[Racisme] De Charlie à Alost : rire de tout ?

Par Henri Goldman | février 23, 2020.

Par un curieux concours de circonstances, une polémique universitaire concernant Charlie a précédé de quelques jours la polémique autour du carnaval d’Alost épinglé pour son char antisémite de 2019. Souvenons-nous que la notoriété internationale de Charlie provient du fait que cette gazette avait republié les fameuses « caricatures danoises », ce qui en avait fait la cible du terrorisme islamique un jour de janvier 2015. Depuis, Charlie assume et continue à publier des caricatures dans la même veine.

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Hormis cette issue sanglante, les similitudes entre Charlie et Alost m’ont sauté aux yeux.

Des deux côtés, on a trouvé intelligent de promouvoir des images blessantes, à tort ou à raison, pour un groupe humain (ici les Juifs, là les Musulmans).
Des deux côtés, la médiatisation de ces caricatures, amplifiée par les réseaux sociaux, a provoqué des réactions internationales. On a manifesté dans les rues de nombreux États musulmans avec la bénédiction des dictatures locales ravies de cette diversion, tandis que le gouvernement israélien protestait officiellement contre cette paille dans l’œil d’un voisin en assumant la poutre qu’il avait dans le sien.

Des deux côtés, on a brandi la liberté d’expression et le droit de rire de tout. On a fustigé le « politiquement correct » de nouveaux ayatollahs n’ayant aucun humour. On a défendu la saine culture de la satire et de l’ironie propre au génie français ou à la tradition flamande qui, l’un comme l’autre, prétendent ne respecter aucun tabou.

Des deux côtés, certains ont souhaité porter plainte contre ces caricatures au prétexte qu’elles incitaient à la haine, ce qui ne fut fait nulle part, tant la liberté d’expression est particulièrement bien protégée dans notre droit.

Des deux côtés, on a vu les opinions publiques se fracturer en épousant des points de vue tranchés. Et le petit monde de l’intelligentsia commentatrice n’était pas en reste.

Complotisme

Malgré ces similitudes, tout le monde n’a pas défendu exactement le même point de vue des deux côtés. Certains défenseurs inconditionnels de la liberté d’expression version Charlie ne le sont plus version Alost où ils appellent à la censure et à la répression. Cette différence de réaction apportera de l’eau au moulin des émules de Dieudonné qui prétendent que les Juifs sont intouchables et qui répètent à l’envi, comme ce professeur émérite de l’UCL, cette maxime complotiste attribuée à Voltaire : « Si vous voulez savoir qui a le pouvoir, demandez-vous qui vous ne pouvez pas critiquer ».

Les chars antisémites d’Alost sont insupportables. Les caricatures islamophobes de Charlie le sont aussi. S’ingénier à blesser des populations dans ce qu’elles ont de plus sacré est méprisable, et personne n’a le droit moral de décréter que le sacré de l’autre serait plus ridicule que le sien. Mais ce n’est jamais en envoyant la police pour les étouffer qu’on empêche les idées – les plus généreuses comme les plus nauséabondes – de circuler. C’est même souvent l’inverse. Seule la bataille culturelle peut faire refluer les remugles de racisme et le mépris qui suintent des caricatures de Charlie et de certaines traditions populaires qui charrient les pires stéréotypes et devront bien évoluer.

Il n’y a pas à choisir entre la dénonciation de l’antisémitisme (Alost) et la dénonciation de l’islamophobie (Charlie). Surtout au moment même où une nouvelle vague de crimes racistes s’en prend indifféremment aux Juifs et aux Musulmans. Ceux-ci, et leurs amis, ont mieux à faire que d’alimenter une « concurrence des victimes » où il n’y a que des perdants. La lutte contre le racisme est indivisible. Charlie-Alost, même combat.