Quand Hillary Clinton a écrit sa lettre au donateur israélo-américain, Haim Saban, contre le mouvement populaire et pacifique de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), elle a présenté l’« État juif » comme une « démocratie dynamique dans une région dominée par l’autocratie… un miracle des temps modernes – une fleur pleine de vie au milieu d’un désert ». Pour faire bonne mesure, elle a juré que « nous devions veiller à son développement et la protéger ». Contrairement à Clinton, toutefois, nous, Palestiniens, nous subissons les effets du racisme et de la discrimination qui s’infiltrent jusque dans les professions les plus humaines, sous l’occupation militaire brutale d’Israël.
Un soldat israélien a été filmé sur une vidéo le mois dernier en train d’exécuter un Palestinien blessé et inconscient. Abed Al-Fattah Al-Sharif était soupçonné d’« attaque terroriste » ; une attaque au couteau qui ciblait non un civil mais un soldat, sur un check-point militaire de la ville occupée d’Hébron. L’Israélien qui lui a tiré dans la tête alors qu’il gisait à terre n’était pas qu’un soldat, c’était aussi un personnel médical. Si son acte a d’abord été condamné par de nombreux Israéliens, il a depuis été célébré, et il y a de sérieuses propositions pour lui décerner une médaille. La même caméra qui a documenté l’exécution a filmé également plusieurs personnels médicaux israéliens qui apportaient les premiers secours à un soldat blessé (il avait une blessure légère à un bras) mais en ignorant le blessé palestinien inconscient et allongé par terre, sans chercher à intervenir de la moindre façon, jusqu’à ce qu’il soit tué. À ce moment-là, le personnel médical est intervenu, mais seulement pour emmener son corps au loin.
L’exécution extrajudiciaire relève d’une politique israélienne réservée exclusivement aux Palestiniens ; environ deux cents Palestiniens ont été tués par Israël au cours des six derniers mois. Les forces de sécurité auraient pu, bien sûr, se modérer et les désarmer, comme elles l’ont fait pour Yishai Shlissel, ce juif ultra-orthodoxe qui a attaqué à deux reprises différentes des participants à une Gay Pride, tuant l’un d’eux. Shlissel n’a pas été tiré à vue ni exécuté ; il a été arrêté et il sera confronté à un procès régulier, à la différence des 200 Palestiniens qui, eux, ont été tués, et dont beaucoup étaient des étudiants.
Je suis surprise que quelqu’un ait réussi à filmer l’exécution d’Al-Sharif, mais je ne le suis pas par l’exécution elle-même ; les soldats israéliens exécutent les Palestiniens de façon routinière, comme un exercice de leur pouvoir pour intimider la communauté. Un scandale, qui a plus de mal à être reconnu cependant, est celui de la complicité du personnel médical israélien qu’on voit dans la vidéo et de son silence qui suivra.
Une vague de soutien au soldat a été lancée par le tristement célèbre colon Baruch Marzel (un homme connu pour distribuer des pizzas aux soldats une fois qu’ils ont tué des Palestiniens) ; il a organisé un rassemblement en soutien au soldat à proximité du tribunal militaire de Jaffa. Le gouvernement local à Beit Shemesh a organisé le même rassemblement pour défendre le personnel médical assassin ; des affiches l’ont acclamé comme un « héros national ». Un sondage réalisé par Channel 2 TV a révélé qu’à 57 %, l’opinion israélienne estimait qu’il n’y avait pas lieu d’arrêter le soldat ou d’enquêter sur l’incident, pendant qu’à 42 %, elle qualifiait son acte de « responsable » ; et encore qu’à 24 %, elle soutenait que sa réaction dans cette situation était tout à fait naturelle.
Bien qu’odieux, ce qui précède n’est pas le seul exemple d’une médecine polluée par la politique en Israël. De récents rapports par des hôpitaux de tout le pays, spécialement à Jérusalem, suggèrent qu’il est fréquent de séparer les malades arabes israéliens des Israéliens juifs, en particulier les nouvelles mamans ; les femmes arabes palestiniennes sont entassées et reçues dans des conditions d’une qualité inférieure. Un membre de la Knesset, Bezalel Smotrich, a carrément twitté : « Il est seulement normal que mon épouse ne veuille pas être couchée à proximité de quelqu’un qui vient de donner naissance à un bébé qui pourrait assassiner le sien dans vingt ans ».
Quant aux responsables médicaux, soit ils dénient de tels rapports, soit ils cherchent à les justifier : « Les femmes arabes sont contentes d’être affectées à des salles de réveil de six personnes parce qu’elles aiment bavarder », disent certains ; « Les femmes juives ont besoin de salles de deux personnes parce qu’elles ne peuvent pas tolérer les fêtes arabes » affirment d’autres. Une infirmière palestinienne a observé que ses collègues israéliennes dans la salle d’accouchement faisaient des commentaires tels que « Et voici un autre terroriste », après la naissance d’un bébé palestinien.
L’attitude cruelle du personnel médical israélien envers les Palestiniens est à la fois banal et très ancien. Il y a vingt ans, quand mon neveu est né, je me souviens être allée avec ma mère et mon beau-frère visiter ma sœur et voir le bébé. L’équipe de sécurité de l’hôpital nous a arrêtés dans le hall, prétendant que ce n’était pas l’heure des visites ; et au même moment, elle permettait à des Israéliens juifs d’entrer au service maternité. Quand mon beau-frère a demandé pourquoi, il a été écarté et bousculé, restant tout meurtri et avec ses lunettes cassées. Cela se passait à l’hôpital Shaare Zedek, sous le nez de médecins et d’infirmières qui sont restés silencieux.
La pratique discriminatoire des hôpitaux israéliens paraît dérisoire en comparaison des rapports des services médicaux des prisons israéliennes. Les prisonniers politiques palestiniens affirment que le personnel médical et les tortionnaires sont alliés dans la même mission de briser leur volonté. Beaucoup de rapports indépendants ont vérifié de telles affirmations. Les prisonniers rapportent que les professionnels médicaux vérifient s’ils sont bien aptes à être torturés ou à se rétablir, de sorte qu’ils peuvent continuer à leur faire subir la torture. Après sa libération, un prisonnier m’a dit qu’un personnel médical de la prison avait inventé l’histoire qu’il était suicidaire afin de justifier de l’avoir suspendu en hauteur, « pour le protéger contre lui-même ». Le crâne d’un autre homme a été fracturé quand un garde l’a délibérément projeté au sol ; ce prisonnier a été « examiné » par plusieurs médecins après les faits, même si aucun d’eux n’a donné d’informations exactes sur l’incident ou sur son état physique : certains ont ignoré l’importante enflure et les ecchymoses autour de son œil; certains ont dit que le prisonnier était tombé dans l’escalier ; certains l’ont signalée comme la conséquence d’une piqûre d’abeille.
L’alimentation de force des prisonniers palestiniens en grève de la faim est une autre pratique médicale utilisée à des fins politiques, violant l’éthique médicale et la dignité humaine dans le processus. Une législation a été votée au parlement israélien qui autorise l’alimentation de force des grévistes de la faim. Alors que le principe allégué de la loi est « le caractère sacré de la vie », la véritable motivation en est de réduire au silence et de miner la volonté des prisonniers palestiniens dans leur lutte pour être libérés de la détention administrative (être détenu sans inculpation ni jugement). Bien qu’il n’y ait aucune trace d’un seul prisonnier palestinien mort des suites d’une grève de la faim, il existe une documentation qui prouve que cinq prisonniers sont morts du fait d’une alimentation de force entre 1970 et 1992. Ces malheureux ont été nourris de force, et tués par le personnel médical.
La médecine n’est pas seulement une profession pour gagner son pain, c’est une vocation. Une vocation qui traite du bien-être humain dans des domaines qui dépassent la seule santé physique. La neutralité et l’impartialité sont des principes fondamentaux du code de déontologie du corps médical, mais nous voyons certains de nos confrères israéliens capituler devant la bigoterie populaire, au lieu de soutenir les droits des malades quand ils sont palestiniens. Les professionnels israéliens de la médecine devraient soutenir leurs confrères palestiniens qui se font mitrailler dans les ambulances, et les malades palestiniens qui se font arrêter aux check-points ou qui sont obligés de collaborer en échange d’un service de santé. Ils devraient condamner le bombardement des hôpitaux à Gaza, et les raids dans les hôpitaux palestiniens de la Cisjordanie occupée en vue d’enlever des personnes blessées.
De façon décevante néanmoins, dans sa grande majorité, le corps médical israélien n’est apte à réaliser aucune de ces choses. Nous observons au lieu de cela que l’occupation érode toutes les considérations éthiques et que la haine des Palestiniens l’emporte sur les préoccupations et le comportement professionnels. Il ne peut exister de « démocratie dynamique » dans un système colonial, Mme Clinton ; il n’y a aucune pureté, ni même de professionnalisme médical, dans une domination coloniale. L’occupation militaire d’Israël pollue tout.
Par Samah Jabr – 21 avril 2016
Samah Jabr est Jérusalémite, psychiatre et psychothérapeute, dévouée au bien-être de sa communauté, au-delà des questions de la maladie mentale.