent son incompétence… Tout cela, c’est de la démagogie.
Texte par Charlotte OBERTI
Dernière modification : 06/10/2015