Pour Olga, son enfant non né et Ivan

Strasbourg, le 23 décembre 2010

Bientôt Noël.

Tombeau de mots pour Olga,
et l’enfant qui ne naîtra pas.

Olga Z. devant les grilles du CRA de Geispolsheim

Vous ne connaissez pas Olga Z.

Et ne la connaitrez plus jamais

Olga est morte.

Le 12 décembre, à Volgograd, ex-Stalingrad.

Et l’enfant qu’elle portait, aussi.

C’était pas dans le Journal.

Seulement dans la Feuille de Chou.

http://la-feuille-de-chou.fr/?p=12144

http://la-feuille-de-chou.fr/?p=12217

A moins d’être un(e) habitué(e) de la solidarité avec les étrangers pourchassés par « notre » gouvernement.

Ces étrangers dont les médias parlent de temps à autre, quand la solidarité active avec certains d’entre eux a forcé le mur de l’ignorance ou de l’indifférence.

Il y a quelques jours, un journaliste, dont par charité je tairai le nom, m’a dit n’avoir jamais mis les pieds au Centre de Rétention de Geispolsheim, ni à la prison de l’Elsau. Et ils prétendent informer leurs lecteurs.

Olga, il n’y avait aucune raison que sa route croise la mienne.

Sauf, l’ignoble chasse aux étrangers dits « sans-papiers » que la fRance ( car ce n’est pas la France) mène obstinément, – » les quota! « -comme en 1938, ou en 1940.

Hier, les Espagnols républicains, les Allemands ou les Autrichiens antinazis, les Juifs, les Rroms, aujourd’hui, des hommes, des femmes, des enfants, de tous les pays, oui des enfants, « les enfants aussi « , et parfois, des bébés, – ici, un enfant à naître, un petit « Jésus » orthodoxe, non né.

J’ai rencontré Olga, parce qu’une association, l’Ordre de Malte, – elle a succédé à la Cimade- qui a en charge le suivi des étrangers « retenus » au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Geispolsheim, m’a contacté, sachant qu’avec quelques trop rares amis, nous, Vigicrage, proche de RESF, -Vigilance CRA Geispolsheim- allions un temps, chaque semaine, le jeudi après-midi, parler aux retenus du CRA, à travers les grilles du camp, ou au parloir, à leur demande.

Olga Z., de nationalité russe, et son compagnon, Ivan G. un Géorgien, revenaient début octobre, d’Espagne où elle travaillait dans l’hôtellerie.

Partis de Barcelone, iIs ont traversé la France, Marseille, en train. et sont arrivés à Strasbourg, vous savez, la « Capitale des Droits de l’Homme ».

Strasbourg, son Parlement Européen, sa Cour Européenne des Droits de l’Homme, son Conseil de l’Europe, ses policiers de la PAF ou d’autres services; comme ceux qui patrouillent dans les trains et les gares, ou à proximité des locaux des associations de solidarité avec les étrangers, ou mieux encore – pourquoi se fatiguer-, près de la Préfecture de la Région Alsace, place de la « République ».

Olga et Ivan ont été interpellés, à la gare de Strasbourg, gardés dans les locaux de la PAF.

La préfecture les a envoyés au CRA, mais, si Ivan y a été retenu, deux semaines environ, avant dêtre relâché, par « humanité », juste avant son expulsion, Olga, enceinte de 7 mois y a échappé. Elle est pas humaine la fRance?

Mais elle n’a pas échappé à l’Obligation de Quitter le Territoire Français, OQTF, décidée par le Préfet, P.E.Bisch, seulement à la rétention. Le ministère de l’Intérieur pas plus que celui de la Justice, ne veut pas qu’on puisse leur imputer de responsabilité en cas de problème.

Olga et Ivan ont fait appel et, c’est le 8 octobre que le Juge des Libertés et de la Détention , JLD, les a convoqués.

C’est là que je les ai rencontrés pour la première fois. Ivan, encadré par les gendarmes, extrait du CRA. Olga, « libre ». C’est l’avocat de permanence, en l’occurence une avocate, ce jour, qui les défendait. Une interprète du russe les assistait . Ivan, est de Géorgie, et parle aussi le russe et l’anglais. Quant à Olga, elle parle -elle parlait-russe et espagnol.

Cette précision, en ce qui la concerne, est utile, car je ne parle aucune de ces deux langues. Mais l’expérience prouve que pour l’essentiel, on se comprend, même sans pouvoir se parler. Solidarité sans frontière ni langue parlée commune.

Sans surprise, le JLD a confirmé les deux OQTF et la rétention d’Ivan, pour laisser le temps, comme disent les documents officiels d’organiser la reconduction (formellement, ce n’est pas une expulsion…) à la frontière.
Il y faut des documents d’identité en règle, et le laissez-passer du pays d’origine.

Imaginez, si vous pouvez, l’état d’esprit de deux personnes ne parlant pas français, qui ne demandaient, après escale à Strasbourg, qu’à retourner dans leurs pays respectifs, confrontées à l’appareil policier et judiciaire français, alors que, même pour des citoyens de notre pays, la Justice et la Police intimident. On pourrait se croire dans Le procès, de Franz Kafka, le talent littéraire en moins.

Alors qu’ils s’apprêtaient à prendre leur billet de train, à leurs frais, pour traverser l’Allemagne puis les pays successifs jusqu’en Géorgie et en Russie, voilà que le ministre de la Chasse aux Etrangers et aux Enfants les retient pour les expulser, et paye, très cher, les frais de « rétention » et de transport.

Olga a d’abord été logée dans un foyer du quartier du Neuhof que j’ai découvert en même temps qu’elle, un matin. Il se trouve, après le terminus de tram Rodolphe-Reuss, tout près du terrain d’aviation du Polygone. Juste à côté des HLM, campent des gens du voyage. Les pauvres, les malades, les aveugles, les orphelins, les retraités, les femmes battues hébergées, les campeurs anti-Otan, les étrangers sont rendus invisibles par décentrement urbain.

Bobos au centre, bobos à la périphérie.

Il y a là plusieurs petits appartements donnant sur une coursive extérieure. Un gardien fait prendre connaissance du règlement intérieur aux nouveaux arrivants. Bien qu’il ne parle évidemment pas toutes les langues de la planète expulsable, il s’y prend avec talent, dessin à l’appui, pour communiquer.

Olga partagera sa chambre avec deux autres femmes. Sur place, et dans le quartier, il n’y a pas de quoi manger. Mais c’est correct. Aussi, une fois qu’elle a été installée, je l’ai invitée à la table familiale. Elle y est venue plusieurs fois, et chez deux ami(e)s aussi, où nous l’avons accueillie, nourrie, entourée. Elle a pu voir d’autres personnes que des policiers, des juges, et se faire une idée de la vie normale en France.

Elle était visiblement fatiguée, ne touchait qu’à peine à son assiette, vomissait parfois, s’allongeait volontiers sur le canapé du salon, pour se reposer ou dormir un peu.

Enceinte de 7 mois, pas suivie par un médecin, à l’exception d’une fois, vers la fin de son séjour forcé, – et ce médecin lui avait prescrit des examens, qu’Olga avait reportés à son retour au pays- elle ne semblait pas au meilleur de sa forme.

Mais qu’importe à l’administration. Enceinte ou pas, elle était en « situation irrégulière » donc en attente d’expulsion. Le préfet qui, non par humanité, mais par intérêt, l’avait exemptée de rétention, n’allait tout de même pas s’occuper de son logement, de sa nourriture ou de sa santé.

Dans la division du travail de fait qui s’effectue, avec toute l’hypocrisie administrative voulue, le Préfet retient, expulse, mais dans l’intervalle, il « délègue », en somme, aux associations humanitaires ou, comme ici, à de simples citoyens, le soin et la charge de l’hébergement des délinquants « sans-papiers », -délinquants, du fait d’être sans papiers -, malgré des lois qui, théoriquement, punissent ces actions. Le préfet viole donc la loi.

Soyons clair, si nous sommes si sensibles au sort que « notre » gouvernement réserve aux étrangers, c’est, n’en déplaise aux Besson-Hortefeux et autres Sarkozy, qui croient nous gouverner, qu’en plus des « étrangers » de l’époque, nos parent, nos grands-parents, ont été victimes, quoique Français, mais juifs, de ce genre d’ostracisme.

Et, travail de connaissance oblige, nous n’oublions pas, et malgré les menaces de poursuite, nous ne cesserons, à titre de comparaison, d’avoir le régime de Vichy et, avant cela, les années Daladier, à l’esprit . Comment, lors de cérémonies officielles, en présence du Préfet, ou de ministres ou du président, proclamer « Plus jamais ça » et recommencer jour après jour? Comment la communauté juive de Strasbourg a-t-elle pu accepter qu’un ministre de l’Intérieur, délinquant, condamné pour des propos racistes anti-arabes, participe à une cérémonie au cimetière de Strasbourg-Cronenbourg, profané peu avant? C’est insulter, une seconde fois, après les profanateurs, les morts.

Le séjour d’Olga au Neuhof ne pouvait se prolonger au-delà de quatre jours. La machine tourne, la misère est nombreuse. Au suivant!

C’est alors que tout un réseau invisible, même pas structuré en général, des organisés et des inorganisés, des croyants de toutes religions, des agnostiques, des athées, des hommes, des femmes, des Français, des étrangers, des gens de gauche et de droite, des qui croient au ciel et des qui le compissent, des humains, quoi, se mobilisent, comme en 1942.

Un seul souci. Où loger Olga? Dans l’attente de ses papiers pour sa « reconduite à la frontière ». Pour Ivan, pas de souci, le CRA s’en charge. Il est logé, nourri, surveillé par les gendarmes. Il a d’ailleurs cette »chance » d’être dans un centre de rétention parmi les moins pires de France. Pour autant, il fait meilleur au dehors.

Les fourmis humanitaires ont fini par dégoter un logement dans le réseau protestant qui offre un studio à l’ombre du temple d’une petite ville alsacienne au sud de Strasbourg.

Merci, de la part d’Ivan, à ce pasteur, à ces bénévoles, à ce médecin, qui ont entouré Olga pendant presque une semaine.

En particulier quand il s’est agi d’aller au Consulat de Russie, place Brant, à Strasbourg, pour qu’on délivre à Olga des papiers d’identité en règle, afin de pouvoir être expulsée. En effet, elle avait perdu les siens. Plusieurs visites au Consulat. Attente dans le petit couloir surchauffé et bondé. Explications, documents à remplir, photos à apporter, frais de dossier à payer, tout ça a pris plus d’une semaine, le temps pour les Russes de vérifier l’identité d’Olga au pays. Enfin, elle y est retournée pour toucher son précieux document sans lequel, en plus de la reconnaissance par son pays de sa nationalité, elle ne pouvait être expulsée. Les « sans-papiers » ont besoin de papiers, d’identité, pour être expulsés.

Plusieurs fois, Olga et Ivan voulaient payer les services que je leur rendais. Ils n’étaient pas sans argent. Ce n’étaient pas des « sans-papiers » démunis. A l’exception d’une seule fois, devant l’insistance d’Ivan, pour l’essence du véhicule, j’ai refusé.

Des amis inconnus, par téléphone, se sont arrangés pour faire parvenir de l’argent à Olga, qui souhaitait partir d’elle-même en achetant son billet d’avion. Mais le gouvernement insistait pour prendre les frais en charge.

Un jour, nous sommes allés, Olga et moi, acheter un téléphone portable dans un hyper. Après trois jours d’usage, il ne fonctionnait plus. L’hyper a refusé de l’échanger de suite, sous prétexte qu’il n’y avait plus l’emballage en carton. Il a fallu le déposer pour expédition et réparation. Un mois après, je n’avais pas reçu de nouvelles ni d’Olga ni d’Ivan, chacun supposé dans son pays; le téléphone m’est revenu. C’est celui d’Olga, qu’elle a payé, 30 €. Il fonctionne. Je le donnerai à un retenu, au CRA de Geispolsheim.

Ivan qui pouvait justifier de son identité, mais n’avait pas, aux yeux de la fRance de papiers en règle, pour transiter dans ce pays, a été expulsé une semaine avant Olga. En appel à Colmar, il a perdu dans son recours contre son « éloignement » par la République française, mais la Cour l’a libéré du CRA.

Les gendarmes avaient eu ordre de la justice de le relâcher du CRA afin qu’il puisse revoir Olga, les deux en attente du billet d’avion gracieusement offert par la fRance. Au lieu de le raccompagner, comme cela se faisait avant, au CRA, pour qu’il prenne son bagage, ils l’ont lâché à la sortie de la Cour d’Appel de Colmar avec la valise qu’ils avaient convoyée avec son propriétaire. Et ils ont refusé, -les consignes et la responsabilité en cas d’accident- de le reconduire vers Strasbourg.

Il a trouvé la gare de Colmar, heureusement peu éloignée du Tribunal, a pris son billet, et, une fois arrivé à Strasbourg, m’a appelé. Je l’ai cherché et immédiatement emmené dans le studio occupé par sa compagne enceinte, Olga. Retrouvailles, avant séparation.

Olga et Ivan devant la PAF à Strasbourg-Entzheim

Quelques jours après, Olga et moi l’avons accompagné, très tôt le matin, à la PAF de l’aéroport de Strasbourg-Entzheim, d’où les gendarmes l’ont embarqué deux heures après pour Roissy, escale pour la Géorgie. Je n’ai eu aucune nouvelle pendant des semaines, jusqu’à cet appel, en anglais, et en larmes, (zeugma volontaire) où il m’a appris, entre deux sanglots qu’Olga et l’enfant à naître étaient morts.

Loin de moi l’idée d’imputer à qui que ce soit la responsabilité de ce drame. Si une plainte était déposée, ce serait à la justice d’enquêter. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que la place de cette femme, Olga, de son ex-futur enfant, de son compagnon, Ivan, n’était pas en rétention ou en attente d’un « éloignement ». Seuls des médecins et la justice pourraient dire quelle est la part de responsabilité, dans la mort de l’enfant et de la mère, s’il y en a, d’un gouvernement, d’un préfet, de gendarmes qui chacun à leur niveau, ont prolongé, bien malgré les intéressés, le séjour en fRance, d’Olga et d’Ivan, dans les conditions décrites ici.

Tous ceux qui ont connu Olga, et Ivan, désespéré aujourd’hui, et interdit de séjour pour cinq ans, en Union européenne, nous n’oublierons jamais.

Le travail (de deuil) et de connaissance, comme dit mon ami Georges Yoram Fédermann, peut commencer.

Jean-Claude Meyer