Récit de Jacqueline Lecorre, médecin : mon expulsion d’Israël

Comportement de la police des frontières israélienne à Tel Aviv ce samedi 6 juin vers 17h :

Dès que la policière commence à feuilleter mon passeport, elle fronce les sourcils, consulte son ordinateur et me demande de la suivre.

Elle remet mon passeport à une responsable qui me reçoit après une vingtaine de minutes d’attente, me demandant ce que je viens faire en Israël. Je lui réponds que je vais à la Maison d’Abraham à Jérusalem; elle a un sourire en coin.

– oui, mais encore ?
– j’ai un ordre de mission d’une association américaine et une coordination de l’armée israélienne pour participer à une mission chirurgicale à l’hôpital Shifa.

Son regard se durcit. Elle appelle alors un collègue masculin qui était dans le bureau d’à côté.

Ah oui, Gaza, Gaza…Vous y êtes allée … en 2012 « comme ça » et il accompagne ses dires d’un geste de la main signifiant quelque chose comme se faufiler.

J’interprète ce geste comme une allusion aux tunnels. Mais avant de prononcer le mot, ce mot qui est toujours mal vécu, je lui demande ce qu’il veut dire.

– Vous me comprenez très bien !

– Si vous faites allusion aux tunnels, je ne les ai jamais empruntés.

En 2012, l’entrée m’a été refusée à Rafah alors que j’étais invitée avec des collègues à participer à un colloque scientifique à l’université Al Azhar ; nous avons insisté, nous nous sommes présentés plusieurs fois à la frontière …mais malgré les nombreuses sollicitations …

Dès que je « lâche » le mot tunnel, il ne m’écoute plus, ses yeux lancent des éclairs, il cherche à m’impressionner, sa décision est prise.

« Vous êtes interdite d’entrée sur le territoire israélien pour raison de sécurité ».

J’ai beau essayer d’argumenter, personne ne m’écoute, on me pousse vers une autre salle d’attente, mon passeport reste en leur possession.

Dans cette salle d’attente, il y a beaucoup de monde, je dis aux jeunes policières de faction que c’est incompréhensible d’avoir une coordination pour Gaza et d’être arrêtée à Tel Aviv. Dès qu’elles entendent « Gaza » je sens comme un effroi chez elles ; elles me font taire comme si j’avais dit un gros mot, une énormité.

J’obtempère ne voulant pas envenimer la situation.

Alors, j’envoie des sms à des personnes amies et demande à l’une d’entre elles d’appeler Mr Anthony Bruno, directeur de l’Institut français de Gaza.

Celui-ci me fait comprendre qu’il ne peut pas faire grand-chose mais me communique le n° de téléphone du consulat français de Tel Aviv.

Là, une jeune femme me dit que tout ce qu’elle peut faire, c’est téléphoner à la police de l’aéroport pour savoir à quelle heure on allait me trouver un avion. Elle me rappelle ; ce sera à 5h du matin.

Comme le consulat de Jérusalem gère les Territoires Palestiniens Occupés, j’essaie d’insister auprès de lui pour qu’il me vienne en aide. On me demande les références de ma coordination ; je les communique aux 2 consulats.

Pendant ce temps, on fouille mes valises, en ma présence, mais mon sac à dos et mon smartphone, en mon absence, malgré mes protestations. Je suis certaine qu’à ce moment-là, on photocopie tous mes documents, y compris mes répertoires professionnels qui comportent de nombreuses coordonnées de patients, ce qui est parfaitement illégal.

Ensuite, on me conduit, ainsi que d’autres personnes, au centre de rétention pour migrants (vers 22h) où l’on me privera de toutes mes affaires sauf de mon portefeuille.

A 4h on me réveille pour me conduire à l’avion.

Rétrospectivement, je suis toujours outrée par le comportement arbitraire et illogique des autorités israéliennes que j’ai subi, impuissante : soit on donne une coordination pour Gaza et on laisse passer les gens, soit on la refuse et les intervenants ne font pas le voyage pour rien !

A moins que ce ne soit une occasion rêvée pour collecter des renseignements sur les résistants sans payer des collabos ou utiliser la torture sur les prisonniers politiques.

En tout cas, il y a là une grave atteinte aux droits humains (pour ne pas dire un profond mépris) qui mérite une protestation auprès de l’ambassade d’Israël en France et une information auprès du ministère français des affaires étrangères.

Jacqueline Le Corre
Médecin