Poème d’Olivia Elias. Membre de la diaspora palestinienne, elle est déjà l’auteure de Je suis de cette bande de sable.
Que diraient leurs morts s’ils revenaient ?
Est-il possible que le « Plus jamais ça » ait abouti à ça ?
Cette entreprise folle
Est-il POSSIBLE ? Est-il POSSIBLE ?
psalmodie le chœur des pleureuses
au milieu du cortège qui enterre
les morts d’aujourd’hui
portés à bout de bras au-dessus de la foule
sur des civières incandescentes
recouvertes du drapeau à trois bandes
avec le triangle rouge
des Indiens d’Orient
Méthodiquement tisser une toile carcérale
autour de deux millions et demi
d’hommes femmes et enfants
condamner un million six cents mille
à tourner en rond comme des rats pris au piège
dans ce ghetto de Méditerranée
mutiler chênes et oliviers
hommes et femmes dans la floraison
de leur courte existence
encager des enfants
empoisonner l’eau à la source
Que diraient leurs morts
s’ils revenaient ?
Quelle stupeur effarée les
ferait tomber à genoux ?
Par centaines et centaines de milliers
et peut-être plus encore
ceux du ghetto de Lodz mêlés à ceux de Vitebsk
de Varsovie de Gormel et de partout
se recouvriraient la tête et le visage de cendres
et se précipiteraient pour démanteler
murs et barbelés afin que les emmurés puissent
Enfin respirer !
Puis ils prendront par la main
leurs compatriotes égarés
et les ramèneront à la maison
et dans cette histoire
il ne s’agit pas seulement de béton
et de pierre
mais d’abord et avant tout
de la grande maison humaine
offerte en partage à tous les nouveaux nés
S’ils refusaient d’écouter leurs morts
Ils se mutileraient de leur part la meilleure
Et ils leur briseraient le cœur
à leurs morts
une nouvelle fois
Hélas hélas
se lamente le chœur des pleureuses
de mauvaises fées nous ont lancé un sort
Vous deviendrez une vermine
appelée à disparaître
dans les bas-fonds de l’humanité
Les Seigneurs de la guerre voulurent
réaliser la malédiction
Ils proclamèrent à la face du monde
Vous n’êtes pas ici chez vous
Ici c’est chez nous
Et nous dormirons dans vos lits
et nous mettrons les pieds sur vos tables
Faut-il toujours qu’un peuple EXPIE
les fautes de l’humanité
Nous revient-il aujourd’hui d’avoir ce statut
singulier et cruel ?
Nous voilà condamnés à errer
à vivre emmurés
ou à creuser des tunnels
pour accéder à la vie belle
à camper des mois et des mois
dans ce no man’s land
brûlé par un soleil de plomb
entre Damas et Bagdad
et tant pis pour nos femmes enceintes
et nos nourrissons tout juste nés
à servir de cobayes pour leurs armes prohibées
à mourir de faim dans Yarmouk assiégé
à subir l’assaut d’une soldatesque ivre de vengeance
Et pour mieux guider leurs mains meurtrières
de puissants projecteurs éclairèrent la nuit
comme en plein jour
Sabra et Chatila nous n’oublions pas ton nom
et non plus celui de Jénine où les bulldozers
aplanirent le terrain pour effacer
toute trace de ce qui s’y déroula
ni celui de Gaza où l’apocalypse
tant de fois advint
La dernière fois les vagues de feu
venues de la mer mêlées à la pluie meurtrière
dévastèrent tout sur leur passage
tandis que les rafales de sable soulevées
par les tempête de plomb durci
aplanissaient les dunes
et étendaient sur toute chose
un linceul de cendres grises
Hiroshima qui se répète
à des milliers de kilomètres
avec la main de l’homme
qui s’arroge le pouvoir des dieux
ordonnant la catastrophe
encore une fois
Ne se rappellent-ils pas
qu’Antigone préféra mourir
plutôt que de laisser
le corps de son frère livré aux corbeaux ?
Effacement… Anéantissement…Black-out
Check-point…Serpent de béton deux fois plus haut
que le mur de Berlin qui saute à la gorge
de nos villes et de nos villages
Assaut de colonies sur nos demeures
Béton béton hideux qui étouffe toute vie
Désormais des rangées de maisons
toutes semblables recouvrent
les collines déboisées où la gazelle bondissait
et où les oiseaux faisaient leur nid
Il faisait si bon s’y promener
autrefois dans la fraîcheur du soir !
Que diraient leurs morts
s’ils revenaient ?
Les Puissants multiplient les palabres
mais les claquements de botte
des Seigneurs de la guerre
ne viendront PAS à bout de nous
nous ne nous mettrons PAS à genoux
nous ne craignons ni leurs drones ni leurs tanks
et nous rions de leur arsenal nucléaire
enfoui dans le désert
Y a-t-il trésor plus dérisoire que celui
conçu pour détruire toute vie sur terre ?
Que diraient leurs morts s’ils revenaient ?
Il est temps que cette folie cesse
Il vous faut revenir
Voyez ces photos
Ici ce ghetto d’Europe centrale
fin des années trente
et là ce village du Néguev
ou de la vallée du Jourdain
Hier aujourd’hui pas de différence
Voyez ce sont les mêmes tentes de toile déchirée
la même désolation alentour
le même manque de tout
et les mêmes pauvres êtres abandonnés
Il y a tant de campements de cette sorte chez nous
Certains ont été détruits des dizaines de fois
nous les avons toujours reconstruits
Il n’y a là nul héroïsme
simple nécessité
la terre l’air que nous respirons
les senteurs que nous humons
sont parties essentielles de notre être
Il vous faut revenir
Arrêter cette abomination
la confiscation de votre parole a posteriori
ce hold-up permanent qui dure
avec la complicité des Puissants
le chef noir de la grande nation d’Amérique
le Premier des Français et tous les autres
sourds à nos cris
aveugles aux signaux désespérés
que nous leur adressons
au milieu de notre longue nuit
Il vous faut parler
Parler plus fort
et ne pas vous arrêter
Ils vous écouteront peut-être
quand ils daignent poser les yeux sur nous
ils ne voient pas des humains
leurs semblables doublement frères
seulement des PARAMETRES manipulables à leur guise
Sécurité sécurité
ils n’ont que cette antienne à la bouche
et jamais souci de la nôtre
nous vous en conjurons
Parlez plus fort pour que le
« Plus jamais ça » devienne
réellement vrai
Vrai pas seulement pour quelques-uns
qui seraient entre tous élus
mais pour tous les humiliés
les encagés les errants d’aujourd’hui