Présidentielle en France : en difficulté face à Le Pen, Macron s’en prend aux musulmans

mee

Vendredi 26 février 2021

Marine Le Pen peut sabrer le champagne. Jamais président sous la Cinquième République n’a autant épousé les idées d’extrême droite qu’Emmanuel Macron. Ni autant porté atteinte à la liberté de conscience, en même temps qu’il piétine la liberté d’expression.
Le président Macron rencontre Marine Lepen – 2019

Le président français Emmanuel Macron (à gauche) rencontre Marine Le Pen, leader du Rassemblement national (RN), parti d’extrême droite français, au palais de l’Élysée, à Paris, le 6 février 2019 (AFP)

Mardi 16 février, les députés ont adopté le projet de loi prétendument « confortant le respect des principes de la République ». En réalité, il s’agit bien plus d’institutionnaliser la criminalisation des musulmans et de graver dans le marbre la mainmise de l’État sur le culte musulman. 

Nous voilà bien loin du candidat Macron, rassembleur et rassurant, qui six jours avant la présidentielle de 2017, tenait tant à signifier sa nette différence d’avec sa principale adversaire Marine Le Pen qu’à se démarquer de celui qui fut son Premier ministre, Manuel Valls : sous sa présidence, les musulmans seraient à l’abri des déclarations outrancières et autres oukases islamophobes de ces dernières années.

Lui président, il ne donnerait pas raison à « nos assaillants [qui] demandent la guerre civile ». Lui président, il n’opposerait pas Français et musulmans. Lui président, il n’insulterait pas « les Français qui croient à l’islam ».

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Hier rassurant, Emmanuel Macron a aujourd’hui pris le parti de braconner sur les terres du Rassemblement national (RN) et, plus grave encore, de dépasser Marine Le Pen par la droite : parce que notre pays a été frappé par les terroristes de Daech, il faut mater les musulmans et mettre à l’amende l’islam en France.

À ses ministres Gérald Darmanin, Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer de mettre cela en musique et, auparavant, de faire adhérer une large majorité de l’opinion publique à ce postulat, qui inscrit l’action du président dans l’amalgame populiste établissant un continuum entre les terroristes et les musulmans.

Traquer les musulmans, pas les terroristes

Extrême prudence pour les uns, indécision pour les autres, les prises de position du locataire de l’Élysée sur les questions autour de l’islam et de la laïcité étaient attendues depuis le début du quinquennat. L’attentat de la préfecture de police de Paris en octobre 2019 et l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty un an après ont précipité sa parole… et sa radicalisation. 

Hier rassurant, Macron a aujourd’hui pris le parti de braconner sur les terres du Rassemblement national […] : parce que notre pays a été frappé par les terroristes de Daech, il faut mater les musulmans et mettre à l’amende l’islam en France

Il ne sera dès lors plus question de traquer les terroristes, mais les musulmans : pour la plus grande satisfaction de la frange macroniste à l’œuvre pour imposer au plus haut sommet de l’État les thèses islamophobes du Printemps républicain, l’« illiberal » Macron remisera son « #ensemble » de mai 2017 pour un « contre ».

Le discours prononcé aux Mureaux le 2 octobre dernier est à cet égard particulièrement éclairant. Tenu deux semaines après l’effroyable assassinat qui a coûté la vie à Samuel Paty, il devait être consacré aux « séparatismes ». Il ne sera en réalité question que d’islam, d’islamisme, d’islam radical, d’islam politique, etc., comme l’a donné à voir sur Twitter le compte @caissesdegreve dans un montage relevant près de 70 occurrences en rapport avec l’islam.

Capture d’écran de l’émission « Quotidien » pointant les nombreuses occurrences de termes en rapport avec l’islam dans un récent discours du président Macron
Montage pointant les nombreuses occurrences de termes en rapport avec l’islam dans un récent discours du président Macron (Twitter/@caissesdegreve)

Les attaques survenues en France ces dernières années n’ont été préparées ni dans les mosquées ni dans les associations musulmanes ? Qu’à cela ne tienne ! Il faudra le faire accroire afin de préparer l’opinion publique au vote de la future loi.

Admettre que l’idéologie des frères Kouachi, des terroristes du Bataclan, de Nice ou de Conflans-Sainte-Honorine ait plus à voir avec celle des terroristes de Christchurch (Nouvelle-Zélande), de Hanau (Allemagne) et d’Utøya (Norvège) qu’avec la mosquée du coin n’est pas assez vendeur.

Cela a en outre le double inconvénient de laisser le champ libre à Marine Le Pen et d’obliger le pouvoir à reconnaître sinon ses manquements, à tout le moins sa grande difficulté à empêcher les attentats. Pas question de s’interroger du reste sur l’antiterrorisme, ses faiblesses, voire ses failles, encore moins sur les moyens qui (ne) lui sont (pas) octroyés. Emmanuel Macron a besoin du « problème musulman ».

De la nécessité du « problème musulman »

Il a beau s’en défendre, le président de la République a fini par rejoindre le camp de ceux qui « défendent une vision revancharde de la laïcité. Une laïcité qui, avant tout, pose des interdits, lesquels, au passage, se manifestent surtout à l’encontre d’une religion en particulier, […] aujourd’hui l’islam », selon ses propres mots.

Le candidat de la « laïcité ouverte » n’est plus, place au président de la « laïcité de combat ».

Pour autant, il lui fallait faire mine de ne pas s’en prendre aux musulmans : le terme « séparatisme » était tout trouvé. Il fallait toutefois éviter que l’opinion publique fasse l’amalgame avec les séparatistes séculiers (bretons, basques ou encore corses), fussent-ils adeptes du terrorisme. Marlène Schiappa exigera en direct à la radio qu’« on laisse les Corses tranquilles ».

Là encore, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et sa collègue en charge de la citoyenneté multiplieront les sorties médiatiques pour faire comprendre aux Français que ce sont bien les musulmans qui sont concernés, pour dire combien il était urgent de lutter contre leur « séparatisme ».

La France découvrira alors une liste à la Prévert de « pratiques communautaristes » et « anti-républicaines », « d’atteintes à la laïcité » ; avec systématiquement en filigrane les musulmans – bien que les pratiques incriminées soient observées dans d’autres religions ou communautés. De la plaquette de l’ordre des médecins évoquant le recours aux certificats de virginité dans une communauté religieuse autre que celle des musulmans à la pratique du mouchoir mise à l’écran dans des reportages diffusés sur des chaînes nationales, en passant par ce tribunal religieux qui a pignon sur rue en plein Paris ou l’héritage exclusivement réservé aux garçons, les exemples sont pourtant légion.

Macron, sparring-partner de Le Pen

Cibler les musulmans ? Marine Le Pen a reçu le message présidentiel 5/5. Fin janvier, le Rassemblement national proposait un « contre-projet » au projet de loi du gouvernement, intitulé « Combattre les idéologies islamistes ». Fourre-tout contre fourre-tout.

Faisant fi du principe de légalité et de précision de la norme, le RN ne définit pas ce que sont ces « idéologies islamistes ». Le législateur comme les Français se contenteront de « caractéristiques » aux contours flous qui pourraient être aisément applicables aux zadistes du Triangle de Gonesse ou aux Gilets jaunes.

Le glissement de la lutte contre le terrorisme à une loi générale d’exception contre les musulmans aura permis à la cheffe de file d’un parti d’extrême droite de mettre à nu la dérive autoritaire d’un président à bout de souffle

La manœuvre est grossière. Elle permet malgré tout à Marine Le Pen d’envoyer un double message aux électeurs : avec cette loi, le président de la République valide et fait siennes les thèses défendues depuis des décennies d’abord par le Front national, puis par le Rassemblement national ; la volte-face populiste du macronisme ne convaincra pas, car « les gens préfèreront toujours l’original à la copie », comme le dira en 2007 en pleine campagne présidentielle, alors candidat, Jean-Marie Le Pen.

Le contre-projet du RN n’est évidemment qu’affichage politique. Il fonctionne pourtant d’autant plus efficacement qu’il a été rendu possible grâce à la campagne de communication menée depuis plusieurs mois par le trio Blanquer, Darmanin, Schiappa, dont le débat, jeudi 11 février sur France 2, entre Marine Le Pen et le ministre de l’Intérieur est à ce jour le point d’orgue.

Missionné par l’Élysée afin de démonétiser la candidate à la présidentielle 2022, le locataire de Beauvau a reproché à son interlocutrice d’être « un peu branlante, un peu molle », « pas assez dure », car elle oserait affirmer que « l’islam n’est même pas un problème ». L’islam, pas l’islamisme.

Et Marine Le Pen d’acculer Gérald Darmanin encore un peu plus à sa droite : « Je vous confirme que je n’entends pas m’attaquer à l’islam, qui est une religion comme une autre. Je souhaite conserver une liberté totale d’organisation et une liberté totale de culte », riposte la présidente du RN.

Le macronisme s’est-il, au moins sur les questions autour de l’islam, dissous dans l’extrême droite ? Le choix du ministre de l’Intérieur de donner suite, quinze jours après ses propos face à Marine Le Pen, à l’invitation d’une chaîne d’information qui a fait de la haine une véritable stratégie pour y chercher les satisfécits d’un polémiste raciste, condamné pénalement à plusieurs reprises par la justice pour provocation à la haine raciale pour ses propos contre les musulmans, constitue, sinon une confirmation, à tout le moins un élément de réponse.

Ou comment le glissement de la lutte contre le terrorisme à une loi générale d’exception contre les musulmans aura permis de mettre à nu la dérive autoritaire d’un président à bout de souffle.