Déclaration de solidarité avec Eleonora Roldán Mendívil, boursière de la fondation Hans-Böckler-Stiftung et chargée de cours à l’université de Berlin Freie Universität.
Depuis quelques semaines, Eleonora Roldán Mendívil a été placée dans l’obligation de se défendre contre des tentatives de diffamation mettant en danger son droit à une bourse d’étude ainsi que son travail de recherche. On l’accuse d’avoir défendu des positions antisémites. Ces accusations ne sont pas une simple plaisanterie, elles mettent en effet en danger les moyens de subsistance et les perspectives professionnelles d’une jeune chercheuse.
Il ne s’agit malheureusement pas d’un cas isolé. Ces derniers mois, nous avons assisté à une recrudescence de véritables campagnes contre des personnes et des organisations engagées en faveur des droits des palestinien.nes ou critiquant publiquement la politique de droite conservatrice de gouvernement de Netanyahou [note]http://www.taz.de/!5334845/; http://www.sueddeutsche.de/muenchen/schwabing-benefizkonzert-zwischen-israelkritik-und-antisemitischer hetze-1.3184940; http://www.swp.de/ulm/lokales/ulm_neu_ulm/arn-strohmeyer-ueber-anti-und-philosemitismus-11939924.html; http://www.schattenblick.de/infopool/d-brille/report/dbri0077.html .
Ces tentatives de diffamation font référence à une sensibilité antisémite qui marquerait la recherche de façon irréfragable. En réalité, il n’existe aucun consensus sur ce qui caractérise un propos antisémite [note]http://www.rosalux.de/fileadmin/rls_uploads/pdfs/Analysen/Analyse_Linke-u-Nahostkonflikt.pdf. Peu importe cependant la position que l’on adopte dans ce débat, les méthodes avec lesquelles on s’attaque à Eleonora Roldán Mendívil sont pour nous inacceptables. Les discussions sur le conflit du Moyen Orient et sur la définition de l’antisémitisme doivent être rendues possibles sans crainte de campagnes de diffamation au sein desquelles un thème d’une telle complexité et traité à l’aide de soi-disant preuves d’un antisémitisme soupçonné.
Eleonora Roldán Mendívil est depuis de nombreuses années formatrice en éducation civique sur des thèmes liés au racisme, au sexisme et à la critique du capitalisme. Elle écrit en ce moment une thèse de Master en théorie politique internationale à l’université de Hambourg et travaille depuis le semestre d’hiver 2016/2017 comme chargée de cours à l’institut Otto-Suhr de la Freie Universität de Berlin, où elle avait obtenu en 2014 une licence en sciences politiques. Ses thèmes de recherche se situent dans les domaines des études de genre, des critical race studies, de la recherche sur la migration ainsi qu’en théorie marxiste. Le séminaire qu’elle propose s’intitule « Le racisme dans le capitalisme ». Elle est titulaire d’une bourse de la fondation Hans-Böckler-Stiftun et est active dans la structure auto-gérée des boursi.ères de la fondation, et est également membre du syndicat « Recherche et éducation ».
Dans le cas d’Eleonora Roldán Mendívil, un article de blog diffamant et un texte non-publié du groupe universitaire « Contre tout antisémitisme » ont mené à ce que la direction de l’institut Otto-Suhr annonce publiquement l’examen des accusations et la suspension des cours dispensés par celle-ci [note].
Dans sa déclaration, la direction de l’institut s’appuie sur un article de Timo Koch dans le « Jüdischen Rundschau » (Actualités Juives) [note]. Cet article avait été précédemment publié exactement à l’identique par un.e anonyme [note] sur le blog d’Andreas Boas, auteur qui relaie entre autres des tweets de l’homme politique de droite hollandais Geert Wilders ou de Donald Trump.
Un troisième article est paru entre temps sur un page intitulée « MENA Watch » [note]http://www.mena-watch.com/mena-analysen-beitraege/berlin-antiisraelische-aktivistin-als-politik-dozentin/ et fait référence exactement aux mêmes arguments que les précédents, tirés de l’article original. Aucun de ces articles n’essaie d’argumenter leurs accusations à l’aide de propos de l’enseignante ou de contenus transmis dans son séminaire. Tous deux se réfèrent à des propos de Roldán Mendívil publiés en 2014 et 2015 sur son blog personnel [note]https://cosasquenoserompen.noblogs.org/about/, ainsi qu’à sa signature d’une lettre ouverte de professionnels de la culture en Allemagne en réaction à la guerre de 2014 à Gaza [note]http://www.gazaopenletter.de/, ainsi qu’à sa participation à une vidéo musicale. Les citations sont entièrement extraites de leur contexte. L’accusation que la vidéo musicale contiendrait « une attaque en règle d’Israel » n’est aucunement argumentée. Il n’est pas non plus argumenté en quoi une critique du gouvernement israélien équivaudrait à de l’antisémitisme. En fait, la vidéo contient au contraire une déclaration d’hostilité envers les antisémites [note]https://www.youtube.com/watch?v=LpWzpLepDjo (from minute 03:03 on)]]. L’argument que la lettre ouverte sur Gaza de 2014 utiliserait un « classique de l’antisémitisme d’avant 1945 » repose sur l’idée que les auteurs/autrices utilisent Israël comme métaphore pour les « juifs, collectivement », ce qui n’est aucunement justifié. En réaction à cette prise de position de l’Institut, le journal Jerusalem Post publiait un article de Benjamin Weinthal au titre pour le moins erroné de „German University suspends Pro-BDS Professor“ [note]http://www.jpost.com/Diaspora/German-university-suspends-pro-boycott-Israel-academic-478024.
Si des prises de position politiques contre la politique gouvernementale de droite conservatrice du gouvernement israélien ou des propos concernant les aspects coloniaux du sionisme et de l’actuelle politique de colonisation des territoires palestiniens sont disqualifiés comme antisémites dans le but de mettre fin à la discussion, il s’agit alors d’une diffamation personnelle des personnes visées, d’un coups porté au long terme à la carrière d’une jeune professeure qui ne contribue en rien à un éclaircissement scientifique et politique de la question. Par cette exclusion, la frontière entre critique et diffamation est franchie, et cela constitue une violation de la liberté de l’enseignement et de la recherche, qui précisément dans le cas de sujets politiquement sensibles doit absolument être garantie.
Nous saluons cependant l’initiative de l’institut Otto-Suhr d’engager une discussion-débat sur le thème de « la frontière entre une critique scientifiquement pertinente et un dénigrement d’Israël et de sa politique ». Nous réclamons de l’institut de procéder rapidement et de manière transparente à l’organisation de cet événement. Nous condamnons la publication de la position de l’institut avant d’avoir aucunement cherché à engager une discussion avec la personne concernée et demandons que cela soit fait immédiatement, et demandons enfin qu’Eleonora Roldán Mendívil soit incluse dans le programme de l’événement annoncé.
La réaction présente consistant à « entreprendre une enquête sur les accusations d’une publication anti-Israël ou antisémite de la chargée de cours Roldán Mendevil et de lui interdire au moins jusqu’à nouvel ordre la tenue de son cours à l’institut Otto-Suhr » menace de prononcer une sentence de légitimation d’accusations pourtant aucunement fondées. Nous demandons à l’institut de retirer sa position publiée et de ne pas suspendre l’enseignement d’Eleonora Roldán Mendívil sur la base d’accusations diffamatoires.
Cette pétition sera remise à :
Professor für politische Theorie und Philosophie an der Freien Universität Berlin
Prof. Dr. Bernd Ladwig
Institut für Politikwissenschaft
Otto-Suhr Institut
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