Reuven Kaminer est décédé la semaine dernière, c’était un ami, un camarade et un militant. Pas un dirigeant mais un maître, de trois générations. Il a passé sa vie militante à transmettre les fondamentaux de la lutte de classes mais aussi les stratégies de résistance et de construction de mouvements pour changer radicalement la politique des pouvoirs en place. La transmission a été notre grand échec, mais pas celui de Reuven : pendant des décennies, nous l’avons vu dans les manifestations parler aux jeunes, les inviter chez lui pour des discussions, leur prêter des livres (que souvent il ne reverra plus), leur parler d’égal à égal. Ma fille Talila, à qui je n’ai que très peu transmis, et elle me l’a reproché, a été une de ces nombreux jeunes que Reuven, ce Socrate de notre temps, a accroché dans un rassemblement et convaincu de participer aux rencontres qu’il animait.
Originaire des États-Unis, d’où il émigre pour rejoindre un Kibboutz, puis le Parti Communiste Israélien, il suivait avec attention la vie politique de son pays d’origine. C’est ainsi qu’il est un des premiers à identifier la Nouvelle gauche des années soixante-dix, en rupture avec le vieux discours staliniste. Il crée ainsi le Siah (Nouvelle Gauche Israélienne) puis le Shasi (Gauche Socialiste Israélienne) qui aura ses heures de gloire dans les Campus des années quatre-vingt, sous la direction, entre autres, de son fils Noam.
Exigeant dans la réflexion politique et idéologique, Reuven a été un des moteurs de la politique unitaire (et donc de compromis) qui a permis des regroupements importants qui marqueront la politique israélienne pendant deux décennies : Campus (regroupement étudiant judéo-arabe), Comite de solidarité avec l’université de Bir Zeit et surtout le Comité contre la guerre au Liban qui sera la locomotive du mouvement anti-guerre de 1982-1985. C’est certainement le plus cher des biens que j’ai hérite de Reuven.
Reuven ne dirigeait pas les manifestations et ne prenait que rarement la parole dans les rassemblements publics (peut-être aussi à cause de son accent judéo-américain dont il n’a jamais pu se débarrasser) : il laissait ces taches à ses disciples de la jeune génération dans laquelle il avait mis toute sa confiance. ‘À eux de faire le boulot, à leur manière, pas aux vieux « schmocks » (expression Yiddish américaine) comme nous’’ disait-il souvent, avec son sourire séducteur. Quand il intervenait dans les réunions unitaires, c’est qu’il y avait un nœud qu’il fallait vite démêler, en général avec succès.
Dans mon blog en hébreu, j’ai décrit ma longue amitié avec Reuven qui a été une sorte de mentor dans mon militantisme, je n’y reviendrai pas. Je terminerai par contre par un certain sentiment de jalousie concernant la transmission. A Jérusalem on disait ‘’les Kaminer’’ : Reuven et sa compagne Daphna (grande militante féministe et anticolonialiste) ont su créer une dynastie de militant/es ; leurs enfants et petits-enfants ont repris le flambeau de leurs combats. Preuve supplémentaire que si Reuven n’a pas été un ‘’dirigeant’’ dans le sens habituel du terme, il a été notre maître. Dans le meilleur sens du terme.
samedi 26 septembre 2020 par Michel Warschawski