Réponse du Bureau francilien de l’UJFP à la lettre de Valérie Pécresse, adressée aux Juifs d’Île-de-France

Le 10 décembre dernier, à la veille du deuxième tour des élections régionales, Valérie Pécresse, tête de liste Les Républicains, adressait une lettre aux Juifs d’Île-de-France, que nous reproduisons ici. Le bureau francilien de l’UJFP a souhaité lui répondre.

Madame la Présidente,

Nous avons pris connaissance avec intérêt mais aussi avec consternation de votre lettre adressée le 10 décembre aux Juifs d’Île-de-France à la veille du second tour des élections régionales.

Après avoir rappelé les liens qui unissent la France et ses citoyens juifs, vous affirmez votre attachement à la laïcité. De quelle laïcité s’agit-il ? Celle qui affirme, en plus de la séparation de l’Etat et du culte, la liberté religieuse, y compris celle de vivre ouvertement sa religion, ou celle qui discrimine en excluant les femmes et jeunes filles portant le foulard islamique ?

Vous vous engagez ensuite à combattre l’antisémitisme, ce que nous faisons également, ainsi que toutes les formes de racisme, qu’il vise les Juifs, les Musulmans, les Noirs, les Arabes, les Rroms, les Asiatiques ou d’autres. Nous estimons que tous les racismes doivent être combattus avec la même énergie et de manière unie, plutôt qu’en établissant des hiérarchies parmi les racismes et en créant ou en entretenant des divisions parmi les différents groupes de la population. Le décret Crémieux, que vous évoquez, a fait assez de dégâts en Algérie, créant un fossé irréconciliable entre Algériens juifs et musulmans, pour que nous n’appliquions pas, aujourd’hui, la même logique en France, singularisant les Juifs face aux Musulmans.

Cette lutte contre l’antisémitisme, vous l’étendez à la défense d’Israël. Curieux raisonnement, qui alimente les amalgames les plus déplorables. En quoi la lutte contre l’antisémitisme interdit-elle la critique d’Israël, de ses politiques et de ses exactions contre les Palestiniens ? Israël seule démocratie du Moyen-Orient, dites-vous ? Israël est en effet une démocratie pour ses seuls citoyens juifs et non pour ses citoyens palestiniens. N’est-il pas temps que les Palestiniens puissent vivre dans la justice, la dignité et la démocratie plutôt que sous des régimes d’occupation, de blocus ou de négation des droits assimilable à une politique d’apartheid, selon qu’ils vivent en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, à Gaza ou en Israël ? Vous relevez le droit des Israéliens de vivre dans la sécurité. Qu’en est-il des Palestiniens ? Vous saluez le travail conjoint de médecins juifs et palestiniens à l’hôpital Hadassah. Le respect de la mission médicale et de ses principes par l’armée israélienne n’est toutefois, malheureusement, pas le même, lorsqu’il s’agit de l’hôpital du Croissant-Rouge palestinien à Gaza ou de l’hôpital d’Hébron, ou lorsqu’il s’agit de laisser des ambulances passer des barrages militaires ou de permettre à des secouristes de prodiguer des soins.

Vous ne tolérerez pas, dites-vous, que soient boycottés en Ile-de-France des produits israéliens, ceci au nom du règlement pacifique du conflit. Vous allez plus loin, puisque vous proposez de développer la coopération décentralisée avec des collectivités israéliennes. Faut-il rappeler que l’appel au boycott, au désinvestissement et à des sanctions contre Israël a été lancé voici dix ans par plus de 170 associations palestiniennes représentatives de l’ensemble de cette population, qu’elle vive en Israël, dans les Territoires occupés ou qu’elle soit réfugiée ? Il s’agit là précisément d’une action non-violente, comme l’ont été la majorité des actions de la résistance palestinienne : manifestations, grèves, piquets de présence sur des sites sujets à expulsion, etc, là où beaucoup, dont la plupart des médias, s’attardent uniquement sur les actions armées ou violentes dont nous déplorons les victimes. Une action pacifique mais déterminée face au refus répété d’Israël de reconnaître les droits les plus fondamentaux des Palestiniens. Benyamin Netanyahou, à la veille d’un autre deuxième tour, celui des élections législatives israéliennes de mars dernier qui allait le confirmer dans sa fonction de Premier Ministre, n’a-t-il pas déclaré sans ambiguïté qu’aucun Etat palestinien ne verrait le jour si son parti remportait les élections, condamnant la solution à deux Etats qui vous semble chère ?

Votre souci de veiller au bien des citoyens juifs d’Île-de-France vous honore et nous vous invitons à réviser radicalement les moyens d’y parvenir. Défendez la laïcité, mais la vraie laïcité, pas celle de l’exclusion. Ne faites pas d’amalgame. C’est l’amalgame entre les Juifs, Israël et les politiques de ce dernier qui, aujourd’hui, met en danger la vie des Juifs de France et d’ailleurs. Laissez ceux, Juifs et non-Juifs, qui boycottent Israël et appellent à le boycotter, faire usage de leurs droits démocratiques.

Nous nous tenons bien évidemment à votre disposition si vous souhaitez discuter de ces sujets et de la manière dont nous pouvons, en Ile-de-France, combattre toutes les exclusions et tous les racismes.

Le Bureau francilien de l’UJFP, 22 décembre 2015


La lettre de Valérie Pécresse