Le 10 octobre 2015, dans l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut sur France Culture, Georges Bensoussan déclarait : « Il n’y aura pas d’intégration tant qu’on ne sera pas débarrassé de cet antisémitisme atavique qui est tu comme un secret. C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes en France, l’antisémitisme on le tète avec le lait de sa mère ».
Le CSA, qui a été saisi, a considéré que les propos de M. Bensoussan « étaient susceptibles d’encourager des propos discriminatoires », et a relevé que, si le contradicteur de M. Bensoussan, M. Patrick Weil, s’était opposé, « parfois de façon véhémente à ce type de discours », l’animateur (Alain Finkielkraut) « compte tenu des amalgames et du caractère discriminatoire des propos qui ont été tenus dans cette émission » « n’a, à aucun moment, contribué à la maîtrise de l’antenne. »
Mais dans Le Figaro du 4 décembre 2015, un collectif de signataires [note] Bernard-Henry Lévy, Pascal Bruckner, Elisabeth Badinter, Jean-Paul Einthoven, Haïm Korsia, Pierre-André Taguieff, Jacques Tarnero, Michel Tribalat, Michel Zaoui, Yves-Charles Zarka]]. sont venus le soutenir, dénonçant une « véritable chasse à l’homme » et « une stratégie d’intimidation qui vise à l’interdiction ». Selon eux « aujourd’hui, l’activité professionnelle de Georges Bensoussan serait visée et le faire taire et interdire toute parole lucide semble être l’objectif de cette nouvelle police de la pensée. »
Plutôt que dire que leur ami a commis un impair, que cela peut arriver et qu’il faut vite passer à autre chose, les signataires des textes revendiquent tout simplement un droit au racisme, sans que cela ne suscite par ailleurs beaucoup de remous. Car dire que toutes les familles arabes en France « tètent l’antisémitisme avec le lait de leur mère » est un amalgame scandaleux et raciste, qui serait certainement jugé sévèrement par les tribunaux, si ces derniers avaient été saisis. Quel est le message envoyé par les signataires ? Il s’agit tout simplement d’établir une hiérarchie dans la lutte contre le racisme, d’affirmer que le racisme anti-arabe est acceptable, alors que l’antisémitisme ne l’est pas.
Admettre une hiérarchie dans la lutte contre les différentes formes de racisme est aussi inadmissible qu’admettre une hiérarchie des races.
Beaucoup de ces signataires souhaitent par ailleurs bannir de l’espace public ceux qui, pour eux, critiquent l’action politique du gouvernement israélien – aussitôt requalifiés d’antisémites – sans faire le tri entre les propos qui le sont vraiment, et sont donc condamnables, et ceux qui participent au libre débat public sur la politique des États. Ils plaident la libre parole pour ceux qui sont d’accord avec eux et la censure pour ceux qui ont des vues opposées aux leurs. C’est de plus en plus intolérable.
Cette revendication au droit à un droit au racisme ethnique, cache en réalité un racisme social.
Comment demander la condamnation pénale et civile d’un jeune de quartier qui aurait tenu des propos antisémites et l’impunité d’un intellectuel en vue qui aurait tenu des propos anti-arabes ? L’élite médiatique a-t-elle des droits qui ne sauraient être attribués à la plèbe, comme développer un discours islamophobe ? Et ne serait-il pas possible d’être critiqué pour cela ?
Le fait que M. Bensoussan soit responsable éditorial du Mémorial de la Shoah devrait lui donner plus de responsabilités, pas plus de droits, avant de s’exprimer sur un sujet aussi sensible.
Il y a un développement de l’antisémitisme dans certains quartiers. Ceux qui se battent au quotidien (professeurs, animateurs sociaux, éducateurs sportifs, etc.) pour dénoncer les amalgames entre juifs et Israéliens, expliquer qu’il n’y a pas un complot juif pour dominer le monde et la France, etc., sont pris à contre-pied par ces personnalités qui ne mettent jamais les pieds dans les quartiers et qui nourrissent par leur « deux poids, deux mesures » un phénomène qu’ils disent officiellement vouloir combattre.
De surcroît, ces intellectuels méprisent bien souvent souverainement les acteurs de terrain, dont ils confisquent la parole pour parler des banlieues qu’ils ne connaissent pas.
Pense-t-on sérieusement qu’on luttera réellement contre l’antisémitisme en faisant la promotion de l’islamophobie ? Qu’on fera réfléchir sur ces sujets des jeunes des quartiers en leur disant qu’il y a un racisme acceptable – celui dont ils sont victimes – et un autre inacceptable ? On ne combattra l’antisémitisme que si on combat le racisme anti-arabe (ou l’islamophobie, n’ayons pas peur du mot) avec la même vigueur.
Par Pascal Boniface. Paru sur son blog le 22 décembre 2015.