Le 30 avril 2025, l’Assemblée nationale examinera en commission des affaires culturelles, pour voter les 6 et 7 mai 2025, une proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. L’Union Juive pour la Paix, des juristes et des universitaires, réagissent par cette tribune.
Le 20 février 2025, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. C’est à la lecture de son rapport que ce texte de loi fait craindre des atteintes à la liberté d’expression, en entretenant, tout en le dénonçant, une assignation d’étudiants juifs à l’État d’Israël, dans un contexte de violations du droit international par l’État d’Israël.
La grande innovation de ce texte consiste en l’instauration d’une “section disciplinaire commune aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel” par région académique, directement sous le contrôle du recteur. Pour les auteurs du texte de loi, il s’agit de remédier à un écart entre les nombres de signalements et de poursuites pénales pour actes antisémites, qui sont aujourd’hui très faibles, et ceux produits de l’étude de l’Union des Étudiants juifs de France (UEJF) faisant état d“un antisémitisme d’atmosphère”.
Les sénateurs Lévi et Fialaire, à l’origine de la proposition, recommandent fortement dans le rapport l’utilisation de la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’International Holocauste Remembrance Alliance (IHRA) aux acteurs universitaires qui seraient en charge de ce travail diciplinaire. L’objectif est de lutter contre l’antisémitisme dans “sa forme moderne et renouvelée, en ce qu’elle englobe les manifestations de haine à l’égard de l’État d’Israël justifiées par la seule perception de ce dernier comme collectivité juive”, les sénateurs reprenant à leur compte la déclinaison en exemples de la définition de l’IHRA.
Le recours à ces éléments définitionnels viendrait gravement restreindre la liberté d’expression au sein des universités, en assimilant la critique des politiques de l’État d’Israël à une forme de racisme, l’antisémitisme.
Cette assimilation est largement critiquée depuis de nombreuses années. Les rapporteuses spéciales des Nations Unies, E. T. Achiume et I. Khan s’en inquiétaient dans des rapports publiés respectivement le 7 octobre 2022 et le 23 mars 2024. Caractérisée comme contraire à la liberté d’expression dans ce dernier rapport, I. Khan soulignait sa dangerosité eu égard aux “accusations injustifiées” auxquelles elle peut donner lieu, aux “atteintes à la réputation d’autrui” et au détournement de “l’attention de la lutte contre les causes réelles de l’antisémitisme”.
En parallèle de cette proposition de loi, d’autres textes ont été déposés au parlement à l’automne 2024 : la proposition de loi de C. Yadan, par exemple, suggère la création d’un délit de provocation à la destruction ou à la négation d’un État, et celle de S. Le Rudulier cherche à protéger spécifiquement l’État d’Israël avec un délit dit de “contestation antisioniste ».
Il convient de rappeler le contexte qui entoure cette inflation législative. Par trois ordonnances prises en 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a dit le risque de génocide à Gaza ; elle a aussi rappelé aux États parties à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qu’ils devaient tout mettre en œuvre pour prévenir les actes de génocide. Cette obligation pèse sur tous les organes de l’État mais aussi sur les universités. Dans son avis du 19 juillet 2024, la CIJ a aussi rappelé que les États ne devaient pas contribuer à l’occupation illicite du territoire palestinien.
Compte tenu de leur rôle social et de leurs responsabilités, les universités devraient dûment veiller à ce que leurs activités académiques et de recherche ne soient pas susceptibles d’avoir des impacts négatifs sur le respect des droits humains et du droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. En particulier, les universités doivent veiller à ne pas contribuer, même indirectement, à des violations du droit international telles qu’elles sont commises à grande échelle par Israël à Gaza et en Cisjordanie, dans le cadre de sa politique d’occupation et de colonisation.
Les étudiants et le personnel académique qui demandent la rupture ou la suspension des partenariats des universités françaises avec les universités et les entreprises israéliennes (M. Wind, 2024) contribuant à la politique israélienne dénoncée, s’inscrivent dans cette démarche.
Pourtant, face aux mobilisations universitaires en soutien à la Palestine, le gouvernement a encouragé la répression de ces mouvements par l’intermédiaire des présidents d’universités, et demain, si le texte est voté, par l’intermédiaire des recteurs et des nouvelles sections disciplinaires inter-établissements. Les universités doivent garantir la liberté d’expression de leurs étudiants et leur droit de participer à des actions militantes s’inscrivant dans un débat public d’intérêt général. De même, la lutte contre l’antisémitisme doit être traitée avec sérieux et justesse. L’amalgame entre les Juifs et l’Etat d’Israël constitue une menace pour la sécurité des Juifs dans le monde.
En procédure, l’examen du texte des sénateurs Lévi et Fialaire sera fait en commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale le 30 avril, puis il sera voté en plénière les 6 et 7 mai 2025.
Selon les experts indépendants de l’ONU, il y a déjà un an, plus de 5479 étudiants, 261 enseignants et 95 professeurs d’université [avaient] été tués à Gaza, et plus de 7819 étudiants et 756 enseignants blessés (communiqué de presse du 18 avril 2024).
Un an plus tard, au-delà des mots sionisme et antisionisme, il s’agit de notre droit, en démocratie, de se mobiliser pour la liberté des autres, d’exiger la protection de toutes et tous par le droit international et de s’opposer à toute hiérarchisation des différentes formes de racisme et formes de déshumanisation. Nous défendons la protection de notre liberté de dénoncer les atteintes à l’humanité et à la vie de tous les Palestiniens.
Voici le lien pour prendre connaissance de la tribune, la signer et la partager.
En 48h, elle a reçu plus de 900 signatures :
Fayman Sonia, UJFP (Union juive française pour la paix)
Zenati Afifa, Centre Max Weber, ENS de Lyon
Dubuisson François, Professeur, Université libre de Bruxelles
Brauman Rony, Ex-président de Médecin sans frontières
Orès Béatrice, Porte-parole UJFP
Glowczewski Barbara, Directrice de recherche Emérite, CNRS
Hornberg Géraldine, UJFP
Ben Hounet Yazid Anthropologue, CNRS
Alliez Eric, Professeur d’université, Paris 8
Balibar Etienne, Professeur honoraire, Université de Paris-Nanterre
Roux Sophie, Professeure des universités, ENS
Bontemps Véronique, Chargée de recherche, CNRS
Ferron Benjamin, Sociologue, UPEC
Tourme-Jouannet Emmanuelle, Ecole de droit Sciences Po Paris
Sbeih Sbeih, Lyon 2
Sibony Michèle, UJFP
Lebaron Frédéric, Sociologue, ENS Paris-Saclay
Bianco Giuseppe, Professeur, Université de Venise
Kréfa Abir, Maîtresse de conférence, Université Lyon 2
Thin Daniel, Professeur honoraire des universités
Ferjani Mohamed-Cherif, Professeur honoraire de l’université Lyon2
Dayan-Herzbrun Sonia, Sociologue, Professeure émérite des Universités
Apter Emily, New York University
Margenstern Maurice, Professeur émérite, Université de Lorraine
Hassine Jonathan, Sciences Po Aix, ATER en histoire
Durand-Richard Marie-José, Maître de conférence honoraire Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis
Porteilla Raphaël, Universitaire
Abensour Judith, Enseignante en théorie des arts et du cinéma, Ensad (école supérieure des arts décoratifs) / PSL
Benkhaldoun Fayssal, Professeur Des Universités, Université Sorbonne Paris Nord
Vidal Renaud, Chercheur
Peña Torres Francisco, Enseignant, journaliste
Bessis Sophie, Historienne
Monchatre Sylvie, Université Lumière Lyon2, Sociologue
Verdeil Eric, Professeur des Universités, Sciences Po
Palheta Ugo, Université de Lille, sociologue, maître de conférences
Suzor-Weiner Annick, Professeure émérite
Clavel Gilbert, Sociologue, président de l’associaiton de voyages CEVIED
Nicodeme Pierre, CNRS honoraire
Robert Diane, UAR 3136 CJB, UMR 7533 LADYSS, Géographe, Chercheuse postdoctorale
Lordon Frédéric, Chercheur
Navarro Fabien, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Maître de conférences
Verdeil Chantal, Inalco, Preofesseure des Universités
Bonnefoy Laurent, Chercheur au CNRS
Gaio Raffaella, Professeure
Cifoletti Giovanna, EHESS
Mouhib Leila, Maîtresse de conférences
Mahjoubi Nadia , Étudiante en droit
Madouni Jihane, Maitre de conférences
Laurens Henry, Collège de France Professeur
Latte Abdallah Stéphanie, Directrice de recherche au CNRS (CéSor-EHESS)
Tadié Benoît, Professeur, Université Paris Nanterre
Volovitch Michel, Professeur émérite, ENS Paris
Abbes Ahmed, Mathématicien, directeur de recherche à Paris
Deline Philip, Maitre de conférences émérite en géographie
Nagels Carla, Professeure de criminologie à l’ULB
Fouque Iris, Union Étudiante Orléans, UJFP, élue étudiante en conseil d’administration à l’Université d’Orléans
Fourniau Mathys, Étudiant en double licence droit histoire, élu au conseil d’administration du CROUS Orléans-Tours
Moreau Simon, Élu CA Université d’Orléans
Hermann Denis, Chargé de recherche au CNRS et diirecteur du CeRMI (Centre de Recherche sur le Monde Iranien)
Traverso Enzo, Historien, Professeur universitaire
Excoffon Sylvain, Universitaire, secrétaire général de FO enseignement supérieur et recherche
Besson Mireille, CNRS directrice de recherche, retraitée
Eddé Anne-Marie, Professeure émérite Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le Mignot Renée, Présidente honoraire du MRAP
Rabier Christelle, Ehess, Maîtresse de conférences en sciences sociales
Picherot Elise, Professeure de mathématiques en lycée
Garnier Sébastien, Université Paris 1
Girault Camille, USMB, Enseignant-chercheur en géographie
Warnet Jean-Manuel, Maître de conférences en arts, Université de Brest, Membre de l’UJFP
Mermier Franck, Directeur de recherche au CNRS
Sayed Lège, Juriste
Gayatri Chakravoety Spivak, Columbia Universiity, University Professor
Segal Jérôme, Historien, Sorbonne Université
Dubois Vincent, Professeur de science politique