Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature du 23 décembre 2015.
Pas de trêve pour les constitutionnalistes et les défenseurs des libertés : ce 23 décembre 2015, un projet de loi constitutionnelle dite « de protection de la Nation » a été présenté en conseil des ministres.
La loi suprême est décidément maniée avec la plus grande légèreté : d’abord le Premier ministre recommande sans frémir le contournement du contrôle de constitutionnalité de la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’état d’urgence, maintenant le gouvernement veut modifier la loi fondamentale toutes affaires cessantes.
A l’exact inverse de ce qu’exigerait la protection de la Nation, il choisit d’ébranler les équilibres de la constitution et de restreindre les garanties dont elle entoure les atteintes aux libertés.
Prétendant garantir l’immuabilité des conditions d’ouverture de l’état d’urgence ce projet dissimule mal la volonté première de surmonter l’inconstitutionnalité des mesures exceptionnelles qui viendront s’ajouter à celles que la loi de 1955 autorise déjà. Le conseil d’État n’a pourtant pas cillé, donnant acte au gouvernement que la révision constitutionnelle permettrait « au législateur de prévoir des mesures renforcées », donc toujours plus attentatoires aux libertés : l’aveu qu’il ne pourrait en être ainsi dans le cadre constitutionnel actuel est explicite. Contrôles d’identité administratifs sans limites, extension des visites des véhicules ne seront que la face émergée de l’iceberg. Les saisies administratives, la retenue administrative le temps d’une mesure mais aussi, puisque c’est déjà une mesure de police des étrangers en situation irrégulière, la rétention administrative, autre nom de l’enfermement préventif, pourraient trouver un fondement constitutionnel.
Ainsi la constitutionnalisation ne se borne-t-elle pas à consolider l’assise de l’état d’urgence. Elle vise encore moins à encadrer ce régime exceptionnel. Elle annonce au contraire une véritable fuite en avant, confiant des pouvoirs exorbitants à l’exécutif sur la base d’un risque vraisemblable de trouble à l’ordre public, même non terroriste et même non illégal, fondé sur un simple soupçon. Le nouvel article 36-1 de la constitution ouvrira la spirale de l’exception : celle qui conduit à abandonner aux mains des préfets et du ministre de l’intérieur la large panoplie des mesures de police administrative.
Les décisions rendues par le conseil d’Etat et le conseil constitutionnel sur les assignations à résidence laissent peu d’espoir quant à la capacité des juridictions administratives à nous protéger de l’arbitraire : dès que le « péril imminent » du terrorisme est brandi toutes les mesures de police administrative sont mécaniquement considérées comme nécessaires et proportionnées au trouble à l’ordre public
Pour défendre l’inacceptable, l’argumentaire se veut implacable : c’est « pour combattre efficacement le terrorisme » qu’il faudrait permettre au législateur de doter l’État de ces pouvoirs exorbitants et les soustraire au contrôle du juge judiciaire. La présentation est caricaturale : elle fantasme une autorité judiciaire impuissante et ignore à dessein les pouvoirs hautement dérogatoires que lui accorde le droit pénal antiterroriste. Surtout, elle occulte les dérives et les abus que contiennent en germe des mesures préventives prises sans contrôle juridictionnel préalable et fondées non sur une infraction déterminée ou déterminable mais sur le critère dangereusement flou d’un « comportement suspect ».
Exclusivement concentré sur un projet politicien de recomposition de sa majorité dont il veut saisir l’opportunité, l’exécutif choisit enfin, à l’issue d’un suspens pitoyable que la constitution ne mérite pas, de donner des gages à l’autre bord et ce, par la plus honteuse des dispositions, celle qui rompt définitivement le principe d’égalité républicaine en réservant un sort particulier aux bi-nationaux.
Le gouvernement doit sortir de l’état de sidération qui le conduit à brader l’Etat de droit : introduire l’état d’urgence dans la constitution, c’est assurément « saper les fondements de la démocratie » au prétexte de la défendre et oublier l’avertissement donné, dès le 6 septembre 1978, par la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui enjoignait les États à ne « pas prendre, au nom de la lutte contre…le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée »