31 Mars 2016
L’histoire du tir de Hébron est un cas classique du syndrome du simple soldat. Ce sont principalement les dirigeants ashkenazes qui donnent les ordres, cependant seuls ceux qui sont au bas de l’échelle doivent payer le prix.
Quelle différence y a t-il entre le soldat israélien qui tire sur Abd al-Fatah Sharif un palestinien de 22 ans la semaine dernière à Hébron, après une attaque au couteau, et les soldats d’unités d’élite qui tirent et tuent des suspects palestiniens ? La différence est que les soldats d’élite opèrent en coulisse, là où il n’y a personne pour filmer avec une caméra.
Depuis le tir de Hébron, on a beaucoup glosé sur le tireur de Hébron ses sympathies d’extrême droite, le fait qu’il soit un supporter du Beitar Jérusalem (une équipe de foot associée à la droite israélienne, et son appartenance à La Familia, un groupe de supporters d’extrême droite du Beitar).
Cela provient d’une tentative de distinguer entre le «bon soldat» et le «mauvais soldat» , du discours sur le «code éthique» de l’armée israélienne de défense, et de la «pureté des armes». Appelons un chat un chat : il y a des soldats ashkenazes qui vont dans les «bonnes» unités, où les assassinats extrajudiciaires sont un titre d’honneur.
Et puis il y a des soldats mizrahim [Mizrahim : littéralement juifs orientaux, de fait position politique des juifs israéliens se revendiquant comme juifs-arabes et luttant contre l’hégémonie culturelle et politique ashkenaze. Voir notamment l’article de Joelle Marelli « Traduire, trahir et diviser. Jalons pour penser les juifs arabes et le conflit dans la cité », dans sa [deuxième partie (NDLT)]] qui réalisent l’essentiel du travail non qualifié du contrôle militaire d’Israël sur les territoires occupés. Dans ce cas le soldat de Hébron a exécuté un palestinien désarmé qui ne constituait plus une menace pour personne.
Prenons quelqu’un comme Meir Har-Zion pour exemple. Lui et ses amis d’une unité d’élite de parachutistes ont assassiné cinq Bédouins pour venger le meurtre de la sœur de Har-Zion. Ils n’ont jamais été jugés ; Har-Zion est aujourd’hui considéré comme un héros national. Ou prenons des kibbutzniks comme Ehud Barak ou le ministre de la Défense Moshe Ya’alon, les deux sont responsables de l’assassinat ciblé de Khalil Al Wazir (connu sous le nom d’Abu Jihad) dans sa maison de Tunis en 1988. Non seulement ils n’ont pas été condamnés, mais l’assassinat, avec d’autres opérations n’a fait que renforcer leur image d’officiers vénérés de IDF. Même la famille du tireur de Hébron a rappelé cela dans une lettre ouverte à Ya’alon la semaine dernière : « n’oubliez pas que vous avez été dans la même situation que notre fils quand vous vous êtes trouvés dans la chambre de Abu Jihad et vous êtes assuré qu’il était mort».
Nous entendons souvent une critique légitime de la gauche ashkenaze qui n’a jamais osé se regarder dans le miroir et parler des privilèges ashkenazes ou des injustices contre le public mizrahi. Oui la gauche en Israël a pris ses distances, sans parler de sa répugnance à l’égard des Mizrahim. Mais le cas de Hébron démontre aussi de la manière la plus tragique que les Mizrahim sont aussi ceux qui payent le prix des politiques de la droite, qui n’est pas moins ashkenaze ou élitiste que la gauche. Le ministre de l’Éducation Naftali Bennett qui a servi dans l’unité d’élite des forces spéciales «sayeret matkal» a déclaré qu’ «un terroriste qui met en danger les vies de nos soldats doit être neutralisé». Yaïr Lapid a déclaré que «quiconque sort un couteau ou un tournevis devrait être abattu» et ajouté que le tireur recevrait une protection juridique ; et il y a un an et demi l’ancien ministre de la sécurité publique d’Israël Yitzhak Aharonovich déclarait «un terroriste qui s’attaque à des civils doit être tué».
Il est vrai qu’il y a souvent un écart entre les ordres officiels de l’armée et ce qui se produit sur le terrain. Dans ce cas bien sûr l’écart n’est ni raisonnable ni acceptable. La vidéo montre que le soldat a agi en violation directe des réglementations sur la possibilité d’ouvrir le feu.
Cependant des politiciens du plus haut niveau appellent les soldats à violer ces réglementations, en abdiquant en même temps toute responsabilité. L’histoire d’Hébron est un cas classique du syndrome du simple soldat, – tout le monde donne l’ordre, principalement les Ashkenazes, mais seuls ceux qui sont en bas de l’échelle paient le prix. Il n’est donc pas surprenant que la municipalité de Beit Shemesh ait organisé une manifestation de soutien au soldat – la périphérie exige un traitement égal de l’Establishment israélien.
Le tireur de Hébron est la preuve que le combat mizrahi demeurera bloqué tant que nous refuserons de parler du conflit israélo-palestinien. D’un côté l’establishment a besoin de ses travailleurs noirs – pas seulement les mizrahi mais tous les juifs n’appartenant pas à l’élite ashkenaze- qui seront engagés dans les plus basses unités pour maintenir l’occupation et même perpétrer des crimes comme celui de Hébron. La droite ashkenaze fera tout ce qu’elle peut pour s’assurer que cela se produise. Pendant ce temps les mizrahim n’ont pas d’autre choix que de s’engager dans l’armée pour prouver qu’ils sont des citoyens méritants, ils restent souvent dans l’armée après leur service obligatoire comme sous officiers et officiers ou rejoignent la police ou autres services liés à la sécurité. Il ne s’agit de rien d’autre que la reproduction des relations de pouvoir ashkenze-mizrahi : depuis la scolarité en passant par l’armée jusqu’au marché du travail, les Mizrahim jouent le rôle du travailleur de base, alors que les ashkenazes sont rémunérés de diverses façons par le système.
L’avocate Kochavi Shemesh, une des leaders des Panthères Noires en Israël l’exprimait ainsi : « Il n’y aura jamais d’égalité ou une chance pour les Mizrahim aussi longtemps qu’il y a une occupation et une lutte nationale. D’un autre côté, la lutte nationale ne s’achèvera pas aussi longtemps que les Mizrahim seront au bas de l’échelle et peuvent être utilisés comme une carte anti-arabe. » Ces paroles étaient et demeurent exactes et pertinentes quant à notre juste lutte.
Adi Mazor, Tom Mehager
Traduction de l’anglais de Michèle Sibony pour l’UJFP