Réflexions sur le démantèlement du bidonville de Calais… et du tabou du meurtre, par Ndella Paye.
Bestialiser, infantiliser, pathologiser : telles sont les trois ressources principales du discours raciste afin de légitimer sa violence. En d’autres termes, c’est la violence spéciste des humains sur les animaux, la domination adulte et la domination validiste qui viennent en renfort de la domination raciste. C’est ce registre de la bestialisation qui, adossé à une brutalité étatique inouïe, connait aujourd’hui un retour en force, en particulier à l’encontre des résidents du bidonville de Calais – en particulier dans un stupéfiant appel au meurtre publié par le site Riposte Laïque…
« Le tribunal administratif de Lille a autorisé, dans son ordonnance rendue jeudi 25 février, l’évacuation de la zone sud de la « jungle » de Calais que contestaient en référé des associations et des migrants, il limite sévèrement la marge de manœuvre de l’État. D’abord, il exclut toute action brutale en rappelant que « l’Etat s’est engagé (…) à une éviction progressive… »
Ceci est le premier paragraphe d’un article du monde daté du 26 février 2016, que je n’ai pas pu lire en intégralité car payant. L’auteur y parle de « limite sévère » de la marge de manœuvre de l’État, car il exclut toute action brutale. Mon Dieu dans quel monde vivons-nous ?
Faut-il rappeler qu’en France la trêve hivernale s’achève le 31 mars de chaque année – et donc qu’aucun propriétaire n’a le droit d’expulser un-e locataire de son logement même si une mesure d’expulsion a été prononcée à son encontre par la justice ? Il faut croire qu’ici, cette mesure ne saurait s’appliquer qu’aux être humains. En effet, les médias usent plutôt du mot « jungle » pour parler des migrants de Calais. Ses occupants seraient-ils/elles des animaux dans l’inconscient collectif ?
Il faut bien croire qu’en France ils et elles sont considéré-e-s comme tels, avec tout le mépris traditionnellement attaché aux animaux. Les migrant-e-s ne méritent-ils/elles pas une trêve hivernale comme tout être humain vivant sur le territoire national ? Ils et elles peuvent crever dans le froid de l’hiver sans que cela ne choque nos responsables politiques ? Mon Dieu dans quel monde vivons-nous ?
Sur le site de Riposte Laïque (je sais, ça ne devrait pas me choquer), un article de Christine Tasin parle carrément de résistance républicaine. Il s’agit dit-elle de résister contre… des personnes fuyant des guerres et des situations économiques catastrophiques.
Selon elle, la seule solution c’est que :
« les forces de l’ordre tirent dans le tas des fauteurs de trouble ».
Effectivement, pour beaucoup, il vaudrait mieux les voir mort-e-s que nous envahir.
Dans l’article, les refugié-e-s sont traité-e-s de « barbares même pas français qui violent notre loi ».
La loi voudrait-elle qu’ils et elles se laissent faire, face à la violence inhumaine des forces de l’ordre ? Ces racistes convoquent souvent le respect des lois pour neutraliser des résistances, mais la loi est-elle toujours juste ? Doit-on toujours la respecter ? J’aimerais rappeler que l’esclavage était légal, la colonisation également, l’apartheid en Afrique du sud aussi, ainsi que la discrimination raciale aux USA. Aurait-on exigé des esclaves de respecter la loi qui les asservissait ? Oserait-on demander aux sud-africain-e-s Noir-e-s de respecter la loi les plaçant sous leurs concitoyen-ne-s Blanc-he-s ? Que les Afro-Americain-e-s respectent la loi de la ségrégation ?
Il est vrai, cela dit, que c’est bien ce que les oppresseurs ont toujours exigé des gens qu’ils opprimaient…
L’auteure va jusqu’à encourager les camionneurs à écraser « les salauds qui mettent en danger des centaines de personnes ». Puis elle va encore plus loin et appelle tout simplement au meurtre :
« Je sais que, hélas, ces malheureux camionneurs (mon cœur saigne quand je me mets à leur place ) ils se retrouveraient dans des ennuis sans fin. La seule solution c’est donc que le Ministre de l’Intérieur donne l’ordre de tirer dans le tas des contrevenants avec des balles paralysantes, anesthésiantes, voire de vraies balles s’il n’y a pas moyen de les arrêter autrement. »
Comment justifie-t-elle ce à quoi elle appelle ?
« Quand on a face à soi des bêtes, parce qu’ils se comportent comme des bêtes, pire même que des bêtes, le devoir des dirigeants est de dire stop et d’imposer la loi, notre loi. Parce que ce qui se passe à Calais ressemble de plus en plus à un djihad de conquête… «
Les refugié-e-s et migrant-e-s sont pires que des bêtes, on peut les tuer. Ce sont des « djihadistes » qui veulent conquérir l’Occident, et l’on sait qu’à des « djihadistes » on peut infliger la peine de mort sans jugement. Mon Dieu dans quel monde vivons-nous ?
Les refugié-e-s et migrant-e-s sont des hommes et des femmes, des êtres humains, il faut encore le rappeler puisque ce n’a pas l’air d’être une évidence pour tout le monde, qui fuient une situation invivable et résistent face une situation de non accueil à laquelle ils et elles sont confronté-e-s en Europe. Mon Dieu dans quel monde vivons-nous ?
Nous vivons dans un Occident qui nie l’humanité de personnes non-Blanc-he-s. Nous vivons dans des pays qui se vantent d’être de grandes démocraties, riches économiquement, mais qui subitement redeviennent petites et miséreuses quand il faut accueillir avec dignité des personnes fuyant la guerre et la pauvreté.
Nous vivons dans un espace européen où l’on exige de personnes subissant des violences au quotidien, de respecter les lois qui légalisent violences et traitements inhumains. Nous vivons dans un endroit où des personnes sont indignement traitées au quotidien et nous devons, au moins, nous en indigner.
Non les refugié-e-s et migrant-e-s n’ont pas à respecter des lois racistes, violentes, inhumaines. C’est même leur devoir de résister. Non les refugié-e-s et migrant-e-s ne se pas « pires que des animaux », ce sont celles et ceux qui les traitent comme tels qui sont les sauvages, les barbares, les extrémistes. C’est l’Europe la jungle.