PRISONNIERS POLITIQUES PALESTINIENS : INTERVIEW EXCLUSIVE DE SALAH HAMOURI PAR RICHARD WAGMAN (UJFP)

Propos recueillis par Richard Wagman le 6/05/12

Fin 2011, dans le cadre d’un échange contre le prisonnier franco-israélien Gilad Shalit, Salah Hamouri est libéré avec un millier d’autres prisonniers politiques. Ce jeune franco-palestinien a passé sept ans dans les geôles israéliennes pour un dossier vide, condamné par un tribunal militaire après trois années de détention administrative. Il a accepté d’accorder une interview exclusive à l’UJFP (Union juive française pour la paix).

Richard Wagman : Tu as été libéré en décembre 2011 et tu es en France depuis avril 2012. Quelles sont tes impressions de la tournée que tu fais jusqu’à maintenant ?

Salah Hamouri : Mon impression est extraordinaire. C’est une joie d’être avec les gens qu’au début je ne connaissais pas. Je profite de l’occasion pour les remercier. J’apprécie la chaleur de l’accueil que j’ai reçu en France, c’est très important pour moi. Je savais qu’il y avait en France un mouvement de solidarité pendant que j’étais en prison. Mais maintenant que je suis avec ces gens je les remercie. Je vois ce qui se passe. Alors oui, ça fait très plaisir.

R.W. : Si on peut parler d’un sujet d’actualité qui touche les prisonniers palestiniens, une grève de la faim a été déclenchée le 17 avril, avec plus de 1 600 prisonniers qui participent à ce mouvement. Est-ce que c’était difficile à organiser ? J’imagine que c’est difficile à subir. Où en n est maintenant cette grève de la faim ?

S. H. : Il a fallu un minimum de deux ou trois ans pour préparer cette grève parce qu’il y a plus de 20 prisons en Israël, isolées les unes des autres. La grève de la faim c’est un ultime recours des prisonniers pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de détention. Aujourd’hui, après 20 jours de grève de la faim, une responsabilité historique repose sur les épaules de tous ceux qui se mobilisent pour les prisonniers et pour la Palestine. Après 20 jours de refus de s’alimenter, tous les moyens sont utilisés par l’administration pénitentiaire pour casser la volonté des grévistes. J’espère bien que ce mouvement portera ses fruits et que les prisonniers arriveront à obtenir la satisfaction de leurs revendications. En clair, mettre fin à l’isolement total, mettre fin à la détention administrative, accorder les droits de visite aux prisonniers de Gaza et plus généralement respecter les droits humains, dont celui de recevoir des livres en prison et de continuer ses études.

R.W. : En parlant des droits humains, tu viens de nous faire une petite liste. Il s’agit de la violation des droits. Pour l’essentiel les prisonniers ont été arrêts dans les territoires occupés mais détenus en Israël, ce qui va à l’encontre de l’Article 49 de la 4ème Convention de Genève. Est-ce qu’il y a encore d’autres exemples de la violation des droits de prisonniers qu’on n’a pas encore abordés ?

S. H. : Déjà il y a 123 prisonniers qui ont dépassé 25 ans de détention. Ces derniers n’ont pas été libérés par les accords d’Oslo. Israël a transféré toutes ses prisons de la Cisjordanie en Israël, derrière la Ligne Verte, qui est totalement contre la loi internationale. Normalement, lorsqu’on signe un accord de paix, tous les prisonniers politiques doivent être libérés mais Israël n’a pas appliqué cette règle. Il a construit, à l’intérieur de ses propres frontières, de nouvelles prisons pour les détenus politiques provenant des territoires occupés. Il y a aussi la détention administrative, une disposition qui date du mandat britannique sur la Palestine et qu’Israël applique aujourd’hui contre des Palestiniens. Elle prévoit une peine de réclusion de six mois, renouvelable, sans procès, sans avocat, sans jugement, imposée seulement par ordre militaire donné par le responsable de l’armée israélienne dans chaque ville palestinienne.

R.W. : Tu as été arrêté sous le régime de la détention administrative ?

S. H. : J’ai été arrêté sous le régime de la détention administrative en février 2004.

R.W. : Ensuite tu as été condamné par un tribunal militaire, n’est-ce pas ?

S. H. : Après, au bout de trois ans, j’ai été condamné par un tribunal militaire.

R.W. : La question des prisonniers touche une partie de l’élite palestinienne. Il y a des universitaires, des députés et même des ministres qui sont en prison. À ton avis, est-ce une tentative de décapiter la direction palestinienne ?

S. H. : L’emprisonnement des Palestiniens est un moyen de destruction de la société palestinienne. Ce n’est pas un moyen de défendre la sécurité d’Israël. Les autorités de ce pays ont envoyé en prison des parlementaires, des dirigeants des partis politiques, des universitaires, des maîtres d’école. Toutes les tranches de la société palestiniennes ont été affectées par l’incarcération. Il y a aussi les enfants dès l’âge de 9 ou 10 ans qui se trouvent derrière des barreaux.

R.W. : Si on parle des parlementaires et des dirigeants politiques en prison, à ta connaissance, est-ce un cas unique dans le monde aujourd’hui ?

S. H. : Oui, Israël ne respecte rien. Ni la démocratie, ni le choix démocratique du peuple palestinien. En 2006, les élections ont été supervisées par des observateurs de l’Union européenne. Mais les résultats n’ont été acceptés ni par l’Europe, ni par Israël. Vingt pourcent (20%) de la population en Palestine est déjà passée par les prisons.

R.W. : La plupart des prisonniers politiques palestiniens viennent des territoires occupés mais un certain nombre sont des Palestiniens de l’intérieur, citoyens d’Israël. Sont-ils plus nombreux qu’avant d’être incarcérés, les Palestiniens de 48 ?

S. H. : Parmi les Palestiniens de 48 il y a 150 prisonniers. Il y en a 16 d’entre eux qui ont dépassé 25 ans en prison. Et il y a plusieurs d’entre eux qui ont été condamné à la prison à vie. De plus, il y a un Juif palestinien de la Cisjordanie qui a été jugé également.

R.W. : Est-ce que tu peux nous parler un peu de son cas ?

S. H. : Il s’appelle Nader Samri. Il fait partie de ces Juifs qui ont refusé d’être du côté des Israéliens. Ils sont des Palestiniens d’origine qui sont restés à Naplouse. Ca fait maintenant 10 ans qu’il est en prison. Il a été jugé six fois.

R.W. : Je pense qu’il fait partie de la communauté des Samaritains.

S. H. : Oui, il fait partie de la communauté juive des Samaritains à Naplouse.

R.W. : Il s’agit donc de Juifs qui sont de culture palestinienne, citoyens palestiniens, qui étaient là avant la création de l’État d’Israël. C’est un cas intéressant. Par ailleurs, ici en France, le CRIF t’accuse d’avoir été impliqué dans un complot terroriste. En revanche, il y a des militants de l’UJFP qui t’accompagnent à chaque étape de ta tournée. As-tu pu remarquer le regard des Juifs sur la question des prisonniers et, plus largement, sur la question des droits humains en Palestine ?

S. H. : Les prisonniers, comme toute la société palestinienne, font très bien la différence entre d’une part l’État, l’occupation et d’autre par les Juifs. Parce qu’il y a une différence. On ne considère pas chaque Juif dans le monde comme Israélien. On fait bien la différence entre les sionistes et les Juifs qui sont aux côtés du peuple palestinien. Le CRIF est un mouvement qui soutient Israël de tout son corps. C’est un mouvement – on peut dire un lobby – israélien ici en France. Je sais qu’ils ne sont pas nombreux. Malheureusement, ils sont soutenus par la force.

R.W. : Le CRIF représente entre 15 et 20% des Juifs français, selon le nombre de familles membres d’associations affiliées à cette structure. Pour notre part, nous faisons partie des 80 à 85% des Juifs en France qui ne sont pas membres du CRIF. En Israël, est-ce que tu as remarqué ce même clivage ? Y a-t-il des Juifs qui dénoncent les prisonniers palestiniens comme terroristes et d’autres qui les soutiennent, qui réclament leur libération ?

S. H. : En Israël, il y a le Parti communiste, il y a aussi des partis arabes – Balad et d’autres – qui se trouvent en Israël. Il y a quelques associations de la société civile qui soutiennent les droits des Palestiniens. Oui, on sait qu’il y a un tel mouvement en Israël.

R.W. : Lorsque tu as été arrêté, est-ce que tu avais un engagement politique en Palestine comme militant ?

S. H. : Je crois bien que tous les Palestiniens – y compris moi – ont un engagement politique sous l’occupation. C’est la défense de notre patrie. Et je crois bien que d’être militant, ce n’est pas un chef d’accusation. Dans ce sens oui, tous les Palestiniens sont des militants. C’est comme pour un étudiant d’ici d’être membre de l’UNEF, par exemple.

R.W. : Bien sûr, c’est un droit que de militer, en France, en Palestine et ailleurs. Le nombre de prisonniers politiques incarcérés depuis des années, c’est assez impressionnant. Quelle est l’ampleur de ce phénomène dans la société palestinienne ? Est-ce une question secondaire ou une question centrale ? Quel est l’impact et l’importance qu’on accorde à la question des prisonniers dans le mouvement national palestinien ?

S. H. : Presque chaque famille palestinienne a connu l’emprisonnement d’un de ses membres. Depuis 1967 et jusqu’à aujourd’hui, il y a eu 750 000 prisonniers palestiniens. C’est-à-dire chaque famille a vécu une expérience d’incarcération. Cette question a la même ampleur que la Nakba. Elle a contribué à construire l’histoire du peuple palestinien. Il y a quelque chose dans la société palestinienne qu’on appelle la littérature des prisons. Il y a donc une littérature qui sort des geôles. Alors je crois bien que le sujet de l’emprisonnement des Palestiniens a une grande influence sur la société. Il y a aussi une grande mobilisation au sujet des prisonniers. Quand on parle d’un prisonnier on parle de lui, de sa famille, de ses proches. Par exemple il y avait 13 000 Palestiniens en prison en 2006. Si on multiplie ce chiffre par cinq – le nombre moyen des membres de la famille proche – tous ces gens sont devenus prisonniers par procuration.

R.W. : On parle essentiellement des prisonniers qui viennent des territoires occupés. Si on regarde la population de ces territoires, c’est à dire la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza, il y a environ 4 million de Palestiniens. Alors 750 000 sur 4 millions, ce n’est pas loin d’un Palestinien sur cinq qui a passé par la case prison. C’est énorme ! Si on fait une extrapolation par rapport à la population française, cela fait plus de 10 millions de Français qui auraient été emprisonnés ! Pendant que tu as purgé ta peine, le Printemps arabe a éclaté en Tunisie, en Egypte et dans d’autres pays du Monde Arabe. Penses-tu qu’il y a un espoir de changement pour les Palestiniens avec le souffle de liberté du Printemps arabe ?

S. H. : Personnellement je crois bien que le mouvement patriotique ou national palestinien – afin de continuer son chemin de combat, de lutte – a besoin d’un environnement démocratique dans les pays arabes. Je crois bien qu’après la défaite de toutes ces dictatures, on verra bien l’espoir au bout de ce tunnel, le tunnel du Printemps arabe. Et je crois bien qu’il va positivement influer sur l’issue de la cause palestinienne.

R.W. : Justement, il y a des tunnels qui vont de l’Egypte jusqu’à Gaza pour acheminer du matériel qu’Israël ne laisse pas importer à cause du blocus. Est-ce que le Printemps arabe, qui a vu la chute de Moubarak, peut également passer par le tunnel de l’Egypte jusqu’en Palestine ? (rires)

S. H. : Le Printemps arabe est passé par des ponts ! Il est arrivé en Cisjordanie, à Jérusalem. On l’a bien observé même dans les prisons, on a regardé ces changements marqués par la chute des dictateurs qui ont défendu leurs intérêts, ceux des « élites », au dépends de la défense de la Palestine. On sait bien qu’ils n’ont jamais défendu la Palestine. Alors j’espère bien que ce Printemps arabe apportera des éléments nouveaux positifs pour la cause palestinienne.

R.W. : Quel effet ont ces changements sur l’unification palestinienne ?

S. H. : On voit de plus en plus des avances vers la réconciliation interpalestinienne, surtout depuis la chute du régime de Moubarak. La nouvelle Egypte est en train de jouer un rôle pour réconcilier les Palestiniens. On ne peut pas avancer vers notre but sans être unis.

R.W. : La Syrie est actuellement à feu et à sang sous le régime de Bachar Al-Assad. Le soulèvement en Syrie, a-t-il un impact particulier sur les Palestiniens, dans la mesure où on touche ici une autre frontière, celle du Plateau du Golan, un territoire qui fait partie de la Syrie et qui est occupé par Israël ? En sachant qu’il y a des réfugiés palestiniens en Syrie, ce soulèvement a-t-il un impact particulier pour les Palestiniens de l’intérieur et pour le mouvement national palestinien ?

S. H. : On sait bien que tous les partis palestiniens sont accueillis en Syrie. En ce moment la situation n’est pas normale dans ce pays. Mais je ne crois pas qu’il y aura quelque chose de spécial concernant le Plateau du Golan, sous l’effet de ce qui se passe en Syrie. C’est un conflit intersyrien. Je ne crois pas qu’il va influencer la situation pour la population du Plateau du Golan.

R.W. : As-tu un message particulier pour les membres de l’UJFP ?

S. H. : Tout d’abord j’aimerais les remercier pour le rôle qu’ils jouent, un rôle qui est difficile pour eux. Parce que je sais bien qu’Israël, un État qui pratique l’occupation, essaie toujours de les manipuler. Je les remercie pour ce rôle courageux, qui est aussi historique pour eux, parce qu’on sait bien que pour cet État, chaque Juif est considéré comme Israélien, et donc comme occupant. En les remerciant, j’espère bien qu’on continuera à travailler ensemble sur cette mobilisation en France, jusqu’à la réalisation des objectifs du mouvement palestinien.

R.W. : Il faut se rappeler que les deux tiers de la population juive mondiale ne sont pas israéliens et que le tiers des Juifs dans le monde qui habitent en Israël n’y est pas pour grand-chose, dans la mesure où la plupart d’entre eux sont nés là-bas. On ne choisit pas ses options politiques au moment de sa naissance. Ils ne sont donc pas forcément tous des suppôts du régime au pouvoir. Voilà pour la population juive. Détenant la double nationalité franco-palestinienne, tu sais qu’il y a des associations dans le mouvement de solidarité en France, au-delà de l’UJFP, qui sont nos partenaires. Au cours de ta tournée, tu as pu rencontrer des militants avec une certaine conscience politique. Mais en dehors de l’appréciation politique de la question palestinienne, il y a des réactions tout simplement humaines que tu as pu constater parmi celles de simples citoyens. Est-ce que tu vois une mobilisation, une participation plus large, au-delà de ce qui relève de l’engagement politique proprement dit ?

S. H. : C’est pareil. Le sentiment provient de la connaissance politique. Des gens, humainement, sont mobilisés pour ma cause et aussi politiquement. C’est de la conscience politique que vient la légitimité de cette mobilisation. Ces gens qui sont mobilisés sont de plus en plus nombreux. Ils veulent continuer et c’est bien une orientation politique, et humaine bien sûr, qui les fait bouger.

R.W. : Nous réalisons cet entretien dans la soirée du 6 mai, le deuxième tour des élections présidentielles françaises. On vient d’apprendre qu’il y a un nouveau Président de la République. Dans quelques semaines il y aura un nouveau gouvernement, suite aux législatives. Dans ce contexte politique qui semble tourner la page, est-ce que tu as un message, tout d’abord pour le mouvement de solidarité avec la Palestine en France et puisque tu es Franco-palestinien, pour le peuple français dans son ensemble ?

S. H. : Moi, je dis toujours que le mouvement de solidarité ne joue pas seulement un rôle pour la Palestine. Il joue un rôle sur le plan politique interfrançais pour changer la politique de la France, en effectuant un retour vers les valeurs de la République. J’espère bien que chacun qui va voter pensera aux vraies valeurs républicaines, celles qui soutiennent les droits humains et les droits légaux du peuple palestinien.