Compte rendu 1 – Michèle Sibony
Première période du 20 au 30 mai
Pour qui penserait que la question du sionisme, c’est-à-dire la nature juive de l’Etat, n’est plus d’actualité, masquée ou liquidée par la perspective des 2 Etats ouverte par Oslo, il suffirait de lire la presse israélienne quotidienne afin de découvrir combien cette question est revenue en force avec la fin du fameux processus.
Ainsi le Haaretz de ces jours-ci foisonne d’articles sur cette question. A titre d’exemple, voici le résumé d’un article du 28 mai de Jonathan Lis intitulé « Une proposition de loi du Likoud place le judaïsme au dessus de la démocratie » : Yariv Levin député likoud membre de la coalition gouvernementale vient de proposer une loi qui subordonnerait l’identité démocratique d’Israël à son identité d’Etat juif. (comme si ce n’était pas déjà le cas d’ailleurs! Ndlt) Mais ce faisant il reprend à peu de choses près deux propositions antécédentes déposées par Avi Dichter député Kadima lors de la précédente législature. Bien sûr Levin ajoute à ces projets des recommandations supplémentaires et controversées : légaliser par exemple la notion de « Eretz Israël » (la terre d’Israël de la mer au Jourdain auquel se réfèrent les colons Bible en main ) et affirmer les liens juifs exclusifs à cette terre)
Et la loi propose aussi : le « droit d’autodétermination nationale dans l’Etat d’Israël n’appartient qu’au peuple juif »
Le projet recommande que l’hébreu devienne la seule langue officielle du pays (alors qu’aujourd’hui l’arabe et l’hébreu sont les deux langues officielles) . Mais le parlement pourrait ensuite légiférer pour garantir un statut secondaire à l’arabe et l’anglais.
Un autre article du projet prévoit la destination exclusive des fonds à la construction pour les communes juives. Cependant l’Etat serait autorisé à approuver la construction de communes non juives.
En même temps le projet utilise aussi un vocabulaire démocratique, soulignant que chaque résident d’Israël indépendamment de sa religion ou nationalité est autorisé à agir pour préserver sa culture, son héritage, sa langue, son identité.
Autre sujet dont les journaux s’emparent tous les jours : le boycott qui suscite une grande inquiétude, et dont la stratégie de défense israélienne est de dire qu’il est «individuel» et donc raciste. Hawkins est un hypocrite proclame ainsi Daniel Abraham (entrepreneur américain fondateur du centre de Washington pour la paix au Proche Orient) dans le Haaretz toujours. « Nous pouvons toujours dénoncer S. Hawkins pour son hypocrisie (qu’il détaille abondamment) mais au bout du compte le plus important est que nous réalisions combien il est mauvais d’occuper un peuple dont le leader Mahmoud Abbas veut faire la paix avec nous ». Un sioniste de gauche, sans doute.
13 ans après, l’Affaire Muhamad El Dura revient en force dans la société israélienne, par la voix d’un comité spécialement constitué pour réviser toute l’affaire et qui statue que l’enfant tué devant la caméra d’antenne 2 n’est pas mort. Comme s’il s’agissait de laver l’armée israélienne de tous ses crimes en revendiquant son innocence sur celui-ci, fondateur il est vrai, puisque survenu au 2e jour de la seconde Intifada.
Le père de l’enfant tué a fini par envoyer le message suivant à travers la presse israélienne : « si mon fils est vivant et que vous ne l’avez pas tué, alors rendez le moi!»
Nombre de Palestiniens s’expriment sur cette question en rappelant au comité qui étudie avec autant de sérieux l’affaire Al Dura, qu’il pourrait aussi se pencher sur les conditions de la mort de 13 enfants palestiniens dont douze de citoyenneté israélienne, survenue pendant la même période. Sans parler des 951 enfants tués depuis 2000 (chiffres Btselem). Il faudra plus qu’une lessiveuse pour laver tout ce sang.
Explosion dans le train :
Mes premiers jours ici sont toujours durs à encaisser. Ce que je vois, ce que j’entends, ce que je lis, tout me rappelle l’injustice, l’arrogance et la bêtise profondes du dominant privilégié. Et parfois une étincelle de trop provoque l’explosion incontrôlée. Dommage. Si j’arrivais à garder mon calme au lieu de me mettre à hurler, peut-être serais-je plus convaincante? J’en doute. La propagande israélienne a cela de très fort qu’elle rencontre des gens qui l’adorent et ne demandent qu’à en être abreuvés afin de mieux justifier leur droit à l’existence contre les autres.. Briser un tel cercle vicieux demande un long travail patient et surtout des contextes sociaux, politiques, internationaux, très différents. En l’état actuel tout concourt à renforcer cette inertie nauséabonde.
Dans le train Tel Aviv à Benyamina où m’attend une amie afin de m’emmener à Kfar Kara dans le Triangle (zone de forme triangulaire demeurée à forte population arabe après la Naqba) dans sa famille palestinienne d’Israël :
En face de moi, une femme assez belle d’une cinquantaine d’années m’intrigue, juive orientale, palestinienne, espagnole peut-être ? Sur les 4 places en carré à ma gauche, deux jeunes soldates, 18-19 ans déjeunent, et près d’elles un couple âgé qui échange en hébreu aussi bien qu’en français, avec pour la femme un clair accent juif égyptien.
Arrive une jeune fille qui se présente comme étudiante en psycho et propose à tout le monde de remplir un questionnaire qui alimente son mémoire de fin d’études. La dame à l’accent égyptien accepte «à condition , dit-elle, que ce ne soit pas contre Israël» Je dresse l’oreille. L’étudiante lui répond : « qu’est-ce que tu veux dire par là, ce sont tes réponses libres qui m’intéressent… je repasserai dans un moment ramasser les questionnaires ».
Et la dame commence la lecture à haute voix. Des statistiques sur l’état des hôpitaux en Cisjordanie sont présentées et le questionnaire demande de choisir entre les sentiments qu’elles éveillent chez le lecteur. – « Ah! Vous voyez! J’avais raison, c’est contre Israël. Qu’est ce qu’on en a à faire des hôpitaux palestiniens, comme si on avait pas nos propres problèmes de santé! C’est contre Israël . Je ne veux pas répondre! » . Une jeune soldate intervient : « C’est sûr: tu n’as qu’à répondre à l’envers , le contraire de ce que tu penses, pour fausser ses résultats et bousiller son enquête … »
La femme placée en face de moi prend alors la parole , avec un accent yéménite ou oriental aux gutturales très marquées: – « Pourquoi ne pas répondre? C’est pour ses études, quel est le problème de dire ce que cela éveille chez vous. Cela ne vous menace pas… »
Et l’analyse détaillée du questionnaire de continuer, émaillée de rires de connivences entre la jeune soldate, l’égyptienne et son époux. Rires sur ces Palestiniens qui nous emmerdent et qui n’ont qu’à se débrouiller, et qui ne sont pas humains, ils n’ont qu’à aller ailleurs ici c’est chez nous…
J’explose: « C’est vous qui n’êtes pas humains, où est passée votre humanité? Et votre judaïsme alors, n’en parlons pas! Vous êtes des brutes ignares et sans conscience. Vous êtes cruels et hermétiques aux autres. Et vous vous permettez de les juger en plus! ».
La femme à l’accent oriental renchérit : « Mais enfin avec qui voulez vous faire la paix ou discuter ! Avec les Russes ou les Américains ? C’est avec vos voisins qu’il faut parler quand même ».
L’Egyptienne me jette un regard noir et m’interpelle: « On voit bien que tu n’as pas grandi dans un pays arabe et que tu ne sais pas comment ils traitent les gens là bas ».
– Je suis née et j’ai grandi au Maroc, cherchez l’erreur. Mais en quoi cela justifierait-il ta propre cruauté? La soldate, très brune, ricane: « ah! elle est marocaine celle là ? » (j’ai bien envie de la gifler). Je continue, – « Mais pourquoi regarder dans les pays arabes, regarde ici ce que vous faites, quelle société dégueulasse raciste et haineuse vous fabriquez, vous devriez avoir honte. » La juive orientale opine du chef satisfaite de mes propos, mais avec un regard de reproche sur mon ton et ma rage que je contrôle de moins en moins.
La soldate continue de ricaner. Je lui suggère de la fermer et de continuer à tirer sans état d’âme sur les enfants palestiniens. La soldate imite alors le bruit d’une carabine qui tire en visant de petits enfants imaginaires. Elle se moque de moi. Une agitation s’est éveillée dans tout le wagon derrière moi… attention, j’ai été trop loin. L’orientale me le signifie clairement: « Alors ce coup-ci c’est toi qui exagères ».
Malheureusement je sais que je n’exagère pas.
Mais je suis obligée de me calmer. Mâchoires serrées pour réprimer mon tremblement, je suis au bord des larmes. Le couple âgé me regarde avec stupéfaction, et la dame me reprend presque gentiment sur le mode de la démocratie: « Pourquoi t’énerves tu comme çà ? On n’est pas obligé d’avoir les mêmes opinions mais on peut parler calmement, tu peux même dire ce que tu dis sans problème, c’est çà la démocratie » . Je lui propose de ne pas parler de ce qu’elle ne connaît pas ce dont elle n’a pas la moindre idée : la démocratie c’est l’égalité.
Le train arrive à Benyamina. Dans la famille de Manal un festin nous attend à l’ombre du mûrier dans la cour. Les rires et la gentillesse de sa mère, ses tantes, ses sœurs, auront raison de ma colère et de mon tremblement.
Gideon Lévy dans la rue, en plein Tel Aviv, s’est fait insulter et cracher dessus ainsi que sa compagne. Parce qu’il fait partie de « ceux qui haïssent » Israël. Il a la triste charge en effet de rapporter chaque semaine à cette société les actes commis pour la « protéger » dans les territoires occupés. Et en effet c’est insupportable.
Une famille dans un village de Cisjordanie, le fils tué de plusieurs balles dans le dos, en s’enfuyant après avoir jeté des pierres contre le mur : l’armée elle-même reconnaît que l’incident était problématique. Quelques jours plus tard l’armée intervient en pleine nuit, avec des dizaines de soldats, des chiens et des hurlements, dans la maison familiale endeuillée. Ils viennent arrêter le second fils. Dans la maison les parents, huit filles, tous battus, frappés, la mère huit points de suture, et deux des filles à l’hôpital, la terreur à l’état pur. L’officier qui a dirigé l’opération a indiqué à ses soldats : dans cette maison là pas de pitié…
Tout ceci mérite bien un crachat sur celui qui le relate..
Des colons ont mis le feu aux champs de leurs voisins palestiniens. Le feu a trop bien pris et fini par menacer la colonie elle même. Ils ont alors appelé l’armée au secours pour qu’elle vienne éteindre les flammes. Aujourd’hui ils prétendent que les Palestiniens ont provoqué un deuxième feu…
En tous cas dans la schizophrénie ambiante, si l’on ne voit ni n’entend ni ne parle de ce que l’on fait subir aux Palestiniens, tout le monde est secoué par l’attaque d’une banque qui a fait 4 morts. Or il s’avère que le meurtrier avait été renvoyé de l’armée pour comportement violent et brutalités injustifiées (c’était çà ou la décoration). Mais l’armée n’avait pas jugé utile de donner ses raisons ou de signaler ce cas. Ainsi l’homme a continué dans le civil. De même c’est le fait divers de Qiriat Ata où un jeune homme a tué sa mère et envoyé à l’hôpital sa petite amie ainsi que deux passants, qui occupe les esprits. Mais pourquoi tant de violence? Bonne question.
300 000 permis de ports d’armes en Israël et dans les colonies; on peut peut-être imaginer qu’ils ne s’en serviront pas ?
Nathan Blanc :
Jeune homme de bonne famille, comme on dit, n’est pas le premier refusnik en Israël. Mais il vient de gagner son bras de fer contre l’armée : après 170 jours de rétention en prison militaire,reconduite toutes les 3 semaines, il a été libéré du service militaire pour objection de conscience et rien d’autre. Il a refusé tout compromis avec ses convictions et son refus de porter les armes. L’armée lui a proposé une baisse de profil pour raisons psychiatriques, des arrangements multiples pour éviter d’avoir à créer un précédent sur l’objection de conscience. Elle a surtout peur de l’usage que pourraient en faire les religieux que l’on veut obliger à « partager la charge » du pays en faisant l’armée. Nathan Blanc indique dans tous ses interviews qu’il lui semble très important pour tous ceux qui le suivront, de ne pas accepter le déguisement de leur refus et d’en d’assumer les vraies raisons. En effet l’armée a très peur des refus frontaux, elle préfère négocier des raisons qui ne la remettent pas en cause, et masquent finalement la réalité du nombre important des refusniks.
Jérusalem :
Je prends un taxi collectif et non le bus pour aller à Tel Aviv. Cela m’évite l’enfer de la gare routière centrale et de ses contrôles. C’est ce que font beaucoup de Palestiniens aussi. Le chauffeur est palestinien et une grande partie des voyageurs. Ils discutent en arabe parlent au téléphone, tranquillement.
A l’arrivée, l’un d’eux l’air gêné demande discrètement au chauffeur en arabe, puis dans un hébreu hésitant, puis en arabe à nouveau : « Dis moi comment je fais pour aller à la mer? L’autre : quelle mer? Je ne sais pas… la mer, Bahr.. Haïfa ? Quel taxi prendre ? Le chauffeur lui lance un numéro de ligne… »
Traduction: il vient sans doute des territoires occupés, et n’a pas vu la mer depuis longtemps… envie de pleurer.