Réflexions de Gaza sur le langage antisémite

Une des questions les plus controversées discutées récemment à Gaza est la relation entre Palestiniens et Juifs, une discussion déclenchée par un discours improvisé d’un responsable du Hamas appelant en juillet la diaspora palestinienne à « attaquer chaque Juif dans le monde, par le massacre et le meurtre ». Ce discours affirmait aussi que le Hamas avait une usine produisant des vestes explosives afin que les Palestiniennes les déclenchent le long de la barrière de démarcation avec Israël pendant les manifestations du vendredi.

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Des manifestants palestiniens rejoignent la Grande Marche du retour, à la frontière entre Israël et Gaza à Khan Younis dans le sud de la bande de Gaza le 30 mars 2019 (Photo : Ashraf Amra/APA Images)

A son crédit, le Hamas a rapidement condamné ce discours dans une déclaration stipulant qu’il n’avait pas de « conflit avec les Juifs du monde entier ou avec le judaïsme en tant que religion ». De plus, des responsables du Hamas ont dénoncé le discours sur les réseaux sociaux.

Mais environ deux semaines plus tard, ce discours a été à nouveau mis en ligne quand Ofir Gendelman, le porte-parole pour le monde arabe du Premier Ministre d’Israël Benjamin Netanyahu, a tweeté une série de clips de la vidéo de ce discours avec des sous-titres en anglais.

« Regardez : le dirigeant du Hamas Fathi Hammad appelle 7 millions de Palestiniens, dans le monde entier, à assassiner des Juifs, démontrant une fois encore que le Hamas est une organisation terroriste antisémite et génocidaire », a écrit Gendelman le 15 juillet. « Hamas essaie de tromper l’opinion publique internationale. Fathi Hammad montre les vraies couleurs terroristes du Hamas », a-t-il dit, en désignant le responsable du Hamas impliqué.

Le tweet actuellement épinglé sur le site de Gendelman est le plus problématique, parce qu’il se sert du discours de Fathi Hammad, complètement faux et totalement renié par le Hamas, pour justifier les assassinats et les tueries bien réelles contre les Palestiniens pendant la Grande Marche du retour à Gaza. Gendelmann a écrit : « Maintenant vous savez pourquoi nous protégeons du Hamas la frontière avec Gaza ».

Un examen plus approfondi montre qu’il s’agit d’une machine à propagande. Des vestes suicides n’ont jamais été utilisées dans ces manifestations, au cours desquelles, selon le rapport des Nations Unies, les forces israéliennes ont tué 206 Palestiniens et tiré à balles réelles sur près de 8000.

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Des militants israéliens postent sur les barbelés entre Israël et Gaza des photos de Palestiniens qui ont été tués par des soldats israéliens pendant les manifestations de la Grande marche du retour en juin 2018 (Photo : Return)

En fait, la forme de résistance la plus efficace, celle qui a réussi à gagner les coeurs et les esprits de tous les Palestiniens et l’aval d’une écrasante majorité de la société civile palestinienne, est le mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël, c’est-à-dire BDS. Il s’appuie sur la Déclaration universelle des droits humains qui stipule explicitement que tous les êtres humains sont égaux, indépendamment de leur race, de leur religion et de leur sexe. Le Comité national du Boycott, connu sous l’acronyme BNC, est la plus grande coalition des secteurs et des forces politiques de la société civile palestinienne et il a souligné plus d’une fois son rejet de toutes les formes de racisme, dont l’antisémitisme et l’islamophobie.

Le peuple palestinien a été confronté à un système à multiples niveaux d’oppression orientaliste, colonialiste et impérialiste sur plus de deux siècles. C’est pourquoi, en tant que victime, il ne peut adopter une rhétorique immorale flirtant avec l’antisémitisme, puisque la justice et l’égalité sont deux objectifs centraux de la lutte nationale palestinienne. La grande majorité de nos partis, de nos intellectuels, de nos organisations et de nos campagnes ont souligné depuis un siècle que notre lutte n’a jamais été contre les juifs ou le judaïsme, comme le sionisme s’efforce à tort de le prétendre. Notre lutte, au contraire, est contre le sionisme en tant que mouvement européen colonial d’occupation qui vise à vider le pays de sa population autochtone et à la remplacer par des sociétés nouvelles issues d’Europe.

Tout langage antisémite, donc, manque d’une vision claire de notre combat et va main dans la main avec le colonialisme et l’impérialisme en perpétuant la Nakba palestinienne ; pire, il nous refuse la solidarité internationale avec notre juste cause.

En plus de son immoralité, le langage antisémite obscurcit le rôle fondamental de l’impérialisme et du colonialisme dans la destruction de la Palestine, dans le nettoyage ethnique de son peuple et dans le soutien au système actuel d’oppression à multiples niveaux, à savoir l’occupation, l’apartheid et le colonialisme — sans compter le fait qu’il nous aliène les mouvements de solidarité.

Les Palestiniens ont à maintes reprises exprimé leur appréciation du rôle très important joué par des juifs progressistes et antisionistes qui soutiennent leur lutte pour la liberté, la justice et l’égalité. L’intervention d’organisations comme Jewish Voice for Peace, International Jewish Anti-Zionist Network (IJAN) et Boycott from Within, qui non seulement suivent l’appel de BDS lancé par la société civile palestinienne, mais promeuvent aussi activement BDS, a touché le coeur de chaque Palestinien. Notre lutte pour la libération a toujours été inclusive, et c’est un principe qui ne changera pas jusqu’à ce que nous ayons une société égalitaire, où tous soient égaux indépendamment de leur race, de leur religion ou de leur sexe.
Haidar Eid

Par Haidar Eid, le 1er août 2019

Haidar Eid est maître de conférence en littérature postcoloniale et postmoderne à l’université al-Aqsa de Gaza. Il a écrit de nombreux articles sur le conflit israélo-arabe, en particulier pour Znet, Electronic Intifada, Palestine Chronicle, et Open Democracy. Il a aussi publié des articles d’études culturelles et de littérature dans divers revues, dont Nebula, Journal of American Studies in Turkey, Cultural Logic, et le Journal of Comparative Literature.

Traduction: CG pour l’Agence Média Palestine

Source: Mondoweiss