Qand les tenants de l’apartheid accusent leurs adversaires de racisme

Amnesty

On l’attendait depuis longtemps. Le rapport d’Amnesty International, reprenant ce que d’autres associations internationales (Human Rights Watch), palestiniennes (Al Haq) ou israéliennes (B’tselem) affirmaient depuis longtemps, reconnaît qu’Israël est un État d’apartheid. Il y a aussi eu un rapport de l’ONU, écrit par Richard Falk et Virginia Tilley (2019), dont le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a refusé la publication.

Amnesty a fait un rapport très documenté, s’appuyant sur la définition internationale de l’apartheid. La somme des pratiques qui justifient ce terme est colossale : domination d’une ethnie sur une autre, vol de terres, destructions de maisons, blocus, torture, emprisonnement massif, juridictions différenciées selon l’appartenance « ethnique », crimes de guerre, crimes contre l’humanité… Ce rapport évite soigneusement de remettre en cause ce qui a produit l’apartheid, à savoir le sionisme, et du coup, il a subi quelques critiques palestiniennes.

Un apartheid qui vient de très loin

Les sionistes n’ont jamais fait semblant de prôner les mêmes droits pour tou.tes. Pour Theodor Herzl, le futur État juif devait être un avant-poste contre la barbarie. Et dès 1920, le syndicat sioniste Histadrout appelait à la grève … contre les autochtones : « achetez juif, boycottez les magasins arabes ». La déclaration d’indépendance d’Israël (14 mai 1948) est limpide. Contre toute vraisemblance historique, il y est affirmé que les Juifs rentrent chez eux. La Palestine n’existe pas. Le nettoyage ethnique prémédité est nié. Les noms des villes et des rivières sont changés. 

Mais la déclaration dit quand même qu’il y aura une égalité de droits sociaux et politiques pour tous les citoyens, ce qui est facile à réaliser quand 90 % des autochtones ont été expulsés.

Les années ont passé. Les Palestinien.nes qui ont échappé à l’expulsion de 1948 ont vécu pendant des années sous couvre-feu. Une loi dite des « présents-absents » a permis et continue de permettre de confisquer les propriétés des expulsés. L’essentiel du territoire est interdit d’habitation aux non-juifs. Dans les villes dites mixtes, les Palestiniens n’ont pas le droit de construire, même en cas d’agrandissement des familles. La confiscation des terres est incessante. C’est elle qui a provoqué en 1976 la révolte célébrée depuis tous les 30 mars sous le nom de « journée de la terre ». Dans le désert du Néguev, 120 000 Bédouin.es vivent dans des villages non reconnus sans eau, sans électricité, sans route, sans écoles. Le gouvernement israélien ne reconnaît pas leurs actes de propriété et il a décidé que ces terres seraient offertes pour la construction de nouvelles villes juives.

De l’apartheid dissimulé à l’apartheid assumé

Avec la conquête de 1967, la colonisation est devenue centrale. Elle n’a pas été tout de suite populaire, mais le privilège colonial a fait basculer l’opinion israélienne. Désormais il y a 50% de Palestinien.nes entre Méditerranée et Jourdain et il n’est plus question de faire semblant de leur donner l’égalité. 

Avec les colonies et les constructions à Jérusalem Est, l’apartheid est devenu flagrant. Comme en Afrique du Sud avec les Bantoustans, la Palestine a été fragmentée en une multitude de territoires avec des statuts de domination différents. La Cisjordanie a été truffée de « routes de contournement » réservées aux colons, alors que pour les Palestiniens ce sont les check-points partout. Un colon dépend de la justice ordinaire et un Palestinien, qui habite à côté, de la justice militaire. Celle-ci débite les condamnations : 850 000 Palestinien.nes ont connu la prison depuis 1967.

Dans un monde où les riches s’enferment pour se protéger, les colons ont érigé partout des murs et des barbelés.

Bien avant que Poutine écrabouille ostensiblement le droit international, les Israéliens ont multiplié les lois et règlements discriminatoires au mépris total de ce droit supposé.

La loi « Israël, État-Nation du Peuple Juif » (juillet 2018) codifie cet apartheid de fait et établit officiellement le suprématisme. Ce pays est réservé aux Juifs. Les Palestiniens perdent leurs droits culturels et linguistiques. L’expropriation à l’œuvre dans le Néguev devient totalement légale.

Du coup, le langage s’est libéré : de Nétanyahou expliquant que « Hitler ne voulait pas tuer les Juifs, c’est le grand Mufti de Jérusalem qui lui a soufflé l’idée » à Bennett déclarant : « j’ai tué beaucoup d’Arabes  dans ma vie, je ne vois pas où est le problème », les complicités avec les racistes et les pires meurtriers sont affirmées. L’apartheid n’est plus dissimulé.

Le déni

Alors que, depuis le génocide nazi, le négationnisme représente pour les Juifs une forme de mal absolu, il est à l’œuvre pour blanchir Israël. En Allemagne où la culpabilité consiste à faire payer aux Palestiniens le prix du génocide, la section locale d’Amnesty s’est dissociée du rapport. En France, le gouvernement, les médias et la plupart des candidats à l’élection présidentielle ont réagi, soit par le silence, soit par le déni. Le mythe de « État juif et démocratique » ou de la « seule démocratie du Proche-Orient » reste tenace. Dans une pseudo gauche, imaginer que le « pays des kibboutz » puisse être comparé à l’Afrique du Sud de l’apartheid, voire être pire sur de nombreux aspects, reste impensable.

L’instrumentalisation de l’antisémitisme

Certains défenseurs d’Israël ont essayé d’expliquer qu’Israël ne peut pas pratiquer l’apartheid puisque son existence est en jeu ( ??) et que ce pays a droit à se défendre par tous les moyens. 

Mais l’arme principale des dirigeants israéliens, c’est l’accusation d’antisémitisme dès que les crimes qu’ils commettent sont dénoncés.  Ils n’ont donc pas hésité à clamer partout qu’Amnesty était antisémite. Au dîner du CRIF, la plupart des dirigeants politiques français sont venu écouter Francis Kalifat (ancien du Bétar) expliquer que le boycott d’Israël était antisémite ou Jean Castex affirmer que Jérusalem était la capitale éternelle du peuple juif (les Palestinien.nes qui considèrent que Jérusalem est leur capitale apprécieront). Même Mahmoud Abbas s’est senti obligé de protester. Bien sûr à ce dîner, Anne Hidalgo et Yannick Jadot ont réaffirmé l’allégeance exigée.

Le paradoxe qu’aucun dirigeant de ce monde ne relève, c’est qu’un gouvernement d’extrême droite, ouvertement raciste et suprématiste, objet d’admiration de tout ce que la planète compte de néofascistes et même d’antisémites, s’approprie l’histoire de l’antisémitisme et du génocide nazi.

Depuis Orban réhabilitant le régime pro nazi de l’Amiral Horthy, à Bolsonaro expliquant devant le mémorial Yad Vashem à Jérusalem (appelé mémorial de la Shoah) que « les Nazis étaient de gauche » en passant par les Chrétiens sionistes (qui ont financé la colonisation) pour qui les Juifs devront se convertir à « la vraie foi » pour ne pas disparaître, on a là ce que le journaliste anticolonialiste Gideon Lévy appelle « les amants antisémites d’Israël ».

Quant à l’appropriation de la mémoire du génocide, c’est une escroquerie. Les sionistes n’ont joué qu’un rôle marginal dans la résistance juive au nazisme. Certains d’entre eux, privilégiant la construction d’un État juif sur toute autre considération, ont eu un comportement honteux au moment où l’extermination était à l’œuvre.

La complicité française

Autrefois, la politique française se voulait « équilibrée ». Mais depuis Sarkozy, Hollande et Macron, il n’y a plus aucune retenue. D’un côté, on envoie des armes aux nouveaux alliés d’Israël : l’Arabie Saoudite dont le roi fait disparaître ses opposants et qui multiplie les crimes de guerre au Yémen, l’Égypte où les prisonniers politiques se comptent par dizaines de milliers, le Maroc qui prend exemple sur Israël en occupant illégalement le Sahara Occidental depuis des décennies. De l’autre, il y a à présent des manœuvres militaires communes (entre Israël et les pays de l’OTAN), un refus obstiné de cesser les importations des colonies, des manifestations indécentes d’amitié avec les dirigeants israéliens ou le refus de défendre même un citoyen français comme Salah Hamouri ou marié à une Française comme Ramy Shaat.

Les dirigeants français violent les textes de référence. Ainsi, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé qu’on avait le droit de boycotter Israël. Aussitôt, Dupont-Moretti a demandé aux Procureurs de poursuivre quand même les boycotteurs, reprenant le vocabulaire du CRIF selon lequel le boycott est illégal et antisémite.

Face au rapport d’Amnesty, les personnalités habituelles se sont indignées. On retrouve Valls, Ciotti, BHL, Bruckner, Bergé, Maillard et le député « centriste » Habib Meyer qui est de fait la voix des colons au Parlement français.

La dissolution de « Palestine Vaincra »

On connaît les célèbres paroles du Pasteur Niemoler : « quand ils sont venus chercher les communistes … »

Darmanin a commencé avec les associations musulmanes qui luttaient contre l’islamophobie : CCIF, Baraka City, CRI. Un des prétextes des dissolutions était … que l’islamophobie n’existe pas puisque la France est un État de droit. Les protestations ont été bien faibles et le Conseil d’État a validé ces dissolutions, créant un bien dangereux précédent. Le CCIF était une grosse association, avec des permanents et des milliers d’adhérents.

Puis ça a été le tour de « Nantes Révoltée ». Dissolution plus difficile à réaliser car il s’agit d’un média et pas d’une association.

Pour deux associations pro palestiniennes, ça a été foudroyant. Jupiter a parlé, Darmanin a tweeté et la dissolution a été prononcée au Conseil des ministres du 9 mars. Palestine Vaincra est affiliée à Samidoun, association palestinienne défendant les prisonniers. Ces camarades sont jeunes, actifs, créatifs et d’extrême gauche. Ils sont à l’origine du film « Fedayin » sur Georges Ibrahim Abdallah. Ils participent à toutes les manifs antiracistes, y compris à Toulouse, sur l’anniversaire de la tuerie perpétrée par Mohamed Merah. Le prétexte avancé par Darmanin est ahurissant. Ils sont accusés de dire qu’Israël est un pays d’apartheid, ce qui, pour Darmanin, ne peut provoquer que haine et discrimination. Il a mal lu l’avis de la Cour Européenne. À quand la dissolution d’Amnesty ?

Il faut mesurer le pas franchi avec cette dissolution. Il y a eu les manifs nassées, la violence extrême contre les gilets jaunes et à présent l’interdiction de fait d’exprimer ses idées contre le sionisme et l’apartheid.

Le tout avec la manipulation éhontée de l’antisémitisme.

On a le droit en France (comme Zemmour) de dire que Pétain voulait sauver les Juifs, mais on n’a pas le droit de dénoncer l’apartheid. Il ne faut pas laisser faire !

Pierre Stambul

(article paru dans le numéro d’avril 2022 de « Courant Alternatif »)

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