Pascal Lererer (PL) fait partie du CNPJDPI avec son association UAVJ (Une Autre Voix Juive)
PL, depuis toujours et dans ce nouveau texte, ne cesse de plaider pour la reconnaissance des droits nationaux du peuple israélien. Son texte transpire par tous ses pores cet objectif, alors qu’il s’agit bien de reconnaître qu’Israël n’existe que sur la base de la spoliation des droits des Palestiniens.
D’emblée PL s’inscrit dans une symétrie : on soutient les Palestiniens à condition de défendre les droits nationaux du peuple israélien. Or, ça se discute : sur quoi sont fondés les « droits nationaux » du peuple israélien ? Sur la conquête coloniale de la Palestine par laquelle les impérialismes du 19è siècle ont utilisé le sionisme. Il y avait bien une aspiration nationale chez les Juifs discriminés d’Europe centrale et orientale, mais elle n’était pas spécifiquement tournée vers la Palestine. Le mouvement socialiste internationaliste Bund, notamment, revendiquait pour les Juifs le statut de nationalité juive, au sens des nationalités reconnues comme minorités dans l’Empire russe. Mais le choix du mouvement sioniste a été d’inventer une nation juive artificiellement attachée à la Palestine. Cette invention puisant dans la tradition religieuse a été de la part de laïcs athées, un calcul, voire une manipulation.
Passons sur la désinvolture avec laquelle il nomme chimère la visée d’un État unique en invoquant la nécessité d’un État palestinien qui n’a, on le sait à partir de tous les travaux menés depuis des années, aucune chance de voir le jour tant le territoire est occupé par Israël, ses colonies, ses avant-postes, ses saisies quotidiennes de terres et de ressources vitales comme l’eau, les oliviers…
PL critique le fait que le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI), dont son association fait partie, n’organise pas de manifestations pour le respect des résolutions de l’ONU : très drôle ! Cela fait 77 ans que les résolutions de l’ONU ne sont pas respectées et qu’Israël sévit au Proche-Orient en toute impunité avec le soutien de la communauté internationale.
Il reproche principalement au CNPJDPI de ne pas respecter sa charte et de collaborer avec Urgence Palestine.
Sur la charte élaborée il y a 25 ans et jamais actualisée, tout le monde convient qu’il est nécessaire de la revoir à la lumière de l’évolution de la situation et c’est faire un faux procès que de critiquer le Collectif sur ce point. Exemples de points totalement dépassés : « retrait des troupes israéliennes », « envoi immédiat d’une force internationale » …. Personne aujourd’hui (sauf PL) ne va perdre du temps à critiquer quiconque n’a pas transformé ces objectifs.
Sur Urgence Palestine, PL trouve moyen de reprocher au Collectif de parvenir à s’entendre pour des appels communs à manifester sur des mots d’ordre tels que :
- Stop au génocide : cessez-le-feu et fin du blocus immédiats
- Pour la fin de la colonisation, de l’occupation et de l’apartheid
- Boycott, désinvestissement, sanctions contre Israël
- Soutien à la résistance du peuple palestinien
- Contre la complicité du gouvernement français avec les crimes israéliens et la répression de la solidarité avec la lutte du peuple palestinien
C’est vraiment pousser à la division que de s’élever contre ces efforts de part et d’autre pour renforcer le mouvement de soutien aux droits des Palestiniens. Chaque organisation, chaque collectif peut conserver sa ligne propre tout en menant des actions communes soigneusement négociées et c’est ce qu’il s’est passé entre le Collectif et Urgence Palestine.
Mais PL se montre très ignorant de la réalité d’Urgence Palestine en mettant en avant CAPJPO-Europalestine. Cette dernière association n’est pas membre d’Urgence Palestine mais il arrive à ces deux groupes d’agir ensemble. Passant par-dessus cette ignorance, PL veut surtout envoyer des piques éculées à Europalestine et du même coup au PIR dont il ignore qu’Houria Bouteldja n’en fait plus partie depuis longtemps et a démoli s’il en était besoin les accusations d’antisémitisme qui l’ont visée. Nul besoin de s’attarder davantage sur les accusations de PL qui signalent simplement qu’il s’affranchit de la réalité pour étaler des propos dignes de la presse mainstream.
En attaquant le CNPJDPI, PL vise surtout l’UJFP qu’il tient pour responsable, avec quelques autres, d’une dérive du Collectif.
Florilège de contre-vérités et de réponses, en quelques lignes :
- L’UJFP nie le droit du peuple israélien à son État. Précision : Israël n’est pas un État de droit, mais un État voyou qui n’existe que par la guerre de conquête depuis 77 ans. Et un État de droit ne serait pas l’État-Nation du peuple juif mais un État de tous ses citoyens.
- L’UJFP … « appelle à la destruction de l’État d’Israël » : nous nous évertuons à casser la rengaine du « jeter les Juifs à la mer », encore trop souvent dans les têtes. Nous parlons de désionisation de l’État d’Israël, de déconstruction du sionisme. PL ne peut pas entendre cela et il dévie la flèche d’une manière qui plaît aux sionistes et aux médias mainstream.
- L’UJFP contempteur de l’ONU : l’UJFP ne cesse de réclamer l’application des résolutions de l’ONU et de dénoncer l’impunité d’Israël.
- L’UJFP qualifie l’AP (Autorité palestinienne) de collabo : ah oui, et comment la qualifier autrement quand les forces armées de l’AP envahissent les camps de réfugiés et massacrent des résistants au nom de la sécurité ?
- L’UJFP soutient le Hamas, sans le dire clairement, en le qualifiant de « mouvement de résistance » : l’UJFP soutient toutes les formes de résistance des peuples colonisés, comme le prévoit l’ONU, y compris la résistance armée contre la colonisation ; mais PL ne comprend pas la différence entre soutenir un principe, un droit, et approuver les différentes composantes de la résistance ; l’UJFP ne soutient pas particulièrement le Hamas mais reconnaît son rôle dans la résistance.
- Jusqu’à l’apparition d’Une Autre Voix Juive (UAVJ) (béni soit son nom !!), l’opposition juive à la politique d’Israël ne semblait être que celle d’une dizaine de personnalités… » : l’UJFP a été créée en 1994 et s’est toujours mobilisée depuis sur la critique de la politique d’Israël, tout en progressant dans la connaissance et la réflexion sur le sionisme. Elle a opté pour une position antisioniste (voir plus loin) sur la base d’un processus d’étude historique, de réflexion et de concertation, comme son homologue Jewish Voice for Peace aux USA, qui a suivi de près le même processus. À l’inverse, UAVJ n’a pas bougé de sa ligne révisionniste depuis sa création et continue à refuser de voir que le problème d’aujourd’hui remonte à la façon dont le sionisme dès le début a refusé de reconnaître qu’un peuple habitait la terre qu’il a colonisée.
- « Les sionistes qui arrivaient en Israël pour fuir les pogroms en Russie et en Pologne au début du 20è siècle, s’installaient sur des terres achetées à des grands propriétaires arabes ou turcs « . D’abord, ce n’étaient pas des sionistes et ils n’arrivaient pas en Israël mais en Palestine ; les Juif.ves opprimé.es dans l’empire tsariste essayaient surtout d’atteindre les États-Unis ou le Royaume Uni, éventuellement la France, à défaut la Palestine. Ensuite, le narratif sioniste que reprend PL s’arrête au fait que les terres étaient achetées, sans se préoccuper du sort de ceux qui les cultivaient et qui en ont été expulsés, massacrés, sans espoir de retour ; PL fait le silence là-dessus.
- PL prend pour argent comptant la Déclaration d’Indépendance d’Israël affirmant assurer une « complète égalité de droits sociaux et politiques à tous les citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ; il garantira la liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture » pour se demander quel État colonial inscrirait cette déclaration dans sa Constitution. Naïveté, ou supercherie ? Outre le fait que la Déclaration d’Indépendance n’est pas une Constitution, qu’Israël n’a pas de Constitution, on voit que PL se prend, volontairement ou non, au piège des promesses qui n’engagent à rien ceux qui ont le pouvoir ou y aspirent. Rappelons-nous la Déclaration Balfour offrant un foyer juif en Palestine aux Juifs, étant clairement entendu que rien ne doit être fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine. On sait ce qu’il en est advenu.
Sur les termes de sionisme et d’antisionisme, PL croit bon de se lancer dans une épistémologie qui ne mène nulle part. Ayant d’abord récusé « l’emploi du champ lexical sioniste ou antisioniste », il s’y rallie un peu plus loin en prétendant qu’affirmer « le droit du peuple israélien à son État dans le cadre des résolutions de l’ONU n’est pas une position sioniste ». On peut l’admettre, si on fait l’impasse sur la genèse de l’État d’Israël. Or, aujourd’hui, il n’est plus possible d’ignorer que cet État s’est fondé sur un processus d’élaboration d’une soixantaine d’années appuyé sur les puissances impérialistes de l’époque et qu’il a délibérément ignoré l’existence d’un peuple présent sur cette terre. Certains rapprochent ce processus de la création des États-Unis sur l’écrasement des peuples indigènes, pour estimer qu’ainsi va la vie en quelque sorte (ou plutôt la mort) et qu’à force, les envahisseurs deviennent le peuple. Forfanterie désormais inacceptable. Le peuple palestinien ne se laisse pas écraser et nous fait nous reposer la question de la légitimité d’Israël.
Quand PL vise, sans le dire, les antisionistes en les affublant d’une « vision manichéenne d’un peuple israélien entièrement voué à massacrer le peuple palestinien », il voit là les « relents religieux de la théorie du peuple déicide » et donc de l’antisémitisme. Quel galimatias ! Les antisionistes conséquents font de la politique et non du pathos. Ledit peuple israélien est engagé dans une spirale de violence coloniale depuis la création de l’État (et même avant), qui va désormais jusqu’à la pratique du génocide. Nombre de penseurs juifs de l’époque des débuts du sionisme avaient annoncé qu’une telle entreprise ne pourrait se maintenir que par la guerre. Ils s’en désolidarisaient ainsi, comme s’en désolidarisent les antisionistes juifs politiques qui rejettent la centralité d’Israël dans leur judéité.
Sonia Fayman